Par dérogation aux dispositions de l’article 2224 du Code civil, l’article L. 137-2 du Code de la consommation, devenu L. 218-2 depuis le 14 Mars 2016, prévoit un délai de prescription limité à 2 ans pour la créance du professionnel contre un débiteur consommateur : « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans ».
En construction, ces dispositions ont vocation à s’appliquer, la Cour de cassation ayant déjà indiqué que « l’article L. 137-2 du code de la consommation dispose que l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, sans distinguer entre les biens meubles ou immeubles fournis par les professionnels aux consommateurs« , au sujet d’une VEFA (C.Cass., Civ. 1ère, 17 Février 2016, n° 14-29612).
Concernant le point de départ du délai de prescription, alors que l’article 2224 du Code civil énonce que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer« , concernant le contrat de louage d’ouvrage, la Cour de cassation a pu préciser que le délai de prescription biennale de l’article L. 137-2 du Code de la consommation commence à courir à compter de l’établissement de la facture (C.Cass., Civ. 1ère, Chambre civile 1, 3 juin 2015, 14-10908 : « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que le point de départ du délai de prescription biennale de l’action en paiement de la facture litigieuse se situait au jour de son établissement« ).
La prescription biennale de l’article L. 137-2 du Code de la consommation, devenu L. 218-2, a une portée générale et a vocation à s’appliquer sauf dispositions textuelles contraires (C.Cass., Civ. 3ème, 26 octobre 2017, 16-13591).
Elle a vocation à bénéficier aux consommateurs tels que définis à l’article liminaire du Code de la consommation, qui énonce :
« Pour l’application du présent code, on entend par :
– consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ;
– non-professionnel : toute personne morale qui n’agit pas à des fins professionnelles ;
– professionnel : toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui agit à des fins entrant dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole, y compris lorsqu’elle agit au nom ou pour le compte d’un autre professionnel »
Les maîtres d’ouvrage professionnels n’ont donc pas vocation à bénéficier de ces dispositions favorables. Mais la frontière entre professionnel et consommateur n’est pas toujours claire lorsque certains maîtres d’ouvrage réalisent des investissements immobiliers, au point de devenir une activité professionnelle dite « accessoire ».
La question a déjà été débattue en matière de crédit bancaire, où la qualité d’activité professionnelle a été retenue pour :
- des emprunteurs qui avaient souscrit un prêt afin d’acquérir, sous le statut de loueur en meublé professionnel, des lots de copropriété destinés à la location (Cass., Civ. 1ère, 8 Janvier 2020, n°17-27073)
- un emprunteur, qui exerce la profession habituelle de loueur en meublé à titre accessoire, où l’opération immobilière concernée comprenait l’acquisition de quinze lots de copropriété pour un montant total de deux millions d’euros, intégralement financée par des prêts, et où chaque lot était assorti d’un contrat de réserve location accompagné et d’un bail signé le même jour (Cass., Civ. 1ère, 23 Janvier 2019, n° 17-23917)
- un emprunt contracté pour l’acquisition de lots de copropriété destinés à la location et où l’emprunteur était inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur en meublé professionnel (Cass., Civ. 1ère, 25 janvier 2017, n°16-10105).
La question de l’activité professionnelle, même accessoire, présente aussi un intérêt pour la détermination du délai de prescription applicable à un constructeur, ce que souligne l’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 5 Mai 2021 (C.Cass., Civ. 1ère, 1, 5 mai 2021, n°19-20922).
En l’espèce, deux maîtres d’ouvrage ont fait édifier deux immeubles à usage d’habitation.
Suivant acte sous seing privé du 17 juin 2010, ils ont conclu un marché de travaux avec la société Entreprise Olival pour la réalisation du terrassement et du gros oeuvre.
Plusieurs factures émises le 11 mai 2012 n’ayant pas été réglées, la société les a mis en demeure et, le 19 août 2015, les a assignés en paiement et allocation de dommages-intérêts.
Les maîtres de l’ouvrage ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription biennale.
Par un arrêt en date du 7 Juin 2019, la Cour d’appel de PARIS a accueilli ce moyen de défense, en retenant que
- les maîtres de l’ouvrage sont des personnes physiques qui exercent les activités de restauratrice et cuisinier
- la construction de deux immeubles d’habitation en vue de la location d’appartements non meublés, même si elle est destinée à leur procurer des revenus, n’entre pas dans le champ de ces activités
- il s’agit donc de consommateurs, de sorte que l’action de la société intentée plus de deux ans après l’émission des factures est atteinte par la prescription biennale.
La Société a formé un pourvoi, qui est accueilli par la Cour de cassation, celle-ci
- rappelant que selon l’article L. 137-2 devenu L. 218-2 du code de la consommation, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans, et donc qu’il en résulte que cette prescription ne s’applique pas aux actions consenties pour les besoins d’une activité professionnelle, fût-elle accessoire
- estimant que la Cour d’appel avait retenu des motifs insuffisants à écarter l’éventualité que les maîtres de l’ouvrage aient agi dans l’exercice d’une activité professionnelle accessoire.
Les parties devront donc débattre de cette qualification d’activité professionnelle accessoire devant la Cour de renvoi.