Guide pour la liquidation des préjudices, la nomenclature DINTHILAC n’est cependant pas exhaustive pour la victime. Le principe de réparation intégrale commande d’indemniser la victime de tous ses préjudices, sans pertes, ni profits.
Il revient à la victime de rapporter la preuve de la réalité de son préjudice, en lien de causalité avec une faute.
En droit médical, un préjudice n’est pas nécessairement en lien avec une faute. Présenté autrement, une faute médicale n’a pas nécessairement entrainé pour le patient un préjudice, c’est-à-dire que même correctement pris en charge, le patient aurait présenté un préjudice strictement identique.
Au fil des dernières années, la jurisprudence a pu se pencher sur des questions périphériques à la faute médicale stricto sensu et aux préjudices qui en découlent.
Il en va ainsi du préjudice d’impréparation, le Conseil d’Etat ayant admis le droit à indemnisation du patient des troubles qu’il a pu subir du fait qu’il n’a pas pu se préparer à cette éventualité, notamment en prenant certaines dispositions personnelles (CE, 10/10/2012, n°350426 ; CE, 24/09/2012, 336223). L’indemnisation de ce préjudice demeure autonome dans son indemnisation (son quantum) mais reste subordonné à la survenance d’un dommage corporel: ainsi, si l’intervention n’a engendré aucun préjudice, le patient ne pourra solliciter une indemnisation de son préjudice d’impréparation, limitant ainsi les effets d’aubaine.
Il en va également du préjudice résultat des conditions de l’annonce du décès d’un patient à ses proches.
Le Conseil d’Etat a estimé que le manque d’empathie et le retard dans l’annonce du décès d’un proche à sa famille justifie l’indemnisation de celle-ci pour sa souffrance morale, préjudice distinct du préjudice d’affection (CE, 12 Mars 2019, requête n° 417038).
La Cour administrative d’appel de NANTES a récemment prononcé un arrêt s’inscrivant dans la même veine, publié dans son cahier de jurisprudence (CAA NANTES, 3ème Ch., 21/02/2020, 17NT02664).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- Mme A…, infirmière née en 1969, a ressenti dans la soirée du 4 octobre 2010 des symptômes qu’elle a attribués à un accident vasculaire cérébral et a appelé le SAMU à 22h20.
- Le médecin régulateur, croyant à un épisode de dépression avec prise d’alcool, a refusé de faire intervenir les secours. Mme A…, qui était de plus en plus paralysée du côté droit, a dû se rendre en rampant chez ses voisins de palier et heurter leur porte de la tête pour les alerter.
- Le 5 octobre, à 0h27, Mme A… a finalement été admise au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nantes où elle a passé une IRM.
- L’équipe médicale a décidé, au vu du résultat de cet examen, de ne pas pratiquer une thrombolyse en raison du délai écoulé depuis le début des symptômes et de l’extension de la dissection de l’artère vertébrale observée, et donc d’administrer à Mme A… un traitement classique.
- Mme A… a conservé un déficit fonctionnel permanent évalué à 66% au 3 octobre 2012, date de consolidation de son état de santé.
- Mme A… a saisi le 20 mai 2011 la commission de conciliation et d’indemnisation (CCI) des Pays de la Loire, qui a ordonné une expertise, confiée à un médecin anesthésiste réanimateur et à un médecin neurologue, dont le rapport a été déposé le 19 décembre 2012, puis un complément d’expertise neurologique remis le 30 janvier 2014.
- Par un avis du 10 avril 2014, la CCI a conclu que les conditions de la prise en charge Mme A… étaient fautives et avaient privé la patiente de 30 % de chance d’échapper au dommage dont elle a été victime.
- Par un jugement du 30 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement le CHU de Nantes et la SHAM à verser à Mme A… la somme de 352 458 euros et à la CPAM de la Loire-Atlantique la somme de 64 192 euros en remboursement de ses débours ainsi que la somme de 1 055 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de gestion.
- Le CHU de Nantes et la SHAM ont relevé appel de ce jugement.
- La CPAM de la Loire-Atlantique a demandé, par la voie de l’appel incident, la condamnation solidaire du CHU de Nantes et de la SHAM à lui verser la somme totale de 452 519,89 euros.
- Mme A… a demandé, à titre subsidiaire, que la somme due au titre de son préjudice moral soit portée à 350 000 euros.
Par un premier arrêt n°17NT02664 du 19 juillet 2019, la Cour administrative d’appel de NANTES :
- A jugé que les conditions de prise en charge de Mme A… par le centre 15 étaient constitutives d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement hospitalier, tout en constatant que l’absence de réalisation d’une thrombolyse était sans lien avec cette faute
- a censuré le jugement du tribunal administratif de Nantes en ce qu’il avait retenu la responsabilité du CHU de Nantes à raison d’un défaut d’information
- ne s’estimant pas en mesure d’apprécier si le retard de prise en charge et les coups portés par Mme A… avec sa tête sur la porte de ses voisins avaient pu avoir des conséquences défavorables sur l’évolution de l’AVC ni de quantifier une éventuelle perte de chance, a ordonné une mesure d’expertise sur ces deux points.
En ouverture de rapport, et sur la question de la responsabilité du CHU de NANTES et l’indemnisation des préjudices, estimé que
- Il résulte sans ambiguïté des conclusions du rapport de l’expert judiciaire désigné dans les conditions rappelées au point 3 que ni le retard avec lequel le CHU de Nantes a pris en charge Mme A…, ni le fait que celle-ci a été contrainte, en conséquence de ce retard, de heurter de la tête la porte de ses voisins pour obtenir de l’aide, n’ont eu d’impact sur l’évolution de l’AVC dont elle a été victime le 4 octobre 2010 et des séquelles qu’elle en a conservées.
- dans ces conditions, il n’est pas possible de retenir un lien de causalité entre le retard fautif de prise en charge de la patiente par le centre 15, le ou les coups portés en raison de ce retard par elle sur une porte, et les préjudices subis par Mme A….
- C’est, par suite, à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a indemnisé la CPAM de la Loire-Atlantique à hauteur des débours exposés par elle pour son assurée et Mme A… des préjudices résultant des séquelles de l’AVC dont elle a été victime, à l’exception du préjudice moral, dont le lien direct avec la faute commise par le SAMU dans la prise en charge de l’intéressée est établi.
Sur la question plus spécifique du préjudice moral, la Cour administrative d’appel de NANTES a considéré que
- Mme A… a été abandonnée par l’institution qui aurait dû lui porter secours alors qu’elle était dans un état de grande souffrance physique et morale et qu’elle avait conscience de la pathologie dont elle était atteinte et de l’urgence à intervenir.
- L’expert a indiqué à cet égard que » (…) la prise en charge réalisée par le SAMU 44 (…) a été particulièrement fautive. Les conversations ont été inadaptées, les questions très orientées et l’ensemble de cet appel reflète une absence totale d’humanité face à la détresse que pouvait ressentir Mme A…. «
- Mme A… a ainsi subi un préjudice moral spécifique, distinct des conséquences que la faute commise par le centre 15 aurait pu avoir sur la prise en charge de sa pathologie, et qui doit donc être indemnisé dans son intégralité.
- Dans les circonstances particulières de l’espèce, ce préjudice moral sera justement évalué à la somme de 40 000 euros, outre intérêts au taux légal.
Ainsi, le dommage corporel subi par la victime est uniquement la conséquence de l’AVC survenu, aucun défaut de prise en charge ne pouvant être retenu, le manque d’empathie et l’attitude du SAMU ont justifié l’indemnisation du préjudice moral qui en a découlé pour la victime.
Il sera intéressant de surveiller la position du Conseil d’Etat puisqu’un pourvoi a été formé contre cette décision.
Il n’est pas sans intérêt de rappeler que sur le plan déontologique, l’article 2 du Code de déontologie médicale (article R.4127-2 du code de la santé publique) énonce que :
« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité.
Le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort« .
L’engagement d’une action indemnitaire ne préjudice pas au dépôt d’une plainte disciplinaire.