La responsabilité décennale est un régime de responsabilité de plein droit dispensant le maître d’ouvrage de rapporter la preuve d’une faute contre le constructeur d’ouvrage. Le constructeur (au sens de l’article 1792-1 du Code civil) ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en rapportant l’absence de faute.
Pour combattre cette responsabilité, le constructeur devra établir que « les dommages proviennent d’une cause étrangère » conformément à l’alinéa 2 de l’article 1792 du Code civil, ce qui impliquera notamment de démontrer que les désordres ne sont pas imputables à son lot (C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 13 juin 2019, pourvoi n° 18-16725).
Le constructeur pourra aussi envisager d’invoquer une faute du maître d’ouvrage.
Cependant, cette faute aura très rarement un effet exonératoire total (pour une acceptation des risques et une exonération : C.Cass., Civ. 3ème, 20 mars 2002, n°99-20666). Plus fréquemment, la faute du maître d’ouvrage aura un effet exonératoire partielle. Cette faute se caractérise :
- Soit par une acceptation délibérée des risques qui suppose de démontrer que le maître d’ouvrage, pleinement informé des risques liés au choix constructif retenu, a malgré tout persisté dans sa décision
- Soit par une immixtion fautive, ce qui était le cas dans l’arrêt de la Cour de cassation du 19 Septembre 2019 (Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15710).
L’immixtion fautive du maître d’ouvrage suppose :
- Un rôle actif du maître d’ouvrage dans le suivi du chantier (par exemple : Cass., Civ. 3ème, 8 avril 1992, n° 90-17884)
- Des compétences particulières du maître d’ouvrage dans le domaine de la construction. Il s’agit d’une preuve relativement difficile à rapporter et sur laquelle beaucoup de moyens échouent. Cette compétence doit être appréciée in concreto (par exemple : pour une absence de compétence particulière pour un promoteur : Cass., Civ. 3ème, 13 janvier 1982, n°80-14329). Plus récemment, il a été estimé que la profession de marchand de biens ne confère pas de compétences particulières (C.Cass., Civ. 3ème, 21 janvier 2015, n°13-25268).
La Cour de cassation a encore récemment écarté l’immixtion fautive du maître d’ouvrage faute de preuve d’une connaissance suffisante et d’actes positifs d’immixtion ou de maîtrise d’œuvre (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15710).
Elle apporte, par son arrêt du 13 Février 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 13 février 2020, n°19-10294), des précisions et un rappel sur cette notion.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- en 2000, M. J… a fait construire un bâtiment à usage de boulangerie, sous la maîtrise d’œuvre de M. W…, architecte assuré auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF)
- la société Mazet, assurée auprès de la Société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics (la SMABTP), a réalisé le lot plâtrerie, peintures et carrelages
- le maître de l’ouvrage, se plaignant de la qualité des travaux, a, après expertise et cession du fonds de commerce à la société Le Fournil montferrandais, assigné en indemnisation l’architecte, l’entreprise et leurs assureurs.
Par un arrêt en date du 8 Octobre 2018, la Cour d’appel de RIOM a notamment laissé à la charge du maître d’ouvrage un tiers du coût des travaux de reprise des désordres affectant les sols et le mur nord de la boulangerie en retenant que
- J… a exigé de l’architecte et de l’entreprise que la pente du sol vers le siphon fût la plus légère possible
- il a demandé la pose de plinthes droites pour des raisons de commodité du déplacement du matériel
- il a compliqué la tâche du maître d’œuvre et de l’entreprise chargée des travaux
- cela a contribué dans une certaine mesure à la production d’un ouvrage qui ne donne pas satisfaction et n’est pas conforme aux exigences réglementaires
- ainsi, l’immixtion du maître de l’ouvrage emporte la mise à sa charge d’une partie du dommage résultant de la mauvaise exécution du carrelage de la boulangerie.
Sous le visa de l’article 1792 du Code civil, la Cour de cassation va censurer l’arrêt d’appel, estimant qu’elle avait privé sa décision de base légale :
- par des motifs impropres à caractériser en quoi M. J… avait excédé son rôle de maître de l’ouvrage en demandant aux constructeurs de satisfaire certains souhaits pour des raisons pratiques
- qu’il appartenait aux constructeurs le cas échéant de refuser ces souhaits s’ils les estimaient inconcevables techniquement
- pour ne pas avoir recherché, comme il le lui était demandé, s’il était notoirement compétent en matière de construction.
A nouveau, les constructeurs sont placés face à leurs obligations, et en particulier leur devoir de conseil, au sujet duquel ils seront bien avisés de garder une preuve, s’ils entendent invoquer plus tard une immixtion fautive.