En application de l’article L. 241-1 du Code des assurances, dès lors qu’il est susceptible de voir sa responsabilité décennale engagée, pour son activité professionnel, tout constructeur doit souscrire une assurance garantissant son activité. Encore faut-il que les travaux réalisés correspondent bien aux activités déclarées.
Cette question revient régulièrement au travers de la jurisprudence de la Cour de cassation. Les enjeux sont importants puisque bien des années après la réception des travaux, une non-garantie risque d’être opposée pour activité non déclarée.
Sur la question des activités déclarées, la jurisprudence a déjà pu valider une non-garantie pour
- Une entreprise qui avait conclu un contrat de construction de maison individuelle alors qu’elle « avait souscrit un contrat d’assurance garantissant uniquement les travaux de techniques courantes correspondant aux activités déclarées de gros œuvre, plâtrerie – cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture- zinguerie, plomberie – installation sanitaire, menuiserie – PVC» (, Civ. 3ème, 18 octobre 2018, pourvoi n°17-23741)
- une entreprise générale qui sous-traite la totalité des travaux et exerce une mission de maîtrise d’œuvre (, Civ.3ème, 18 avril 2019, pourvoi n°18-14028)
- un sinistre en lien avec des travaux de couverture alors qu’avaient été souscrites les activités de maçonnerie, béton armé, structure et travaux courants (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Mars 2020, n°18-15164),
Les difficultés proviennent surtout des procédés techniques employés pour l’exercice de l’activité déclarée. Ainsi, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a déjà pu valider une non-garantie pour :
- Une entreprise qui « avait souscrit une police garantissant ses responsabilités civile et décennale en déclarant l’activité n° 10 « Etanchéité sur supports horizontaux ou inclinés exclusivement par procédé Paralon» alors qu’elle a « mis en œuvre un procédé d’étanchéité Moplas sbs et non un procédé Paralon » (, Civ. 3ème, 8 novembre 2018, pourvoi n°17-24488)
- Une entreprise souscriptrice qui n’avait pas réalisé ses travaux en respectant le procédé déclaré (procédé Harnois ; (, Civ. 3ème, 30 Janvier 2019, pourvoi n°17-31121: « la cour d’appel a exactement retenu qu’au regard de la réalisation de ce type de travaux, conformément à des techniques particulières nécessitant des compétences spécifiques que l’entrepreneur était supposé détenir à la date de la souscription de son contrat d’assurance, les parties avaient entendu limiter la garantie de l’assureur en sorte que le recours au procédé Harnois contenu dans la clause relative à l’objet du contrat ne constituait pas une simple modalité d’exécution de l’activité déclarée, mais cette activité elle-même »).
- Le procédé Harnois, impliquant des techniques particulières nécessitant des compétences spécifiques, que l’entrepreneur était supposé détenir à la date de la souscription de son contrat d’assurance, les parties avaient entendu limiter la garantie de l’assureur de sorte que le recours au procédé Harnois contenu dans la clause relative à l’objet du contrat ne constituait pas une simple modalité d’exécution de l’activité déclarée, mais cette activité elle-même (Cass., Civ.3ème, 16 Janvier 2020, n°18-22108).
Tout n’est cependant pas gagné pour l’assureur puisqu’en cas d’activités multiples, il faut vérifier si les désordres correspondent à une activité déclarée, ou non, l’assureur
- ne pouvant exclure sa garantie lorsque le désordre provient de manière prépondérante de l’activité déclarée qui est assurée (, Civ. 3ème, 9 Juin 2004, pourvoi n° 03-10173; Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, pourvoi n°18-18477), solution encore rappelée récemment (C.Cass., Civ. 3ème, 9 Juillet 2020, n° 19-13568)
- pouvant exclure sa garantie lorsque le dommage provient principalement de l’activité non garantie (C.Cass, Civ. 3ème, 12 Mai 2010, pourvoi n° 08-20544).
Reste à déterminer dans quelles conditions est appréciée l’adéquation entre l’activité réalisée et l’activité déclarée. Sur cette question, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient apporter des précisions (C.Cass., Civ. 3ème, 18 Janvier 2024, 22-22781).
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que :
- Mme [B] et M. [F] sont propriétaires d’une maison construite sur un terrain en pente sur lequel ils ont confié la réalisation de travaux d’enrochement à la société Bonnet et fils, assurée auprès de la SMABTP.
- De fortes précipitations survenues les 27 et 28 mai 2012 ont provoqué le déplacement du premier enrochement sur la voie d’accès et l’effondrement du second enrochement sur la parcelle voisine.
- Après une expertise judiciaire, ils ont assigné l’entrepreneur et son assureur aux fins d’indemnisation de leurs préjudices
- La SMABTP a opposé une non-garantie pour activité non déclarée.
Par un arrêt en date du 13 Septembre 2022, la Cour d’appel de RIOM a écarté la non-garantie opposée et a condamné la SMABTP, in solidum avec son assurée.
L’assureur a formé un pourvoi, invoquant une violation de l’article 1134 ancien du code civil, dans sa version applicable au litige, ensemble l’article L. 241-1 du code des assurances.
Sous le visa de ces dispositions, ainsi que celui-ci de l’article A. 243-1 du Code des assurances, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation censure l’arrêt de la Cour d’appel de RIOM.
Elle rappelle tout d’abord qu’il résulte de ces trois textes que « si le contrat d’assurance de responsabilité obligatoire que doit souscrire tout constructeur ne peut comporter des clauses et exclusions autres que celles prévues par l’annexe I à l’article A. 243-1 du code des assurances, la garantie de l’assureur ne concerne que le secteur d’activité professionnelle déclaré par le constructeur« .
Puis elle examine la motivation retenue par la Cour d’appel de RIOM pour écarter la non-garantie opposée. La motivation de la Cour d’appel est rappelée en détails, celle-ci ayant
- Retenu que les désordres provenaient des travaux d’enrochements exécutés par la société Bonnet et fils pour soutenir et stabiliser le terrain et que le périmètre d’activités garanties portait sur celles de démolition, terrassement, VRD, structure et travaux courants de maçonnerie, béton armé, ouvrages d’art et d’équipements industriels en béton armé, charpente en bois, couverture et zinguerie.
- relevé que la nomenclature des activités du bâtiment et des travaux publics de la fédération française des sociétés d’assurance datant du 18 décembre 2007, et donc applicable à la période de réalisation des travaux d’enrochement, ignorait l’activité propre d’enrochement mais définissait celle de terrassement dans les termes suivants « réalisation à ciel ouvert, de creusement, de blindage de fouilles provisoires dans des sols, ainsi que des travaux de rabattement de nappes nécessaires à l’exécution des travaux, de remblai et d’enrochement non lié et de comblement »
- retenu que, si cette nomenclature ne constituait qu’un document interne aux assureurs, elle permettait d’éclairer leur intention quant au contenu de leurs offres contractuelles de garantie
- déduit que la garantie d’assurance des activités de terrassement pouvait comprendre le recours à différentes techniques dont celle non formellement exclue ou distinguée de l’enrochement non lié.
- ajouté qu’à compter du 1er janvier 2013, à la suite d’une nouvelle nomenclature distinguant l’activité d’enrochement, la garantie d’assurance portant sur cette activité avait fait l’objet d’une offre dissociée et autonome par l’assureur, de sorte que la garantie des travaux d’enrochement s’intégrait jusqu’à cette date, conformément à la nomenclature alors disponible, dans l’offre contractuelle de garantie précédemment souscrite en 1999 au titre des travaux de terrassement.
Cependant, la Cour de cassation censure la Cour d’appel
- lui reprochant de ne pas avoir tiré les conséquences légales de ses propres constatations
- puisque les travaux d’enrochement exécutés par la société Bonnet et fils avaient pour fonction de soutenir et stabiliser le terrain surplombant la voie d’accès et la parcelle voisine et que l’assuré n’avait pas déclaré l’activité d’enrochement, distincte de celle de terrassement.
Ainsi, l’accent est mis sur la nature des travaux réalisés plutôt que la nomenclature de la FFSA.
Au moment de la souscription, l’assuré aurait du, en conséquence, nécessaire, faire preuve d’une vigilance accrue.
Pourrait néanmoins se poser la question de la responsabilité éventuelle de l’intermédiaire d’assurance ou de l’assureur, si le formulaire de déclaration des risques avait été correctement rempli.
Pour le constructeur et surtout son gérant, le risque est grand puisqu’il se trouve privé de toute garantie et s’expose
- à un risque pénal puisque, le fait de ne pas avoir souscrit d’assurance décennale est réprimé par des peines pouvant aller jusqu’à 6 mois d’emprisonnement et 75 000 € d’amende en vertu de l’article L. 243-3 du Code des assurances
- à un risque pour son patrimoine personnel puisque La Cour de cassation estime en effet qu’en ne souscrivant pas d’assurance décennale, le gérant a commis une « faute constitutive d’une infraction pénale intentionnelle, séparable comme telle de ses fonctions sociales« . Il « engage sa responsabilité civile à l’égard des tiers à qui cette faute a porté préjudice » ( Cass., Com., 9 Décembre 2014, pourvoi n° 13-26298).