La responsabilité décennale édictée par les articles 1792 et suivants du Code civil est un régime juridique favorable au maître d’ouvrage en ce sens qu’il dispense celui-ci de rapporter la preuve d’une faute d’un constructeur.
Ce régime ne dispense pas pour autant le demandeur à l’instance de rapporter la preuve de l’imputabilité. Celle-ci peut se définir comme le lien entre l’action (ou inaction) d’un constructeur et le désordre affectant l’ouvrage.
La Cour de cassation impose aux Juridictions du fond de rechercher cette imputabilité pour se fonder sur l’article 1792 du Code civil (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 14 janvier 2009, pourvoi n° 07-19084 ; (C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16725).
L’imputabilité est une question majeure qui doit être appréhendée dès le stade de l’expertise judicaire, tant pour des travaux neufs que la réalisation d’ouvrage nouveau sur les existants.
Une fois l’imputabilité, le constructeur ne peut s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve de l’absence de faute commise. Seule la preuve d’un évènement de force majeure (évènement extérieur, imprévisible et irrésistible), ou de ce que le sinistre n’est pas imputable à son ouvrage, peut lui permettre d’échapper à toute responsabilité.
Démonstration de ce que le régime en place est favorable au maître d’ouvrage, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation revient sur l’hypothèse où, lors d’un sinistre incendie, l’origine de celui-ci ne peut précisément être déterminée, par son arrêt du 28 Janvier 2021 (C.Cass., Civ. 3ème, 28 Janvier 2021, n° 19-22794).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- X… a confié à Mme R…, assurée auprès de la société Axa France (la société Axa), la réalisation de travaux d’aménagement d’un bien soumis au régime de la copropriété.
- Les travaux d’électricité ont été confiés à la société L…, assurée auprès de la société MAAF, laquelle a fait depuis l’objet d’une radiation.
- K…, exerçant sous l’enseigne TMP, assuré auprès de la société Thelem assurances, est intervenu pour la mise en oeuvre des menuiseries intérieures, de l’isolation et des planchers en bois.
- La société MGD a réalisé les travaux de charpente, de couverture, d’isolation murale et de gros œuvre.
- Les travaux se sont achevés dans le courant du mois de décembre 2008.
- X… a souscrit une assurance multirisque habitation auprès de la MACIF.
- Dans la nuit du 28 au 29 août 2010, un incendie a détruit le grenier, la charpente et la couverture.
- X… et la MACIF ont, après expertises, assigné Mme R… et la société Axa en indemnisation.
- La société MAAF, la société MGD, M. K… et la société Thelem assurances ont été appelés à l’instance.
- La société Axa est intervenue volontairement en sa qualité d’assureur du syndicat des copropriétaires.
Par un arrêt en date du 25 juin 2019, la Cour d’appel de PARIS a rejeté les demandes de Monsieur X et de la MACIF dirigées contre la Société MGD (lots charpente, couverture, isolation murale et gros œuvre) et la MAAF, sur le fondement décennal, aux motifs que
- « selon l’expert judiciaire, l’incendie a une cause vraisemblablement accidentelle relevant de défaillances électriques consécutives notamment à un défaut de conception, un défaut de construction ou d’assemblage ou une mauvaise installation, voire un endommagement externe, sans qu’il soit possible d’identifier clairement l’une ou l’autre de ces causes«
- « les opérations d’expertise judiciaire n’ont pas permis d’établir l’existence d’un vice de construction à l’origine du litige«
- « la simple circonstance que l’incendie se soit déclaré en un seul foyer point d’origine, du fait d’une défaillance électrique dont la cause reste indéterminée, ne permet pas de démontrer l’existence de désordres en relation de causalité avec l’incendie«
- X et la MACIF ont formé un pourvoi, soutenant que :
- la responsabilité décennale ne nécessite pas la démonstration d’une faute
- l’incendie avait pris naissance dans les combles où des travaux avaient été réalisés.
Sous le visa de l’article 1792 du Code civil, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation
- rappelle que « tout constructeur d’un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages, même résultant d’un vice du sol, qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectent dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n’a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d’une cause étrangère«
- reproche à la Cour d’appel de PARIS d’avoir retenu des « motifs impropres à établir l’existence d’une cause étrangère après avoir retenu une origine électrique de l’incendie ayant pris naissance dans les combles où des travaux avaient été réalisés« .
Pour le constructeur, l’origine indéterminée du sinistre n’est pas source d’exclusion de responsabilité, au contraire. La Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence, ayant déjà statué en ce sens
- Cass., Civ. 3ème, 30 avril 2002, n°00-19935 : « Qu’en statuant ainsi alors qu’elle avait constaté que, selon le rapport de l’expert, un échauffement anormal dans le caisson de la VMC était à l’origine de l’incendie ayant entièrement détruit le pavillon et alors que la mise en jeu de la garantie décennale d’un constructeur n’exige pas la recherche de la cause des désordres, la cour d’appel a violé le texte susvisé«
- Cass., Civ. 3ème, 8 Février 2018, n°16-25794.
Seule la preuve d’un évènement extérieur à l’origine du sinistre permet au constructeur de s’exonérer de sa responsabilité décennale (C.Cass., Civ. 3ème, 4 juillet 2007, n°06-14761).
De même, la faute de la victime n’a pas un effet exonératoire, sauf à présenter les caractéristiques de la force majeure, mais permet uniquement de réduire le droit à indemnisation, notamment lorsqu’avaient été stockés des produits inflammables, source d’aggravation des conséquences de l’incendie (C.Cass., Civ. 2ème, 20 juin 2002, n°00-11128 ; C.Cass., Civ. 2ème, 11 Janvier 2001 ; n° 98-22690)