Dans le débat nourri sur la question du recours du constructeur contre sous fournisseur et/ou son fabricant, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient de prononcer un arrêt marquant sa différence persistante avec la 1ère Chambre civile et la Chambre commerciale.
La 1ère Chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la garantie des vices cachés doit être mise en œuvre dans le délai de la prescription quinquennale extinctive de droit commun, en application de l’article L. 110-4 du Code de commerce, commençant à courir à compter de la vente initiale (Article L. 110-4, I du Code de commerce : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes« )
Ainsi, dans cette configuration, deux délais doivent être surveillés :
- Le délai de 2 années qui court à compter de la connaissance du vice
- Le délai de 5 années qui court à compter de la vente conclue initialement (entre le fournisseur et le fabricant ou entre le fournisseur et le primo-acquéreur par exemple.
Ont ainsi statué en ce sens :
- La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt en date du 6 Juin 2018 (Cass., Civ. 1ère, 6 Juin 2018, n° 17-17438)
- La Chambre commerciale de la Cour de cassation par un arrêt du 16 Janvier 2019 (, Com., 16 Janvier 2019, n° 17-21477).
Par un arrêt en date du 24 Octobre 2019 (C.Cass., Civ. 1ère, 24 Octobre 2019, n° 18-14720), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a maintenu que « la garantie des vices cachés doit être mise en œuvre dans le délai de la prescription quinquennale extinctive de droit commun, soit, en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, à compter de la vente initiale ».
Encore plus récemment, par un arrêt en date du 5 Janvier 2022, la même 1ère Chambre civile (C.Cass., Civ. 1ère, 5 Janvier 2022, n°19-25843) a estimé :
« Vu l’article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, l’article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l’article 26, II de cette loi :
- Il résulte du premier de ces textes que l’action de l’acquéreur résultant de vices rédhibitoires doit être intentée contre son vendeur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice, tout en étant enfermée dans le délai de la prescription du deuxième de ces textes qui court à compter de la date de la vente conclue entre les parties, que ce délai, d’une durée de dix ans, a été réduit à cinq ans par la loi susvisée et que le nouveau délai court à compter du 19 juin 2008, jour de l’entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure«
De son côté, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 6 Décembre 2018 (C.Cass., Civ. 3ème, 6 Décembre 2018, n° 17-24111) a estimé, sous le seul visa de l’article 1648 du Code civil, que « en statuant ainsi, alors que le délai dont dispose l’entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l’encontre du fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui, le délai décennal de l’article L. 110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé« .
Cette solution a le mérite de la simplicité et de la sécurité pour l’entrepreneur. En retour, il repousse dans le temps le moment où un fournisseur sera protégé de tout recours en garantie, pouvant ainsi nuire au principe de sécurité juridique.
Par son nouvel arrêt publié du 16 Février 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 16 Février 2022, n°20-19047), la 3ème Chambre civile a entendu confirmer sa position.
Sur le plan factuel :
- en 2004, M. [X] a confié à la société Develet la construction d’un bâtiment à usage de stabulation.
- Les plaques de fibres-ciment composant la couverture ont été vendues à la société Develet par la société Dubois matériaux, aux droits de laquelle vient la société BMRA, qui les avaient acquises auprès de leur fabricant, la société de droit italien Edilfibro
- Les travaux ont été exécutés en 2004.
- se plaignant de désordres affectant les plaques de fibres-ciment, M. [X] a assigné la société Develet en référé en 2014, puis au fond en 2016.
- la Société Develet a appelé en garantie son fournisseur, la Société BMRA.
Par un arrêt en date du 10 Mars 2020, la Cour d’appel de DIJON a écarté le moyen tiré de la prescription opposé par la Société BMRA, estimant que
- le cours de la prescription de l’article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu’à ce que la responsabilité de la société BMRA Point P ait été recherchée par le maître de l’ouvrage
- la société Develet ayant été assignée par le maître de l’ouvrage le 9 décembre 2014, l’action récursoire formée contre la société BMRA par acte du 22 décembre 2014 n’était pas prescrite.
La Société BMRA a formé un pourvoi, ainsi que le fabricant italien la Société Edilfibro, toutes deux invoquant une prescription de l’article L. 110-4 du Code de commerce, ramenée de 10 ans à 5 ans par la Loi u 17 Juin 2008, qui commence à courir à compter de la vente, et donc expirait :
- le 22 Octobre 2014 pour la Société BMRA
- le 19 Juin 2013 pour la Société EDILFIBRO.
La 3ème Chambre civile a rejeté ces moyens par une motivation relativement poussé, approuvant le raisonnement de la Cour d’appel de DIJON en énonçant que :
- selon l’article 2270, devenu 1792-4-1, du code civil, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu de l’article 1792 du même code n’est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle en application de ce texte que dix ans après la réception des travaux.
- Il était également jugé que l’action en responsabilité contractuelle de droit commun pour les vices intermédiaires, fondée sur l’article 1147, devenu 1231-1, du code civil, devait s’exercer dans le même délai (3e Civ., 26 octobre 2005, pourvoi n° 04-15.419, Bull. 2005, III, n° 202), comme en dispose désormais l’article 1792-4-3 du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.
- D’une manière plus générale, les vices affectant les matériaux ou les éléments d’équipement mis en œuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l’exonérer de la responsabilité qu’il encourt à l’égard du maître de l’ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité.
- Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d’accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu’il a mis en œuvre pour la réalisation de l’ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.
- Il s’ensuit que, l’entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d’avoir été lui-même assigné par le maître de l’ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l’article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l’article L. 110-4 I du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage.
La position de la 3ème Chambre civile tend à favoriser les recours du constructeur et de son assureur. Elle repousse par contre dans le temps le moment à partir duquel un fournisseur et un fabricant seront en sécurité sur le plan juridique, à l’abri de tout recours.
Elle prend en considération le temps durant lequel un constructeur peut voir sa responsabilité recherchée tout en écartant la conception de la 1ère Chambre civile et de la Chambre commerciale enfermant le délai de 5 ans courant à compter de la vente initiale (« sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale« ).
Selon la 3ème Chambre civile :
- le délai de 2 ans prévu par l’article 1er du Code civil commence à courir à compter de la date de l’assignation reçu par le constructeur (mais s’agit-il de l’assignation en référé ou de l’action au fond ?)
- le délai de 5 ans prévu à l’article L. 110-4 I du Code de commerce, courant à compter de la vente, serait suspendu au profit du constructeur jusqu’à ce que celui-ci ait vu sa responsabilité recherchée par le maître de l’ouvrage (« le délai de l’article L. 110-4 I du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage« ). Là encore, se pose la question de savoir comment la responsabilité du constructeur sera recherchée (action en référé ou action au fond ?) et d’une éventuelle référence à l’article 2234 du Code civil, introduite par l’article 2234 du Code civil.
Le droit d’accès à un Juge avait déjà été évoqué par le prisme du droit à un procès équitable, sous le visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, au sujet duquel la CEDH veille à ce qu’un recours puisse demeurer effectif pour un justiciable (en ce sens CEDH, 11 Mars 2014, AFFAIRE HOWALD MOOR ET AUTRES c. SUISSE, Requêtes n° 52067/10 et 41072/11).