A nouveau, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation vient conforter la conception extensive qu’elle entend donner à l’infection nosocomiale, réduisant d’autant le champ de l’aléa thérapeutique.
Cet arrêt doit intéresser « tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins » mentionné au I de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique, y compris une installation autonome de chirurgie esthétique qui constitue un service de santé, de sorte que celle-ci est aussi soumise à une responsabilité de plein droit en matière d’infections nosocomiales : C.Cass., Civ. 1ère, 8 Décembre 2021, n°19-26191).
A la différence de la jurisprudence initiale du Conseil d’Etat, la Cour de cassation n’a pas distingué entre le caractère endogène (les gènes proviennent du patient lui-même) ou exogène (les germes ont une origine étrangère au patient) de l’infection (C.Cass., Civ. 1ère, 4 avril 2006, n°04-17491). Selon la Cour de cassation, seul compte le rattachement aux soins (C.Cass., Civ. 1ère, 21 juin 2005, 04-12066), sachant que si la charge de la preuve pèse sur le patient, le recours aux présomptions est possible.
Récemment (C.Cass., Civ. 1ère, 6 Avril 2022, n° 20-18513), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation avait indiqué que ne sont pas pris en compte pour la qualification d’infection nosocomiale :
- l’existence de prédispositions pathologiques (et déjà en ce sens : (Cass., Civ. 1ère, 28 Janvier 2010, n° 08-20571)
- le caractère endogène du germe à l’origine de l’infection.
Dans l’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 5 Juillet 2023, la question soulevée était différente mais non moins intéressante (C.Cass., Civ. 1ère, 5 Juillet 2023,n° 22-19474) : la qualification d’infection nosocomiale peut-elle être encore retenue si en réalité l’infection figure parmi les risques connus des suites d’une intervention chirurgicale, et donc s’avérant être potentiellement un aléa thérapeutique ?
L’enjeu est important, tant
- pour l’établissement de santé qui peut s’exonérer de toute responsabilité
- que pour le patient qui se trouve confrontés aux critères du II de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique
si la qualification d’aléa thérapeutique prime.
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
- après avoir subi, le 18 mars 2016, une abdominoplastie au sein de la Clinique Sainte-Marie d’Osny, Mme [P] a présenté un hématome cicatriciel qui s’est secondairement infecté.
- Les 8 et 13 mars 2019, après avoir obtenu une expertise en référé Mme [P] a assigné en responsabilité et indemnisation la clinique et mis en cause la caisse primaire d’assurance maladie de l’Eure.
Par un arrêt en date du 5 Mai 2022, la Cour d’appel de ROUEN a déclaré la Clinique entièrement responsable de l’infection sous-cicatricielle contractée par Mme [P] au décours de l’abdominoplastie et de la condamner à lui verser différentes indemnités, aux motifs que, même si la survenance de l’hématome constituait une complication relevant d’un aléa thérapeutique, elle ne constituait pas une cause étrangère exonératoire de la responsabilité de plein droit pesant sur la clinique et que celle-ci devait réparer l’entier préjudice éprouvé par Mme [P].
La Clinique a formé un pourvoi
- Soutenant que les préjudices étaient imputables pour moitié à une infection nosocomiale et pour moitié à un aléa thérapeutique
- Reprochant à la Cour d’appel une violation de l’alinéa 2 de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique.
L’argumentation est rejetée par la Cour de cassation qui rappelle
- les dispositions du I, alinéa 2, de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique
- les termes de sa jurisprudence, à savoir que « doit être regardée, au sens de cette disposition, comme présentant un caractère nosocomial, une infection qui survient au cours ou au décours de la prise en charge d’un patient et qui n’était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s’il est établi qu’elle a une autre origine que la prise en charge«
et en déduit que « l’infection causée par la survenue d’un accident médical présente un caractère nosocomial comme demeurant liée à la prise en charge« , avant d’approuver le raisonnement de la Cour d’appel.
La Clinique doit donc indemniser l’entier préjudice.
Avec cette conception, la Cour de cassation développe une approche favorable aux victimes puisque :
- Les infections nosocomiales les moins graves (DFP < 26 %) peuvent donner lieu à un recours contre les établissements de santé sur la base d’un régime de responsabilité sans faute
- Le barème d’indemnisation de l’ONIAM est inférieur aux sommes susceptibles d’être obtenues de l’assureur d’un établissement de santé.