Par un arrêt publié, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation vient de rappeler l’importance de la bonne tenue et de la conservation du dossier médical du patient, dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Elle vient ainsi confirmer sa jurisprudence.
La conservation du dossier médical d’un patient est notamment régie par l’article R. 1112-7 du Code de la santé publique, qui exige la conservation du dossier médical du patient pendant une durée de 20 ans. En cas de décès du patient, le dossier ne peut être détruit avant un délai de 10 ans à compter du décès du patient.
Ce délai de 20 ans est le minimum réglementaire. En cas de réclamation indemnitaire d’un patient, et au vu du risque d’une action en aggravation, les établissements de santé seront prudents en conservant au-delà de cette durée les dossiers médicaux, devenus sensibles.
Ces délais de conservation sont d’ailleurs suspendus dès l’introduction d’un « recours gracieux ou contentieux tendant à mettre en cause la responsabilité médicale de l’établissement de santé ou de professionnels de santé à raison de leurs interventions au sein de l’établissement ».
Rappelons aussi que les éléments devant être conservés au dossier médical sont précisés à l’article R. 1112-2 du Code de la santé publique.
Si la perte d’un de ces éléments devait survenir, cela peut porter atteinte aux droits du patient dans le cadre d’un éventuel recours précédé d’une expertise.
Le juge judiciaire a déjà estimé que la responsabilité d’un établissement de santé lors de la perte d’un dossier médical entraîne une perte de chance pour le patient de prouver la faute du praticien exerçant à titre libéral à l’origine de son entier dommage corporel (C.Cass., Civ. 1ère, 26 septembre 2018, pourvoi n° 17-20143).
En 2012, la Cour de cassation avait pu retenir une présomption de responsabilité à l’encontre d’un établissement de santé qui n’avait pas été en mesure de communiquer « l’enregistrement du rythme fœtal pendant plusieurs minutes » lors d’un accouchement, estimant que la clinique ne rapportait pas la preuve que « n’était survenu aucun événement nécessitant l’intervention du médecin obstétricien« , avant de retenir la faute de celle-ci (C.Cass., Civ. 1ère, 13 décembre 2012, pourvoi n°11-27347).
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation a l’occasion de confirmer sa jurisprudence par son arrêt du 16 Octobre 2024 (C.Cass., Civ. 1ère, 16 Octobre 2024, n°22-23433).
Les données factuelles sont relativement simples :
- le 16 mai 2012, M. [E] a subi une arthroscopie de hanche réalisée par M. [V], chirurgien orthopédiste
- Au cours de l’intervention, une rupture d’une broche guide métallique est survenue.
- Le 13 février 2014, en raison de la persistance de douleurs importantes, une arthroplastie a été pratiquée.
- Le 9 février 2018, après avoir obtenu une expertise en référé, M. [E] a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien.
- Son assureur, la société d’assurance médicale Insurance Company (MIC) est intervenue volontairement à l’instance.
Par un arrêt en date du 29 Septembre 2022, la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE a rejeté les demandes du patient, estimant que le patient ne rapportait pas la preuve d’une faute du chirurgien.
- [E] a formé un pourvoi.
Sous le visa des articles L. 1142-1, I, alinéa 1er, du code de la santé publique et 1353 du code civil, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation rappelle que
- Il résulte de ces textes que les professionnels de santé sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins en cas de faute et que la preuve d’une faute comme celle d’un lien causal avec le dommage invoqué incombe au demandeur.
- Cependant, dans le cas d’une absence ou d’une insuffisance d’informations sur la prise en charge du patient, plaçant celui-ci ou ses ayants droit dans l’impossibilité de s’assurer que les actes de prévention, de diagnostic ou de soins réalisés ont été appropriés, il incombe alors au professionnel de santé d’en rapporter la preuve.
Elle analyse ensuite les motifs par lesquels la Cour d’appel d’Aix en Provence avait rejeté la demande du patient, en se fondant sur le rapport d’expertise, et en retenant que
- la Société française d’arthroscopie (SFA) recommandait lors d’une arthroscopie de hanche de commencer l’intervention par une introduction d’air puis de sérum physiologique dans l’articulation afin de faciliter la distraction articulaire et la mise en place des dilatateurs articulaires,
- cette introduction n’était pas retranscrite dans le compte-rendu opératoire mais que le chirurgien avait indiqué y recourir systématiquement,
- l’état séquellaire de M. [E], en lien direct avec la rupture de la broche pouvait avoir deux origines distinctes, soit sa constitution anatomique, étant de surcroît atteint d’arthose, soit un manquement du chirurgien qui n’aurait pas suivi la recommandation de la SFA, ce qui ne constituait qu’une hypothèse, non avérée, de sorte que le patient n’établissait pas l’existence d’une faute du chirurgien.
Elle censure ensuite l’arrêt d’appel au motif « en l’absence d’éléments permettant d’établir que la recommandation précitée avait été suivie, il appartenait au médecin d’apporter la preuve que les soins avaient été appropriés« .
Ainsi, tout en rappelant le principe d’une responsabilité pour faute prouvée, la Cour de cassation confirme l’importance de pouvoir s’appuyer sur un dossier médical complet pour écarter toute responsabilité de l’établissement de santé car en cas de doute, le risque de condamnation pèse sur celui-ci.
La perte du dossier médical, ou son caractère incomplet, n’est pas en soi fautif mais prive l’établissement de santé d’opposer efficacement la charge de la preuve pesant sur le patient demandeur.
De son côté, le Juge administratif ne retient pas non plus une responsabilité systématique.
Déjà, la Cour administrative de Marseille avait pu estimer que la faute dans l’organisation du service commise par le centre hospitalier en perdant certaines pièces du dossier médical de la patiente n’était pas nécessairement à l’origine d’un préjudice car il n’était pas établi que « la perte de ces documents aurait été de nature à priver les praticiens d’informations indispensables à la mise en œuvre des soins qui ont été prodigués à la requérante alors que l’expert a pu retracer avec précision, trois années après les faits, au vu d’un dossier médical suffisamment exploitable même si certaines pièces en étaient absentes, la chronologie des examens et des interventions subis par la patiente ainsi que la nature des actes effectués par les praticiens du centre hospitalier » (CAA MARSEILLE, 13 Mars 2008, n° 06MA02741).
D’autres juridictions d’appel l’avaient suivies :
- CAA NANCY, 29 Janvier 2009, n°07NC00670 : faute, qui n’a généré aucun préjudice indemnisable propre, sans lien direct avec les préjudices dont les demandeurs réclamaient réparation et qui sont la conséquence du décès prématuré d’un proche ;
- CAA LYON, 23 Mars 2010, n° 07LY01554 : pas d’indemnisation au titre de la perte de chance sérieuse d’obtenir gain de cause dans les procédures judiciaires engagées par le patient mais indemnisation de son préjudice moral certain
Puis le Conseil d’Etat avait eu l’occasion d’énoncer que l’impossibilité de l’établissement de santé de communiquer aux experts judiciaires l’intégralité du dossier médical n’est pas en tant que telle, de nature à établir l’existence de manquements fautifs de l’établissement de santé dans la prise en charge du patient (CE, 1er Février 2022, n° 440852).
Cette faute doit être précisément identifiée : il s’agit bien de la perte totale ou partielle du dossier médicale et de l’impossibilité ensuite du patient de se prévaloir de ces éléments en expertise judiciaire.
L’hypothèse est différente de celle déjà jugée où la perte du dossier médical a entrainé un retard de diagnostic : CE, 19 mars 2003, n°195007 (perte de radiographiques qui ont entrainé un retard de diagnostic, générant une faute médicale et une faute dans l’organisation du service).