En cas de propagation d’incendie, les désordres causés aux tiers obéissent à un régime juridique bien spécifique, codifié désormais au 2ème alinéa de l’article 1242 du Code civil qui énonce :
« Toutefois, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable »
Il est important de souligner que ce régime est exclusif de toute application de la théorie des troubles anormaux de voisinage (C. Cass., Civ. 3ème, 15 Novembre 1978, n° 77-12285 et plus récemment C.Cass., Civ. 2ème, 7 Février 2019, n°18-10727). Il s’agit de responsabilité pour faute prouvée.
La charge de la preuve d’une faute pèse sur le tiers lésé ou son assureur subrogé dans les droits de celui-ci (C.Cass., Civ. 2ème, 23 Septembre 2004, n°03-16445 ; Cour d’appel, Rennes, 5e chambre, 18 Janvier 2023 – n° 19/06734). Il en va même concernant la preuve d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice (C.Cass., Civ. 2ème, 21 Juillet 1992, n°91-12298).
Les dispositions du 2ème alinéa de l’article 1242 du Code civil (anciennement article 1384) ont pu faire l’objet de critiques doctrinales et la Cour de cassation au travers de son rapport publié pour l’année 1991, avait pu suggérer une abrogation de ce régime. Pour autant, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que la question de la constitutionnalité de ces dispositions ne présentait pas un caractère sérieux (C.Cass., Ass. Plén., 7 Mai 2010, n°09-15034) :
« Attendu que M. X… soutient que les dispositions de l’article 1384, alinéa 2, du code civil portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d’égalité, au droit de propriété et au principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui l’oblige à le réparer ;
Mais attendu que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que le régime de l’article 1384, alinéa 2, du code civil répond à la situation objective particulière dans laquelle se trouvent toutes les victimes d’incendie communiqué, qu’il est dépourvu d’incidence sur l’indemnisation de la victime par son propre assureur de dommages aux biens, et qu’enfin il n’est pas porté atteinte au principe selon lequel tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ;
D’où il suit qu’il n’y a pas lieu de la transmettre au Conseil constitutionnel »
Par son arrêt du 28 Novembre 2024, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation vient rappeler que la démonstration d’une faute est nécessaire pour engager la responsabilité de celui qui détient un bien meuble ou immeuble dans lequel a pris naissance un incendie et qui a pu affecter des tiers (C.Cass., Civ. 2ème, 28 Novembre 2024, n°23-15674).
Sur le plan factuel :
- le 1er février 2007, un incendie s’est déclaré dans un immeuble à usage de chaufferie appartenant à la commune de Vassieux-en-Vercors, assurée auprès de la société SMACL assurances
- à la suite d’une expertise, la commune et l’assureur ont assigné la société Enedis, gestionnaire du réseau public national de distribution d’électricité, devant un tribunal de grande instance à fin d’indemnisation de leur préjudice.
Par un arrêt en date du 14 Mars 2023, la Cour d’appel de GRENOBLE a
- retenu la responsabilité de la Société ENEDIS au motif que la cause de l’incendie était due à la dégradation, par usure des isolants, d’un câble électrique de branchement particulier lui appartenant et alimentant la chaufferie de la commune, de sorte que se trouvait engagée sa responsabilité sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil
- condamné la Société ENEDIS à indemniser la Commune et son assureur.
La Société ENEDIS a formé un pourvoi.
Sous le visa de l’article 1384, alinéa 2, devenu 1242, alinéa 2 du Code civil, la Cour de cassation rappelle d’abord que « aux termes de ce texte, celui qui détient, à un titre quelconque, tout ou partie de l’immeuble ou des biens mobiliers dans lesquels un incendie a pris naissance ne sera responsable, vis-à-vis des tiers, des dommages causés par cet incendie que s’il est prouvé qu’il doit être attribué à sa faute ou à la faute des personnes dont il est responsable« .
Puis elle relève que la Cour d’appel de GRENOBLE a retenu la responsabilité de la Société ENEDIS aux motifs que :
- l’expert a constaté, d’une part, que les câbles d’alimentation en électricité appartenant à cette société étaient en contact direct avec une pièce métallique et, d’autre part, que l’usure des isolants, la mise à nu des conducteurs et leur mise en contact avec cette pièce métallique avaient provoqué un court-circuit à l’origine de l’inflammation des isolants, qui s’était propagée au bardage de la chaufferie de la commune, le câble y étant fixé.
- la cause de l’incendie est l’inflammation anormale de ce câble, pour en déduire que la responsabilité de la société Enedis est engagée, sur le fondement de l’article 1384, alinéa 1er, du code civil.
avant de censurer l’arrêt puisque la Cour d’appel n’avait pas caractérisé de faute de la Société ENEDIS.
Si la Cour d’appel avait pu retenir que « le dommage causé à la commune était dû à l’incendie ayant pris naissance dans le câble électrique détenu par la société Enedis, qui s’était ensuite propagé à l’immeuble« , cela restait malgré tout insuffisant.
Il est donc indispensable, côté demandeur, de veiller à disposer d’éléments suffisants, recueillis notamment au stade de l’expertise judiciaire, pour caractériser une telle faute, sauf à compromettre ses recours.
Il en va notamment :
- du non respect d’une obligation légale de débroussaillage (Cass., Civ. 2ème, 1er Février 1973, n°71-14213)
- du mauvais positionnement d’une connexion électrique à une unité centrale ainsi que le placement d’une telle unité dans un lieu ne permettant pas son refroidissement constituent des négligences ou maladresses fautives, ces fautes ayant été la cause première de l’incendie (Cass., Civ. 2ème, 3 Mars 2016, n°15-16858)
- du stockage de produits inflammables dans des locaux contenant également des sources de chaleur importantes (Cass., Civ. 2ème, 11 janvier 2001, n°98-22690)
- le fait pour une société de laisser après la fermeture du magasin, de surcroît un soir de fête de la musique, un container plein de cartons, à l’extérieur, devant le magasin voisin et non à l’intérieur ou à distance suffisante des bâtiments dans une zone où elle avait noté la présence de jeunes adolescents traînant autour des magasins et où un incendie de palettes s’était déjà produit la veille (Cass., Civ. 2ème, 7 Avril 2011, n°10-16317).