Création prétorienne, le trouble anormal de voisinage est un régime de responsabilité sans faute aux multiples applications et répercutions.
La Cour de cassation a ainsi établi un régime de responsabilité sans faute, édictant pour principe que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage » (C.Cass., Civ. 2ème, 19 novembre 1986, n°84-16379).
Nul besoin pour le tiers lésé de rapporter la preuve d’une faute. Il lui suffit de démontrer :
- Que le trouble subi excède les inconvénients ordinaires engendrés par le voisinage
- Une imputabilité, étant précisé que ce régime de responsabilité de plein droit s’étend aux constructeurs, ceux-ci étant assimilés à des voisins temporaires (Cass., Civ.3ème, 22 Juin 2005, n°03-20068: « la cour d’appel a retenu à bon droit que le propriétaire de l’immeuble auteur des nuisances, et les constructeurs à l’origine de celles-ci sont responsables de plein droit vis-à-vis des voisins victimes, sur le fondement de la prohibition du trouble anormal de voisinage, ces constructeurs étant, pendant le chantier, les voisins occasionnels des propriétaires lésés« ).
Il peut décider, selon son choix, d’agir soit contre le maître d’ouvrage, soit contre le(s) constructeur(s), soit les deux afin d’obtenir leur condamnation in solidum.
Point important à souligner, le régime du trouble anormal de voisinage ne peut être invoqué en cas de communication d’incendie (C.Cass., Civ.2ème, 7 février 2019, n°18-10727).
L’arrêt du 17 Septembre 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 17 Septembre 2020 – n° 19-18848) permet de rappeler que le tiers lésé devra agir dans le délai de 5 années à compter de la découverte du trouble.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que M. et Mme O… ont assigné Mme M… en démolition d’un passage couvert que celle-ci avait fait construire en 2008 entre les immeubles leur appartenant respectivement et en indemnisation de divers préjudices.
Par un arrêt en date du 25 Avril 2019, la Cour d’appel de DOUAI a déclaré irrecevable, comme prescrite, leur demande en indemnisation de troubles anormaux du voisinage.
A l’appui de leur pourvoi, les Epoux O… ont fait valoir que :
- Ils agissaient pour la défense de l’exercice de leur droit de propriété que le fonds voisin venait limiter, de sorte que leur action constituait une action immobilière soumise à la prescription trentenaire
- ce trouble était continu et permanent de sorte que leur action n’était pas prescrite.
La 3ème Chambre civile a rejeté le pourvoi en énonçant que :
- « C’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que l’action en responsabilité fondée sur un trouble anormal du voisinage constitue, non une action réelle immobilière, mais une action en responsabilité civile extra-contractuelle soumise à une prescription de dix ans en application de l’article 2270-1, ancien, du code civil, réduite à cinq ans à compter de l’entrée en vigueur de l’article 2224 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008«
- « Ayant constaté que les travaux réalisés par Mme M… avaient été achevés au plus tard le 16 décembre 2008, date à laquelle s’était manifesté le dommage occasionné par une perte de luminosité, la cour d’appel en a exactement déduit que le délai de prescription avait expiré le 16 décembre 2013, de sorte que l’action engagée le 27 mai 2015 était prescrite«
Dès lors, la Cour de cassation rappelle que :
- s’applique l’action pour trouble anormal de voisinage est une action civile extra-contractuelle, soumise depuis la réforme de la prescription, à un délai de 5 années
- l’achèvement des travaux marque le point de départ de ce délai de 5 années.
Le tiers lésé devra donc faire preuve d’une particulière vigilance, d’autant plus que les conséquences préjudiciables des travaux ne peuvent se manifester que bien des mois (voire des années) plus tard.
Déjà, le 16 Janvier 2020, la même Chambre avait indiqué que le tiers lésé ne peut se prévaloir de la prescription édictée par l’article 1792-4-3 du Code civil, s’agissant, pour ce qui le concerne, d’une action en responsabilité civile extra-contractuelle (C.Cass., Civ. 3ème, 16 Janvier 2020, n°16-24352).
De même, l’arrêt du 17 Septembre 2020 permet à la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation de revenir sur la notion d’empiètement. Celle-ci se caractérise notamment par une particulière gravité de sa sanction, puisque le fonds lésé peut demander la démolition de la partie de l’ouvrage qui empiète.
Sous le visa de l’article 545 du Code civil, par un arrêt en date du 20 Mars 2002 (C.Cass., Civ. 3ème, 20 mars 2002, n° 00-16015), la Cour de cassation a censuré une Cour d’appel ayant refusé d’admettre une violation du droit de propriété pour un « empiétement d’une partie de la clôture, de 0,5 centimètre« .
En l’espèce, les Epoux O… ont prétendu que « la seule pose d’un solin, réalisée indépendamment même de tout percement, sur le mur privatif des époux O… constituait un empiètement dont ils étaient en droit d’obtenir la démolition« .
Là encore, le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation indiquant que « ayant constaté que la construction édifiée par Mme M… ne prenait pas appui sur le mur séparatif appartenant à M. et Mme O… qu’un solin ne faisait que toucher, en l’absence de tout dispositif de fixation pénétrant dans la maçonnerie, la cour d’appel en a souverainement déduit que l’empiétement invoqué n’était pas caractérisé« .
L’empiètement n’était donc pas caractérisé.