La réception d’un ouvrage reste un moment clef et déterminant, tant sur le plan pratique, que juridique.
La réception vient mettre fin au lien contractuel entre les parties, sauf en ce qui concerne les réserves émises à ce moment.
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence par son arrêt du 25 Mai 2023 (C.Cass., Civ. 3ème, 25 Mai 2023, n° 22-10734).
Il est important pour le maître d’ouvrage de veiller à poser ses réserves en temps utile et de bien identifier les fondements invocables :
- soit le désordre est apparent et le maître d’ouvrage a omis de le porter en réserve lors de la réception (ou durant un délai de 8 jours en présence d’un maître d’ouvrage non assisté d’un professionnel lors de la réception dans le cadre d’un CCMI, en vertu de l’article L. 231-8 du CCH : (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-14511), ce qui implique un effet de purge, privant le MOA de tout recours contre le constructeur (et sauf son recours contre le maître d’œuvre au titre de son devoir de conseil pour la mission AOR)
- soit le désordre est réservé et alors la responsabilité du constructeur, tenue d’une obligation de résultat, peut être recherchée sur le fondement contractuel (Cass., Civ.3ème, 2 février 2017, 15-29420).
Ainsi, en présence de réserves à réception, il n’est, en principe, pas possible de se prévaloir de la responsabilité décennale du constructeur et donc de solliciter l’assureur décennal (soit l’assureur à la DOC), ce qu’elle avait déjà pu indiquer par un arrêt en date du 5 Novembre 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Novembre 2020, n° 19-16425).
La jurisprudence est cependant venue apporter un assouplissement à cette règle en limitant le caractère apparent d’un désordre aux seules hypothèses où le maître d’ouvrage est en mesure, au jour de la réception, d’en apprécier toute l’ampleur et toutes les conséquences :
- Cass., Civ. 3ème, 12 octobre 1994, n°92-16533 : « le maître de l’ouvrage peut demander sur le fondement de la garantie décennale à l’entrepreneur réparation des défauts qui, signalés à la réception ne se sont révélés qu’ensuite dans leur ampleur et leurs conséquences »
- Cass., Civ. 3ème, 16 septembre 2014, 13-21.063 : application pour la réception judiciaire : « Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les défauts de l’installation électrique n’avaient pas été révélés dans toute leur ampleur seulement lors de l’intervention, le 13 février 2009, du sapiteur que l’expert s’était adjoint et du creusement des tranchées dans le plâtre ayant fait apparaître notamment que les conducteurs étaient encastrés directement dans le plâtre sans aucune gaine, ce qui obligeait à une réfection totale de l’installation, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision«
- Cass., Civ. 3ème, 3 décembre 2002, n°00-22579 : « Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le dommage n’était apparu dans toute son ampleur qu’après la réception, et, partant, ne s’était pas révélé avant cette date dans toutes ses conséquences, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés
Cet assouplissement n’est cependant pas sans limites et le maître d’ouvrage doit être vigilant
Se pose cependant régulièrement la question de la précision et du lien du désordre dénoncé avec la réserve posée à réception.
Dans l’arrêt du 25 Mai 2023, les données factuelles étaient simples :
- la société Finapar a vendu à M. [K] et Mme [U] un appartement en l’état futur d’achèvement.
- La réception est intervenue le 22 novembre 2010, assortie de réserves concernant notamment l’étanchéité à l’air des menuiseries.
- Les locataires auxquels l’appartement avait été donné à bail s’étant plaints d’infiltrations d’eau et d’air par les fenêtres, M. [K] et Mme [U], ont, après expertise, assigné la société Finapar en réparation sur le fondement de la garantie décennale.
Par un arrêt en date du 18 Novembre 2021, la Cour d’appel de DOUAI a déclaré les maîtres d’ouvrage irrecevables à agir sur le fondement décennal aux motifs que
- les désordres étaient « en germe » et « prévisibles » lors de la réception avec réserves,
- ils ne relevaient pas de la garantie décennale.
Les maîtres d’ouvrage ont formé un pourvoi, soutenant que la Cour d’appel avait violé les articles 1792 et 1646-1 du Code civil, en écartant le fondement décennal alors qu’elle avait pourtant retenu que les désordres présentaient un caractère évolutif et n’étaient pas encore apparus dans toute leur ampleur et toute leur gravité lors de l’émission desdites réserves.
Ce pourvoi est rejeté, la 3ème Chambre civile relevant que la Cour d’appel
- avait constaté que les acquéreurs avaient émis des réserves à la réception sur l’étanchéité à l’air des menuiseries
- a souverainement retenu que, si les désordres réservés étaient de nature évolutive dès lors qu’ils étaient appelés à s’aggraver avec l’usage normal des fenêtres, ils étaient en germe et prévisibles dans leur ampleur et leurs conséquences dès la réception, le défaut d’étanchéité à l’air alors signalé emportant nécessairement un défaut d’étanchéité à l’eau, de sorte que ceux-ci étaient apparents à la réception.
Avant de l’approuver d’avoir « exactement déduit de ce seul motif que, relevant de la garantie des vices apparents, ces désordres ne pouvaient pas faire l’objet d’une action fondée sur la garantie décennale« .
Ainsi, malgré son caractère évolutif, le désordre pouvait déjà être appréhendé son ampleur et ses conséquences. Le caractère « connexe » de la réserve posée avec le désordre dénoncé doit être souligné.
Ainsi, seul le fondement de la responsabilité contractuel pouvait être invoqué, sans envisager de recours contre l’assureur décennal, avec les risques inhérents à ce fondement, et notamment le risque d’une absence de couverture assurantielle.