L’un des (nombreux) apports de la Loi du 4 Mars 2002 a été de prévoir l’intervention de la solidarité nationale pour les accidents médicaux non fautifs, avec l’article L. 1142-1, II du Code de la santé publique via l’ONIAM (Office Nationale d’Indemnisation des Accidents Médicaux).
Ainsi, les victimes subissant les conséquences les plus graves, et leurs ayants-droits en cas de décès, peuvent bénéficier d’une indemnisation par l’ONIAM, sous conditions :
- imputabilité directe à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins
- conséquences anormales pour le patient au regard de son état de santé comme de l’évolution prévisible de celui-ci
- caractère de gravité défini à l’article D. 1142-1 du Code de la santé publique (dont l’AIPP égale ou supérieure à 24%).
La référence à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins ne permettait pas d’exclure, en première lecture, les actes réalisés dans le cadre de la chirurgie esthétique. L’ONIAM s’était cependant opposée à une prise en charge, pour ne retenir que les actes de soins à visée thérapeutique.
Cette approche a été écartée par la 1ère Chambre de la Cour de cassation dans son arrêt du 5 février 2014 (C.Cass., Civ. 1ère, 5 Février 2014, n° 12-29140), indiquant que « les actes de chirurgie esthétique, quand ils sont réalisés dans les conditions prévues aux articles L. 6322-1 et L. 6322-2 du code de la santé publique, ainsi que les actes médicaux qui leur sont préparatoires, constituent des actes de soins au sens de l’article L. 1142-1 du même code« .
Le Législateur est cependant venu mettre fin à cette interprétation jurisprudentielle par la Loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015, introduisant un article L. 1142-3-1 du Code de la santé publique, dont le I était ainsi libellé :
« Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l’article L. 1142-1 et aux articles L. 1142-1-1 et L. 1142-15 n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi »
Particulièrement large, la formule conduisait à écarter du bénéfice de la solidarité nationale, non seulement les actes à finalité esthétique, mais aussi les interruptions volontaires de grossesse.
Pire, cette Loi précisait que l’article s’applique aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014, ce qui revenait en réalité à donner un effet rétroactif, en évitant toute référence au fait générateur.
Le dispositif, sévère, sera partiellement rectifié par l’article 185 de la Loi n°2016-41 du 26 janvier 2016, donnant lieu à la rédaction suivante, et toujours actuelle de l’article L. 1142-3-1 du Code de la santé publique :
« Le dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale mentionné au II de l’article L. 1142-1 et aux articles L. 1142-1-1 et L. 1142-15 n’est pas applicable aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité contraceptive, abortive, préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi »
Par son arrêt en date du 9 Décembre 2020, la 1ère Chambre civile a l’occasion
- de revenir sur l’application de cette exclusion
- de préciser la notion de réclamation au sens du II de l’article 70 de la Loi du 22 Décembre 2014.
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- Monsieur H. est décédé dans une Clinique après y avoir subi le 23 mai une intervention à visée esthétique et, le 25 mai, une intervention de reprise.
- Ses ayants droit ont sollicité une expertise judiciaire en référé, obtenue par une Ordonnance de référé en date du 17 Juillet 2013. Leur demande de provision a par contre été rejetée.
- ses ayants droits ont, par acte du 20 juillet 2015, assigné au fond notamment la clinique et l’ONIAM pour voir reconnaître que le décès de P… H… avait été causé par une infection nosocomiale contractée dans les locaux de la clinique et obtenir l’indemnisation de leurs préjudices.
Par un arrêt en date du 25 Octobre 2018, la Cour d’appel de NÎMES a mis à la charge de la Clinique l’indemnisation des ayants droit, en retenant que :
- si antérieurement au 31 décembre 2014, le juge des référés a été saisi par les consorts H… de demandes d’expertise médicale et de provision, il a vidé sa saisine par une ordonnance du 17 juillet 2013 accueillant la demande d’expertise médicale et rejetant la demande de provision
- la demande d’indemnisation devant le tribunal de grande instance a été formée par assignation du 20 juillet 2015, soit postérieurement au 31 décembre 2014.
Sur pourvoi de la Clinique, la Cour de cassation approuve le raisonnement en rappelant le contenu des articles L. 1142-1, I, alinéa 2 et L. 1142-1-1, 1° du Code de la santé publique, puis en indiquant que :
- S’il a été jugé que les actes de chirurgie esthétique, constituant des actes de soins, peuvent ouvrir droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale (1re Civ. 5 février 2014, n° 12-29.149, Bull. I, n° 21), la loi n° 2014-1554 du 22 décembre 2014 a, ensuite, créé l’article L. 1142-3-1, I, du code de la santé publique, écartant l’application du dispositif de réparation des préjudices subis par les patients au titre de la solidarité nationale notamment mentionné à l’article L. 1142-1-1, 1°, aux demandes d’indemnisation de dommages imputables à des actes dépourvus de finalité préventive, diagnostique, thérapeutique ou reconstructrice, y compris dans leur phase préparatoire ou de suivi et ainsi exclu une indemnisation au titre de la solidarité nationale dans le cas de dommages liés à des actes à visée esthétique.
- Cette Loi a, en outre, prévu à l’article 70, II, que l’article L. 1142-3-1, I, s’appliquerait aux demandes d’indemnisation postérieures au 31 décembre 2014.
La Cour d’appel est approuvée d’avoir retenu l’application de l’article L. 1142-3-1 du Code de la santé publique, illustrant l’application rétroactive de disposition à une situation réalisée bien antérieurement à son adoption.
Les établissements de santé doivent être vigilants sur ces questions puisqu’à défaut de prise en charge par l’ONIAM, c’est leur responsabilité qui sera recherchée, quelque soit la gravité des préjudices.
Dans cette affaire, le salut pour cette Clinique, et la perte pour les ayants-droit, sont venus sur le plan procédural.
En effet, la Cour d’appel avait mis l’indemnisation des ayants-droit à la charge de la victime, censurant le Jugement de 1ère instance en ce qu’il avait retenu la réparation de leurs préjudices au titre de la solidarité nationale.
Or, l’ONIAM n’avait formé aucune demande contre la Clinique, et les conclusions des ayants-droit avait été déclarées irrecevables en appel.
Sous le visa de l’article 954 du Code de procédure civile, la Cour de cassation :
- Rappelle qu’il résulte de ce texte que la partie qui conclut à l’infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu’elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance
- Souligne que la cour d’appel, qui n’était saisie d’aucune demande tendant à mettre à la charge de la clinique l’indemnisation des préjudices subis par les consorts H…, a violé le texte susvisé.
La censure n’implique cependant pas renvoi devant une Cour d’appel, la Cour de cassation estimant que la cassation n’implique pas qu’il soit de nouveau statué sur le fond.
Au final, les ayants-droit se trouve privé d’indemnisation.
Le patient ayant recours à la chirurgie esthétique doit donc être conscient de ces risques juridiques, raison pour laquelle une information renforcée est prévue aux articles L. 6322-2 et L. 6324-32 du Code de la santé publique.