Sont soumis au régime de la responsabilité décennale tout constructeur d’un ouvrage, l’article 1792-1 du Code civil précisant que :
« Est réputé constructeur de l’ouvrage :
1° Tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l’ouvrage par un contrat de louage d’ouvrage ;
2° Toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu’elle a construit ou fait construire ;
3° Toute personne qui, bien qu’agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, accomplit une mission assimilable à celle d’un locateur d’ouvrage »
Mais peut être déclaré solidairement responsable avec le constructeur de l’ouvrage, tout fabricant, négociateur, intermédiaire ou importateur d’un EPERS (Élément Pouvant Entraîner la Responsabilité Solidaire), aux termes de l’article 1792-4 du Code civil qui énonce que :
« Le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré.
Sont assimilés à des fabricants pour l’application du présent article :
Celui qui a importé un ouvrage, une partie d’ouvrage ou un élément d’équipement fabriqué à l’étranger ;
Celui qui l’a présenté comme son œuvre en faisant figurer sur lui son nom, sa marque de fabrique ou tout autre signe distinctif »
Cette responsabilité solidaire suppose la réunion de plusieurs conditions :
- Une mise en œuvre de l’EPERS dans le cadre d’un contrat de louage d’ouvrage. Faute de constructeur au sens de l’article 1792-1 du Code civil, point de responsabilité solidaire (Cass., Civ. 3ème, 13 Novembre 2003, n°02-15367)
- Une absence de modification de l’EPERS pour sa mise en œuvre sur site (en ce sens : Cass., Civ. 3ème, 6 Octobre 1999, n°98-12384)
- Le respect des « règles édictées par le fabricant » conformément aux dispositions de l’article 1792-4 du Code civil
- La caractérisation d’un EPERS : c’est précisément sur cette question que revient la Cour de cassation dans cet arrêt du 21 Novembre 2019 (Cass., Civ. 1ère, 21 novembre 2019, n°17-24454 et n° 17-26629).
A titre liminaire, il sera utilement précisé que s’agissant de travaux réalisés en 1999 et 2001, les dispositions de l’article 1792-7 du Code civil n’ont pas vocation à s’appliquer. Introduit par l’Ordonnance du 8 Juin 2015, cet article a vocation à tarir le champ d’application des EPERS puisqu’il précise que « ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage« .
Or, c’est essentiellement dans la construction des bâtiments industriels que les EPERS interviennent.
Ensuite, au sujet de la qualification des panneaux d’isolation comme EPERS, la Cour de cassation a prononcé en assemblée plénière une décision importante le 26 Janvier 2007 (C.Cass., Ass. Plén., 26/01/2007, n° 06-12165), retenant la qualification d’EPERS pour des produits pourtant vendus sur catalogue, aux motifs que :
« Mais attendu qu’ayant constaté, d’une part, que la société Plasteurop avait déterminé les dimensions des différents panneaux commandés par la société Sodistra et les avait fabriqués sur mesure afin de répondre à des exigences sanitaires et thermiques spécifiques, d’autre part que les aménagements effectués sur le chantier étaient conformes aux prévisions et directives de la société Plasteurop, la cour d’appel en a exactement déduit que le fabricant de ces panneaux, conçus et produits pour le bâtiment en cause et mis en oeuvre sans modification, était, en application des dispositions de l’article 1792-4 du code civil, solidairement responsable des obligations mises à la charge du locateur d’ouvrage »
Par la suite, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a écarté la qualification d’EPERS pour des panneaux d’isolation qui n’avaient pas été fabriqués spécifiquement, outre que les désordres étaient imputables à un défaut de pose : « les panneaux litigieux, indifférenciés et produits en grande quantité, n’avaient pas été fabriqués spécifiquement pour ce chantier et que les désordres étaient la conséquence d’un défaut de pose conforme à un nouvel avis technique » (C.Cass., Civ. 3ème, 7 janvier 2016, n°14-17033 et 14-17669).
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- La société Franche-Comté affinage préemballage (FCAP) a fait réaliser par la société G…, assurée auprès de la société Allianz assurances ( Allianz ), sous la maîtrise d’oeuvre de M. E…, l’isolation de locaux d’affinage dont l’exploitation est assurée par la société Jura terroir
- les panneaux isolants entrant dans la constitution des parois ont été vendus par la société Misa France (Misa), assurée auprès de la société GAN assurances (GAN), et acquis par elle de la société Misa SR SPA devenue Cofilm, assurée auprès de la société HDI Gerling industrie versicherung, aux droits de laquelle vient la société HDI global SE (HDI)
- les tôles d’acier revêtues d’un film devant assurer l’adhérence de la mousse garnissant l’intérieur des panneaux ont été fournies par la société Lampre
- ayant constaté le décollement des parements en tôle des panneaux isolants, les sociétés FCAP et Jura terroir ont, après expertise, assigné en indemnisation de leurs préjudices les sociétés G…, Allianz, Misa, HDI et Lampre
- la Société Lampre et la Société HDI ont assigné en garantie M. E… et la société GAN.
Par un arrêt en date du 2 Juin 2017, la Cour d’appel de PARIS a notamment :
- dit que les panneaux d’isolation constituaient des EPERS et relevaient des dispositions de l’article 1792-4 du code civil,
- mis hors de cause M. E… et les sociétés GAN, HDI et Lampre
- condamné les sociétés Cofilm et HDI avec les sociétés G… et GAN à payer certaines sommes aux sociétés FCAP et Jura terroir.
Les sociétés Misa et Cofilm, respectivement fournisseur et fabriquant ont formé un pourvoi, critiquant la qualification d’EPERS retenue par la Cour d’appel.
Leur moyen est rejeté, la Cour de cassation validant l’appréciation de la Cour d’appel de PARIS en ce qu’elle a retenu que
- les panneaux avaient une fonction spécifique, s’agissant d’éléments isothermiques conçus pour la réalisation d’entrepôts frigorifiques à température positive et négative
- ils avaient en outre été choisis pour assurer le maintien des conditions thermiques nécessaires au bon déroulement du processus de fabrication des fromages et à sa protection contre des agents extérieurs
- ils avaient été pré-découpés en usine en fonction des dimensions des bâtiments à équiper
- la société Misa avait réalisé un premier plan de calepinage, de sorte qu’ils ne constituaient pas des éléments indifférenciés même si la société Misa avait l’habitude d’en fabriquer plusieurs types, proposés sur catalogue, correspondant à plusieurs sortes de finition
- ils avaient été livrés à la société G… qui les avait installés, selon les règles définies par le fabricant, sans leur apporter de modifications à l’exception de la pose d’une porte.
La qualification d’EPERS est donc validée et apparait conforme à la jurisprudence actuelle.
L’arrêt a le mérite de bien détailler les éléments d’appréciation de la Cour de cassation.