La Cour de cassation vient de publier en moins de trois semaines deux arrêts concernant l’article L. 132-1 du Code de la consommation (dans sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016) et son bénéfice au profit d’une société civile immobilière. Son arrêt du 7 Novembre 2019 a d’ailleurs été prononcé par une formation de section.
L’ancien article L. 132-1 du Code de la consommation, abrogé au 1er Juillet 2016, énonçait que :
« Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission instituée à l’article L. 534-1, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
Un décret pris dans les mêmes conditions détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies.
Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1156 à 1161,1163 et 1164 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque la conclusion ou l’exécution de ces deux contrats dépendent juridiquement l’une de l’autre.
Les clauses abusives sont réputées non écrites.
L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Le contrat restera applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans lesdites clauses.
Les dispositions du présent article sont d’ordre public »
C’est désormais l’article L. 212-1 du Code de la consommation (dans sa rédaction issue de l’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016) qui a vocation à s’appliquer :
« Dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.
Sans préjudice des règles d’interprétation prévues aux articles 1188, 1189, 1191 et 1192 du code civil, le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat. Il s’apprécie également au regard de celles contenues dans un autre contrat lorsque les deux contrats sont juridiquement liés dans leur conclusion ou leur exécution.
L’appréciation du caractère abusif des clauses au sens du premier alinéa ne porte ni sur la définition de l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix ou de la rémunération au bien vendu ou au service offert pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.
Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la commission des clauses abusives, détermine des types de clauses qui, eu égard à la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées, de manière irréfragable, comme abusives au sens du premier alinéa.
Un décret pris dans les mêmes conditions, détermine une liste de clauses présumées abusives ; en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
Ces dispositions sont applicables quels que soient la forme ou le support du contrat. Il en est ainsi notamment des bons de commande, factures, bons de garantie, bordereaux ou bons de livraison, billets ou tickets, contenant des stipulations négociées librement ou non ou des références à des conditions générales préétablies »
L’article L. 212-1 du Code de la consommation ajoute que « les dispositions de l’article L. 212-1 sont également applicables aux contrats conclus entre des professionnels et des non-professionnels« .
En effet l’article préliminaire du Code de la consommation donne les définitions suivantes :
- consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
- non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ;
- professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel.
Une clause réputée abusive sera écartée. Peuvent ainsi être neutralisées les clauses limitatives de responsabilité, ou encore celle emportant sanction financière pour le maître d’ouvrage non professionnel.
Le maître d’ouvrage y trouve donc un intérêt indéniable et les sociétés civiles immobilières ont entendu en tirer profit également.
Reste que leur qualité de non-professionnel a été discutée.
Par son arrêt du 17 Octobre 2019 (Civ. 3ème, 17/10/2019, n° 18-18469), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation est venu rappeler que :
- une personne morale est un non-professionnel, au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation, lorsqu’elle conclut un contrat n’ayant pas de rapport direct avec son activité professionnelle
- la qualité de non-professionnel d’une personne morale s’apprécie au regard de son activité et non de celle de son représentant légal
pour censurer une Cour d’appel qui avait appliqué une clause de limitation de responsabilité à une SCI, déniant la qualité de non-professionnelle à celle-ci au motif que « même si elle a pour objet la location de biens immobiliers, son gérant est également celui d’une société ayant pour objet la réalisation de travaux de maçonnerie générale et de gros œuvre et que, dès lors, elle ne peut se prévaloir des dispositions du code de la consommation sur les clauses abusives« .
C’est donc uniquement sur l’activité de la SCI qu’il convient de se focaliser.
L’arrêt prononcé par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation donne un exemple d’application concernant l’appréciation de l’activité d’une SCI.
Dans cet arrêt du 7 Novembre 2019 (C.Cass, Civ. 3ème, 07/11/2019, n° 18-23259), était en demande une SCI, dont l’objet social l’investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d’immeubles dont elle avait fait l’acquisition.
L’adversaire, Architecte, reprochait à la Cour d’appel d’avoir qualifié cette SCI de non-professionnelle.
Le pourvoi est rejeté, la Cour de cassation approuvant la Cour d’appel d’avoir considéré :
- que la SCI avait pour objet social l’investissement et la gestion immobiliers, et notamment la mise en location d’immeubles dont elle avait fait l’acquisition,
- qu’elle était donc un professionnel de l’immobilier, mais que cette constatation ne suffisait pas à lui conférer la qualité de professionnel de la construction, qui seule serait de nature à la faire considérer comme étant intervenue à titre professionnel à l’occasion du contrat de maîtrise d’œuvre litigieux dès lors que le domaine de la construction faisait appel à des connaissances ainsi qu’à des compétences techniques spécifiques distinctes de celles exigées par la seule gestion immobilière
- à bon droit, que la SCI n’était intervenue au contrat litigieux qu’en qualité de maître de l’ouvrage non professionnel, de sorte qu’elle pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 14 mars 2016.
Statuant ainsi, la Cour de cassation permet une extension notable de la qualité de non-professionnel.
La qualification de non-professionnel ouvre la voie à l’interprétation sur le caractère abusif d’une clause figurant au contrat. La question est fréquente concernant les clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité contenues dans certains contrats de maîtrise d’œuvre ou de louage d’ouvrage.
Dans l’arrêt du 7 Novembre 2019, était en question une clause insérée dans un contrat d’architecte, confiant à celui-ci, la maîtrise d’œuvre complète de la construction d’un bâtiment à usage professionnel, prévoyant que, même en cas d’abandon du projet, pour quelque raison que ce soit, les honoraires seraient dus et réglés en totalité au maître d’œuvre.
Par son arrêt du 26 Juin 2018, la Cour d’appel de DIJON a prononcé la nullité de cette clause, comme étant abusive. L’Architecte a alors formé un pourvoi, visant l’article liminaire du code de la consommation, ensemble les articles L. 212-1 et L. 212-2 du même code.
Le pourvoi est cependant rejeté par la Cour de cassation qui prend le soin de se référer à l’article L. 132-1 du Code de la consommation dans sa rédaction antérieure à l’Ordonnance du 14 Mars 2016, estimant que :
« la clause litigieuse avait pour conséquence de garantir au maître d’œuvre, par le seul effet de la signature du contrat, le paiement des honoraires prévus pour sa prestation intégrale, et ce quel que fût le volume des travaux qu’il aurait effectivement réalisés, sans qu’il n’en résultât aucune contrepartie réelle pour le maître de l’ouvrage, qui, s’il pouvait mettre fin au contrat, serait néanmoins tenu de régler au maître d’œuvre des honoraires identiques à ceux dont il aurait été redevable si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme »
Pour approuver la Cour d’appel de DIJON d’avoir qualifié cette clause d’abusive.
Il convient cependant de rappeler que par un arrêt du (C.Cass., Civ. 3ème, 23 Mai 2019, n°18-14212), la Cour de cassation a pu estimer que « la clause d’un contrat de vente en l’état futur d’achèvement conclu entre un professionnel et un non-professionnel ou consommateur qui stipule qu’en cas de cause légitime de suspension du délai de livraison du bien vendu, justifiée par le vendeur à l’acquéreur par une lettre du maître d’œuvre, la livraison du bien vendu sera retardée d’un temps égal au double de celui effectivement enregistré en raison de leur répercussion sur l’organisation générale du chantier n’a ni pour objet, ni pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat et, partant, n’est pas abusive« .
La référence aux clauses abusives offre donc des perspectives intéressantes aux SCI et doit inciter en retour, les professionnels de la construction, à appréhender cette particularité dans l’application de leurs contrats.