En matière de marché à forfait, courant 2019, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que
- La norme NF P 03-001 (version 2000) ne peut prévaloir sur les dispositions du contrat (Cass., Civ. 2ème, 21 mars 2019, n° 17-31540)
- en cas de marché à forfait, les travaux supplémentaires relèvent du forfait s’ils sont nécessaires à la réalisation de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 18 avril 2019, n°18-18801).
Le caractère forfaitaire serait donc immuable. Invoquer l’article 1195 du Code civil s’avère plus qu’ardu puisqu’il risque d’être reproché au constructeur d’avoir accepté les risques.
Faute de reconnaissance sur les lieux, le constructeur peut être amené à établir son devis sur la base des éléments détaillés par le maître d’œuvre. C’est notamment le cas dans le cadre des appels d’offre, pour lesquels les entreprises peuvent candidater, en prenant notamment connaissance du DCE. La Décompositon du Prix Global Forfaitaire doit pouvoir permettre d’évaluer l’offre dans le cadre des comparaisons. Son montant doit correspondre à l’acte d’engagement.
La réalisation du chantier peut amener le constructeur à découvrir que les travaux seront en réalité bien plus conséquents.
Seul le droit administratif accueille la théorie des sujétions imprévues, dans des conditions bien définies. Et l’article 1195 du Code civil n’apparait pas mobilisable au vu du risque que l’entreprise accepterait de courir.
Le constructeur est-il pour autant privé de tout recours ? La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient d’apporter des précisions utiles (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Mars 2020, pourvoi n° 19-11574).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que
- la Société d’économie mixte de la Ville de Paris (la SEMAVIP) a transféré à la Société publique locale d’aménagement Paris Batignolles aménagement (la SPLA PBA) la concession d’aménagement concernant la zone d’aménagement concerté […].
- Des marchés de travaux ont été conclus pour la construction d’une dalle destinée à couvrir de futures installations ferroviaires et à supporter des immeubles et une voirie routière.
- Une mission partielle de maîtrise d’œuvre de construction de la dalle, ne comprenant pas les études d’exécution, a été confiée à un groupement solidaire composé de plusieurs sociétés, ayant pour mandataire la société Omnium général ingénierie (la société OGI).
- Invoquant des difficultés de réalisation ayant retardé le déroulement du chantier, la société Demathieu Bard construction (la société Demathieu Bard), à laquelle des lots avaient été attribués, a, après expertise, assigné la SPLA PBA et la société OGI en indemnisation de ses préjudices.
- Une transaction a été conclue entre la société Demathieu Bard et la SPLA PBA.
Par un arrêt du 28 Novembre 2018, la Cour d’appel de PARIS a condamné la société OGI à payer à la société Demathieu Bard une somme de 1 486 338,06 euros HT en réparation de son préjudice né de l’augmentation des ratios d’armature, majorée de la TVA et des intérêts.
La Société OGI a formé un pourvoi, faisant notamment valoir que
- la DPGF constituait un engagement unilatéral de l’entreprise de travaux, et non du maître d’œuvre,
- la DPGF ne conférait pas de droits à l’entreprise, et que cette dernière s’était, de surcroît, expressément engagée à ne pas s’en prévaloir au titre d’une réclamation portant sur la différence entre les moyens qu’elle y avait décrits et ceux qu’elle avait dû mettre en œuvre
- qu’elle n’avait, pas été chargée des études d’exécution, qui incombaient au seul titulaire du marché, ainsi que le prévoyait la DPGF, laquelle énonçait expressément que « les quantités éventuellement indiquées à la présente DPGF sont indicatives, il appartient au titulaire de vérifier ou préciser ces quantités avant l’établissement de ce document
- en raison du caractère forfaitaire du marché, il appartient à l’entreprise de travaux de mesurer elle-même l’étendue des obligations auxquelles elle accepte de souscrire et, à défaut de pouvoir évaluer les quantités de matériaux nécessaires à l’exécution des travaux, de ne pas s’engager.
Le moyen va cependant être rejeté par la Cour de cassation qui approuve l’arrêt d’appel d’avoir retenu que :
- le maître de l’ouvrage et la société Demathieu Bard avaient conclu un marché à forfait auquel le maître d’œuvre n’était pas partie.
- il résultait des conclusions de l’expert que les quantités d’armatures prévues dans le dossier de consultation des entreprises et dans la décomposition du prix global et forfaitaire (DPGF) étaient insuffisantes et que la société Demathieu Bard n’avait pas été pas en mesure de déterminer ni de vérifier les quantité nécessaires au moment de l’appel d’offres compte tenu de la complexité de l’ouvrage, sauf à faire tous les calculs et modélisations, ce pour quoi elle n’était pas rémunérée et ne disposait pas du temps nécessaire.
- que la société OGI, en sous-estimant les quantités d’acier nécessaires dans la DPGF qu’elle avait établie, avait commis une erreur de conception ayant causé le préjudice constitué de l’augmentation des quantités d’armatures,
- compte tenu de l’importance de l’écart entre les prévisions de la DPGF et les nécessités de la réalisation de l’ouvrage pour en assurer la sécurité, la société Demathieu Bard était fondée à se prévaloir de ce chef de préjudice, indépendamment des stipulations du marché à forfait signé entre elle et le maître d’ouvrage.
Avant d’en déduire « par une motivation suffisante, sans être tenue de procéder à des recherches ni de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, que la société OGI engageait sa responsabilité délictuelle à l’égard de la société Demathieu Bard et devait être condamnée à réparer le préjudice subi« .
Une raison supplémentaire pour le maître d’œuvre, même investi d’une mission partielle, de faire preuve de prudence dans la définition de son projet et de son enveloppe financière. Pour les chantiers les plus importants, un simple renvoi à la prise de connaissance des lieux et du projet ne saurait suffire.