Le principe de réparation intégrale commande de placer la victime dans la position qui aurait été la sienne en l’absence de dommages, sans pertes, ni profits.
Ce principe peut connaitre une traduction concrète rigoureuse lorsque la seule manière d’obtenir la conformité des travaux commandés par le Maître d’ouvrage suppose la démolition, puis la reconstruction de l’ouvrage. La solution est d’autant plus sévère lorsque le désordre est purement esthétique, ne relevant pas de la gravité décennale.
Emerge l’idée d’une disproportion manifeste qui devrait conduire le juge à tempérer les effets de ce principe, qui s’inscrirait dans la tendance législative actuelle :
- Avec l’article 1221 du Code civil dans le cadre de l’exécution forcée des contrats (en ce sens : Durand-Pasquier, L’incidence des nouvelles règles relatives à l’inexécution des contrats sur les actes du droit immobilier et de la construction : RDI 2016, p. 355, spéc. p. 359)
- Avec l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile qui projette d’insérer un article 1261 dont l’alinéa 2 énoncerait que la réparation en nature « ne peut non plus être ordonnée en cas d’impossibilité ou de disproportion manifeste entre son coût pour le responsable et son intérêt pour la victime« .
De son côté, la jurisprudence s’est également saisie de cette question.
Ainsi, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 21 juin 2018, n°17-15897) a pu rejeter une demande de démolition – reconstruction pour un désordre de nature décennale (non-conformité d’un ouvrage aux normes PMR) alors que :
- l’Expert judiciaire n’avait pas préconisé une telle solution mais avait, au contraire, chiffré deux solutions alternatives
- les maîtres d’ouvrage n’établissaient pas que l’abaissement du plancher préconisé dans la seconde option de l’expert judiciaire aurait rendu impraticables l’accès et l’usage de la pièce située au sous-sol ni que cette modification eût été refusée par les services d’urbanisme.
La question avait déjà été abordée suite à l’annulation du contrat d’un CMI (C.Cass., Civ. 3ème, 15 octobre 2015, n°14-23612).
La décision de la Cour de cassation du 19 Septembre 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, 18-19121) s’inscrit dans les suites de son arrêt du 21 Juin 2018.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- La Société LJS, maître d’ouvrage, a souhaité faire réaliser la construction de deux maisons jumelées
- Un contrat de maîtrise d’œuvre a été confié à Mesdames K… et O…, assurées auprès de la MAF
- les travaux du lot n° 1 (terrassement, réseaux divers, démolition et gros oeuvre) ont été confiés à la société D… Q… (D…), assurée auprès de la SMABTP
- Se plaignant, notamment, de désordres acoustiques, la société LJS a, après expertise, assigné Mmes K… et O…, la MAF et la SMABTP en démolition et reconstruction des immeubles et en indemnisation de ses préjudices.
Par un arrêt en date du 13 Mars 2018, la Cour d’appel de REIMS a rejeté la demande de démolition – reconstruction, raison, notamment, pour laquelle, la Société LJS a formé un pourvoi.
La Cour de cassation va néanmoins valider le raisonnement de la Cour d’appel en retenant que :
- La Cour d’appel n’a pas dénaturé l’étude acoustique produite par la Société LJS
- la démolition et la reconstruction des immeubles n’étaient pas préconisées par l’expert
- le caractère filant des planchers n’était pas établi
- si la pose de doublages sur le mur de refend provoquait une perte de surface importante, celle-ci constituait un préjudice indemnisable
- la démolition et la reconstruction des immeubles n’avaient pas lieu d’être ordonnées lorsqu’il existait des solutions techniques alternatives de nature à remédier aux désordres
- la démolition et la reconstruction constituaient une mesure disproportionnée au regard de la nature et de l’ampleur des désordres
- la démolition et la reconstruction n’étaient justifiées par aucune expertise technique.
Il sera relevé au passage que la Cour d’appel est en retour censurée pour avoir refusé d’indemniser la perte de surface au motif que la demande n’était pas justifiée.
Cette décision mérite d’être soulignée à plusieurs titres :
- sur le travail à réaliser au stade de l’expertise sur la définition des travaux de reprise en guise d’alternative
- si l’ouvrage avait été menacé dans sa solidité, une telle solution n’aurait pu être validée
- le demandeur doit penser à présenter à titre subsidiaire une demande pour l’indemnisation de la mise en œuvre de cette solution alternative.