A la différence de la garantie responsabilité civile décennale, l’assurance dommage ouvrage peut être amenée à intervenir avant la réception de l’ouvrage lorsque, conformément aux dispositions de l’alinéa 8 de l’article L. 242-1 du Code des assurances, « après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d’ouvrage conclu avec l’entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations« .
L’assureur dommage ouvrage va donc alors être amené à garantir le paiement des réparations nécessaires.
Par extension, la résiliation du contrat de louage d’ouvrage sera caractérisée en cas de
- Cessation d’activité du constructeur (Cass., Civ. 1ère, 10 juillet 1995, n°93-13027)
- Placement en liquidation judiciaire du constructeur (Cass., Civ. 1ère, 3 mars 1998, n° 95-10293).
L’action contre l’assureur dommage ouvrage au titre de l’indemnisation des travaux réparatoires se prescrit par un délai de deux années : il s’agit de la prescription biennale prévue par l’article L. 114-1 du Code des assurances.
Si, concernant les désordres apparus après réception, la prescription biennale court à compter du jour où l’assuré a eu connaissance du désordre, la situation est plus délicate avant réception car alors se pose la question de la prise en compte de l’exigence de mise en demeure pour la computation des délais.
La Cour de cassation vient d’apporter une précision importante, par un arrêt motivé (C.Cass., Civ. 3ème, 13/02/2020, n°19-12281).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que:
- le 5 février 2003, M. et Mme Z… et la société Constructions artisanales de Seine-et-Marne (la société CASM) ont conclu un contrat de construction de maison individuelle
- La société CASM a signé un contrat d’architecte avec Mme Y…, assurée auprès de la MAF
- Une assurance dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Aviva assurances (la société Aviva).
- La société CASM a délivré aux acquéreurs une garantie de livraison obtenue auprès de la société GFIM, aux droits de laquelle se trouve la CGI BAT.
- Des difficultés étant survenues en cours de chantier, la société CASM a obtenu la désignation d’un expert.
- la Société CASM a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 24 juin 2008.
- et Mme Z… ont déclaré le sinistre à la société Aviva le 17 novembre 2008.
- Le 1er avril 2011, en cours d’expertise, la CGI BAT a conclu avec M. et Mme Z… une transaction prévoyant le versement d’une somme globale et forfaitaire en indemnisation du préjudice subi du fait de l’arrêt du chantier, s’ajoutant à la somme déjà réglée au titre des pénalités de retard, ainsi que sa subrogation dans les droits des maîtres de l’ouvrage à l’égard de l’assureur dommages-ouvrage et de l’architecte.
- Les 25 et 26 mai 2011, la CGI BAT a assigné en indemnisation la société Aviva, Mme Y… et la société MAF.
Par un arrêt en date du 28 Novembre 2018, la Cour d’appel de PARIS a rejeté la demande de la Société CGI BAT contre la Société AVIVA (assureur DO) comme étant prescrite, aux motifs que
- les maîtres de l’ouvrage avaient connaissance des désordres le 22 septembre 2006
- pour obtenir la garantie avant réception de l’assureur dommages-ouvrage, ils étaient tenus de mettre l’entreprise en demeure d’exécuter ses obligations et, faute par celle-ci de le faire, de résilier son contrat dans le délai de deux ans à compter du 22 septembre 2006,
- et Mme Z…, qui ont régularisé leur déclaration de sinistre auprès de l’assureur dommages-ouvrage, le 17 novembre 2008, plus de deux ans après la connaissance des désordres, sans l’avoir mise en demeure d’exécuter ses obligations ni résilier son marché, étaient prescrits en leur action,
- le placement en liquidation judiciaire de l’entreprise le 24 juin 2008 permettait aux maîtres de l’ouvrage d’agir en garantie dommages-ouvrage avant réception sans mise en demeure infructueuse et résiliation du marché de la société CASM, mais sans leur donner un nouveau délai de deux ans pour ce faire,
- la CGI BAT, subrogée dans les droits et actions de M. et Mme Z…, ne disposait pas de plus de droits que les maîtres de l’ouvrage de sorte que sa demande était prescrite.
La Société CGI BAT va former un pourvoi qui va être accueilli par la Cour de cassation, qui va
- statuer sous le visa des articles L. 114-1 et L. 242-1 du code des assurances
- rappeler que « si, pour les désordres apparus après réception, il est jugé que le point de départ du délai biennal est le jour où le maître de l’ouvrage a eu connaissance des désordres (1re Civ., 4 mai 1999, pourvoi n° 97-13198, Bull. 1999, I, n° 141), il en va différemment pour les désordres survenus avant réception, dès lors que c’est seulement lorsque, après mise en demeure, l’entreprise n’exécute pas ses obligations et que le contrat est résilié que la garantie de l’assureur dommages-ouvrage peut être recherchée pour les désordres de nature décennale«
- ajouter que « la formalité de la mise en demeure n’étant pas requise quand elle s’avère impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l’activité de l’entreprise (1re Civ., 23 juin 1998, pourvoi n° 95-19340, Bull. 1998, I, n° 222) ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d’ouvrage (1re Civ., 3 mars 1998, pourvoi n° 95-10293, Bull. 1998, I, n° 83), c’est cette circonstance qui constitue l’événement donnant naissance à l’action, au sens de l’article L. 114-1 du code des assurances, et, partant, le point de départ du délai de la prescription biennale«
- reprocher à la Cour d’appel d’avoir fait le courir le délai de prescription biennale depuis un point de départ antérieur à celle de l’évènement donnant naissance à l’action, alors qu’elle avait constaté que la résiliation du contrat n’était intervenue que le 24 juin 2008, date de l’ouverture de la liquidation judiciaire de l’entreprise.
Ainsi, l’action de la Société CGI BAT, subrogée, n’était prescrite que le 24 juin 2010, de sorte qu’au moment de la déclaration de sinistre au 17 novembre 2008, son action était encore recevable.
Ainsi, avant réception, ce n’est pas la connaissance du sinistre qui compte, mais la date de la mise en demeure adressée ou alors, la date de cessation d’activité de l’entreprise, ou encore son placement en liquidation judiciaire.
Prudence, un placement en liquidation judiciaire postérieurement à une mise en demeure ne permettra pas de repousser le point de départ de la prescription biennale.
Enfin, il sera utilement rappelé que l’opposabilité de la prescription suppose, en parallèle, le parfait respect des polices d’assurance avec les exigences de la Cour de cassation concernant la reproduction des articles L. 114-1 et L. 114-2 du Code des assurances (C.Cass., Civ.3ème, 28 Avril 2011, n° 10-16269) mais aussi des causes ordinaires d’interruption de la prescription (C.Cass., Civ. 3ème, 26 Novembre 2015, n° 14-23863).