La Loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, avec son article 114, avait introduit une modification au II de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, lui-même issu de la récente loi du 4 Mars 2002, en insérant la mention suivante : « et, en cas de décès, de ses ayants droit ».
Cette mention était importante car elle ouvrait aux ayants-droit d’un patient décédé les portes de l’indemnisation par la solidarité nationale.
Il restait cependant à définir la notion d’ayants-droit, et les conditions de sa caractérisation.
L’arrêt de section du Conseil d’Etat du 3 Juin 2019 apporte des précisions importantes sur cette notion et représente une ouverture importante pour les ayants-droit (CE, Sect., 3 Juin 2019, 414098).
En l’espèce, il convient de retenir que
- Que Caroline I…, enfant mineur, est décédée des suites d’un accident ischémique survenu au cours d’une intervention pratiquée le 7 avril 2008 dans un Centre Hospitalier
- Ses parents ont demandé des indemnités réparant, d’une part, les souffrances qu’elle avait endurées à la suite de l’accident, dont le droit à réparation leur avait été transmis par voie successorale, et, d’autre part, les préjudices qu’eux-mêmes et leurs deux filles mineures avaient subis du fait de son décès
- Les parents de Caroline I… avaient divorcé en 2006 et avaient refait leur vie chacun de leur côté
- Leurs nouveaux conjoints respectifs, M. A…et Mme J…, cette dernière agissant tant en son nom personnel qu’au nom de ses deux filles mineures, ainsi que les grands-parents maternels de la victime, ont demandé à être indemnisés des préjudices résultant pour eux de son décès
- Par un jugement du 19 novembre 2014, le tribunal administratif de Poitiers a mis à la charge de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), au titre des dispositions du II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, le versement aux requérants d’indemnités d’un montant total de 113 146,35 euros, dont 8 000 euros chacun à Mme J… au titre de son préjudice propre et à M.A….
- Par un arrêt du 11 juillet 2017, la cour administrative d’appel de Bordeaux a annulé le jugement en tant qu’il allouait ces indemnités à Mme J…et à M.A…
La question était de savoir si les « beaux-parents » pouvaient prétendre à une indemnité au titre de leur préjudice moral, en raison du décès de leur « belle-fille », au titre de la solidarité nationale, en se prévalant de la qualité d’ayants-droit visé au II de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.
Pour rejeter leur demande, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX a estimé dans son arrêt du 11 Juillet 2017 que faute de posséder la qualité d’héritiers ou de légataires de la victime, ils ne pouvaient être regardés comme ses ayants droit au sens des dispositions précitées du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique.
Le Conseil d’Etat censure cette position en indiquant que
- « En prévoyant, depuis la loi du 9 août 2004, l’indemnisation au titre de la solidarité nationale des ayants droit d’une personne décédée en raison d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale, les dispositions précitées ouvrent un droit à réparation aux proches de la victime, qu’ils aient ou non la qualité d’héritiers, qui entretenaient avec elle des liens étroits, dès lors qu’ils subissent du fait de son décès un préjudice direct et certain » : il s’agit du préjudice d’affection qui est propre au demandeur
- « Par ailleurs, lorsque la victime a subi avant son décès, en raison de l’accident médical, de l’affection iatrogène ou de l’infection nosocomiale, des préjudices pour lesquels elle n’a pas bénéficié d’une indemnisation, les droits qu’elle tirait des dispositions précitées sont transmis à ses héritiers en application des règles du droit successoral résultant du code civil » : ce préjudice sera indemnisé par la voie de la dévolution successorale
Statuant au fond, en vertu de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, le Conseil d’Etat va relever que sur
- « depuis leur divorce prononcé en 2006, les parents de Caroline I…en assuraient la garde alternée«
- « Leurs nouveaux conjoints respectifs, Mme J…et M. A…ont noué des liens affectifs étroits avec l’adolescente et ont été très présents à ses côtés, notamment à la suite de l’accident ischémique dont elle a été victime en 2008«
Pour conclure que « dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral qu’ils ont subis du fait de son décès survenu en 2010 en mettant à la charge de l’ONIAM le versement à chacun d’eux d’une somme de 6 000 euros »
La solution est dégagée est logique au regard des règles applicables en droit du dommage corporel depuis de nombreuses années. Elle implique cependant un travail probatoire préalable puisque classiquement, si les liens de filiation et de parenté immédiats donnent une présomption de préjudice moral, il en va différemment en l’absence de tels liens. Cela vaut pour les liens d’amitié.
Il sera donc important pour les demandeurs à l’indemnisation au titre de la solidarité nationale de rapporter la preuve d’une proximité avec la victime avant son décès, et de l’existence de liens entretenus avec celle-ci.