Le principe de réparation intégrale commande d’indemniser la victime de ses préjudices, sans perte ni profit. Néanmoins, la mise en œuvre de ce principe peut s’avérer contrarier par d’autres règles, dont celle de la procédure administrative d’appel.
La situation peut être d’autant plus compliquée que le droit administratif
- commande de lier le contentieux indemnitaire par un recours administratif préalable obligatoire, en vertu du 2ème alinéa de l’article R. 421-1 du Code de justice administrative
- restreint la possibilité de présenter des nouvelles demandes en cause, dont il découle l’importance d’évaluer, de manière exhaustive, chaque poste de préjudice au moment de leur liquidation.
Le Conseil d’Etat est cependant venu apporter des assouplissements au sujet de l’effet dévolutif de l’appel.
Dans un 1er temps, par un arrêt en date du 31 Mai 2007 (CE, 31 Mai 2007, n°278905), il a indiqué que :
« Considérant que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle »
Pour invoquer de nouveaux postes de préjudice, la victime doit :
- démontrer qu’ils se rattachent au même fait générateur (par exemple, imputabilité d’un préjudice donné à une faute déterminée)
- rester dans le montant global de l’indemnité chiffrée en 1ère instance, étant rappelé qu’elle n’est pas tenue, au stade du recours administratif préalable obligatoire, de chiffrer sa demande (CE, 30 juillet 2003, n°244618: « Considérant qu’un requérant peut se borner à demander à l’administration réparation d’un préjudice qu’il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif« )
Si la victime souhaite augmenter le montant totale de l’indemnité qu’elle a chiffré en première instance, elle doit :
- justifier des éléments nouveaux apparus postérieurement au Jugement (nouveaux postes de préjudices, aggravation de préjudices déjà invoqués)
- veiller à la recevabilité de sa demande si elle invoque une cause juridique nouvelle : ainsi, si le requérant a invoqué uniquement en première instance le régime de la responsabilité sans faute, il ne peut désormais en appel se fonder sur la responsabilité pour faute (CE, 18 Novembre 1988, n°58033).
Dans un 2ème temps, par un arrêt du 18 Décembre 2017 (CE, 18 Décembre 2017, n°401314), le Conseil d’Etat a précisé qu’il revient au Juge d’appel de vérifier pour chaque poste de préjudice, si sa liquidation doit être appréciée au moment où le Juge d’instance a statué, où si une aggravation justifie de prendre en compte des éléments postérieurs :
« Considérant que la personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur ; que cette personne n’est toutefois recevable à majorer ses prétentions en appel que si le dommage s’est aggravé ou s’est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement qu’elle attaque ; qu’il suit de là qu’il appartient au juge d’appel d’évaluer, à la date à laquelle il se prononce, les préjudices invoqués, qu’ils l’aient été dès la première instance ou le soient pour la première fois en appel, et de les réparer dans la limite du montant total demandé devant les premiers juges ; qu’il ne peut mettre à la charge du responsable une indemnité excédant ce montant que si le dommage s’est aggravé ou révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué »
Par son arrêt du 22 Juillet 2020 (CE, 22 Juillet 2020, n°427731), le Conseil d’Etat a l’occasion de réaffirmer sa jurisprudence issue de son arrêt du 31 Mai 2007 (CE, 31 Mai 2007, n°278905).
En l’espèce, sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
- par un jugement du 24 mars 2016, le tribunal administratif de la Guadeloupe a condamné le centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre Les Abymes à verser à M. B…, en conséquence de l’illégalité de la décision ayant mis fin à son contrat avec cet établissement, une somme de 49 578,10 euros au titre de l’indemnité de licenciement et une somme de 2 000 euros au titre de son préjudice moral.
- Le centre hospitalier ayant fait appel de ce jugement, M. B… a présenté un appel incident tendant à l’indemnisation de la perte du solde de son compte épargne-temps.
- La Cour administrative d’appel de BORDEAUX a rejeté cet appel incident au motif que la demande d’indemnisation de la perte du solde du compte épargne-temps était nouvelle en cause d’appel.
Le Conseil d’Etat rappelle que :
« La personne qui a demandé en première instance la réparation des conséquences dommageables d’un fait qu’elle impute à une administration est recevable à détailler ces conséquences devant le juge d’appel, en invoquant le cas échéant des chefs de préjudice dont elle n’avait pas fait état devant les premiers juges, dès lors que ces chefs de préjudice se rattachent au même fait générateur et que ses prétentions demeurent dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance, augmentée le cas échéant des éléments nouveaux apparus postérieurement au jugement, sous réserve des règles qui gouvernent la recevabilité des demandes fondées sur une cause juridique nouvelle »
Puis il relève que :
- Comme en première instance, le demandeur avait invoqué la responsabilité pour faute du centre hospitalier
- le préjudice invoqué se rattachait, comme ceux dont M. B… s’était prévalu en première instance, au fait générateur qu’était son licenciement par l’établissement
- le montant demandé pour sa réparation demeurait dans la limite du montant total de l’indemnité chiffrée en première instance.
Avant de censurer, pour erreur de droit, la décision de la Cour administratif d’appel.
L’affaire étant renvoyée au fond, le requérant pourra procéder à une modification de la ventilation de ses postes de préjudices, tout en restant tenu, faute de justifier d’une aggravation de ses préjudices depuis le Jugement, par le montant initial de sa demande.