Aux côtés du principe d’une responsabilité pour faute prouvée, les « établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère » selon le 2ème alinéa du I de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique. Le législateur a prévu l’intervention de l’ONIAM pour les conséquences les plus graves des infections nosocomiales, sous réserve de la possibilité d’un recours subrogatoire de l’ONIAM « en cas de faute établie de l’assuré à l’origine du dommage, notamment le manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales » en vertu de l’article L. 1142-17 du Code de la santé publique.
Reste à définir l’infection nosocomiale.
L’article R. 6111-6 du Code de la santé publique énonce que « les infections associées aux soins contractées dans un établissement de santé sont dites infections nosocomiales« .
La jurisprudence du Conseil d’Etat a évolué au fil du temps, en abandonnant la distinction entre origine endogène et exogène du germe (CE, 10 Octobre 2011, n°328500) et est venue préciser cette définition.
Dans un arrêt en date du 21 Juin 2013, le Conseil d’Etat avait pu donner la définition suivante (CE, 21 Juin 2013, n°347450 ; CE, 15 Avril 2016, n° 367276):
« que doit être regardée, au sens de ces dispositions [2nd alinéa du I de l’article L. 1142-1 du CSP], comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge »
Cette définition avait été réaffirmée par le Conseil d’Etat dans un arrêt du 23 Mars 2018 (CE, 23/03/2018, n°402237), mais dans cette affaire, le caractère nosocomial avait été écarté puisque
« Considérant, d’une part, que la cour administrative d’appel a souverainement retenu, conformément aux conclusions du rapport d’expertise, que l’infection contractée par Mme C…en janvier 2003, au cours de son séjour au CHI d’Elbeuf-Louviers-Val de Reuil, avait été causée par la régurgitation du liquide gastrique, qui avait pénétré dans les bronches de la patiente en raison d’un trouble de la déglutition consécutif à l’accident vasculaire cérébral dont elle avait été victime ; qu’en déduisant de ces constatations, dont il résultait que l’infection était la conséquence non des actes pratiqués dans le cadre de la prise en charge de la patiente ni de son séjour dans l’environnement hospitalier mais de la pathologie qui avait nécessité son hospitalisation, que le dommage n’était pas dû à une infection nosocomiale au sens des dispositions citées ci-dessus du code de la santé publique, la cour n’a pas commis d’erreur de droit »
En début d’année, le Conseil d’Etat avait encore précisé sa jurisprudence en indiquant que « doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de ce que la cause directe de cette infection, avait le caractère d’un accident médical non fautif ou avait un lien avec une pathologie préexistante » (CE, 1er Février 2022, n° 440852). La Cour administrative d’appel de NANTES vient de faire application de cette jurisprudence dans un arrêt du 21 Juillet 2022 (CAA NANTES, 3ème Chambre, 21 Juillet 2022, n°22NT00295).
Il est particulièrement difficile alors pour les établissements de santé d’échapper à cette responsabilité, ce que vient confirmer l’analyse de l’arrêt du Conseil d’Etat du 15 Juillet 2022 (CE, 15 Juillet 2022, n°452391).
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que :
- Mme G…, alors âgée de 96 ans, a reçu le 1er juillet 2016 une prothèse de hanche au centre hospitalier universitaire de la Martinique avant d’être transférée le 12 juillet 2016 pour des soins de suite et une rééducation au centre hospitalier Romain-Blondet de Saint-Joseph, où son état s’est dégradé et où elle a notamment contracté des plaies infectées aux jambes.
- Elle a été reconduite le 9 septembre 2016 à son domicile, où elle est décédée le 6 octobre 2016.
- Estimant que sa prise en charge au centre hospitalier Romain-Blondet avait été fautive, ses ayant droits, dont M. E… est le représentant unique, ont demandé à cet établissement de réparer divers préjudices évalués à 135 000 euros.
- Le Tribunal administratif de Martinique a rejeté cette demande par un Jugement en date du 4 Décembre 2018
- La Cour administrative d’appel de BORDEAUX a confirmé ce rejet par un arrêt en date du 11 Mars 2021
Pour rejeter la demande d’indemnisation des préjudices résultant de l’infection nosocomiale, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX avait retenu que la patiente « qui présentait une dénutrition sévère, était particulièrement exposée à des difficultés de cicatrisation« .
Les ayants droits ont formé un pourvoi.
Le Conseil d’Etat va rapidement écarter une faute dans la surveillance de la patiente. Si les demandeurs soutenaient que les plaies aux jambes révélaient un « manquement fautif de l’hôpital à son devoir de surveillance de la patiente », le Conseil d’Etat approuve le raisonnement de la Cour administrative d’appel de BORDEAUX
- Qui a relevé qu’il résultait des fiches de transmissions et observations que la patiente faisait l’objet d’un suivi diligent, attesté par des changements réguliers des pansements et des traitements locaux
- pour en déduire que ses blessures ne pouvaient, contrairement à ce qui était soutenu, être regardées comme imputables à un défaut de surveillance fautif.
La faute, au sens de l’alinéa 1er du I de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique est écartée.
Puis, concernant l’infection nosocomiale, le Conseil d’Etat rappelle sa jurisprudence en rappelant que « doit être regardée, au sens de ces dispositions, comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge« .
Il reproche à la Cour administrative d’appel d’avoir écarté l’infection nosocomiale au seul motif qu’elle présentait une dénutrition sévère et donc était particulièrement exposée à des difficultés de cicatrisation, « alors qu’un état initial comportant une exposition particulière à l’infection ne peut être regardé en lui-même comme l’origine de cette infection« .
Le Conseil d’Etat insiste au surplus, pour retenir le lien avec la prise en charge, en soulignant que « il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis et n’était plus contesté par le centre hospitalier que l’infection de Mme G…, qui n’était ni présente ni en incubation au début de sa prise en charge, avait été provoquée par le frottement des ridelles de son lit médicalisé« .
Le Conseil d’Etat fait ainsi référence à la précision apportée à sa définition de l’infection nosocomiale par son arrêt du 23 Mars 2018 (CE, 23/03/2018, n°402237) : « sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge ».
Ainsi, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit et l’affaire est renvoyée devant elle pour statuer sur les préjudices imputables à l’infection nosocomiale.