Comment concilier respect des droits de la défense, principe du contradictoire, et secret médical ? C’est sur cette délicate question que le Conseil d’Etat vient de se prononcer, à travers le prisme du contentieux disciplinaire (CE, 15 Novembre 2022, n°441387). La portée de cette décision a cependant une portée large, et importante pour la pratique du contentieux du dommage corporel.
Surtout, cet arrêt est le pendant disciplinaire d’un arrêt important de la Chambre criminelle de la Cour de cassation (C. Cass., Crim., 16 Mars 2021, n° 20-80125).
Le secret médical est défini au travers de plusieurs dispositions du Code de la santé publique, et notamment l’article R. 4127-4 du Code de la santé publique qui énonce :
« Le secret professionnel institué dans l’intérêt des patients s’impose à tout médecin dans les conditions établies par la loi.
Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris »
Sont concernées par le secret médical les personnes visées à l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique : la définition donnée est très extensive, tant pour les personnes concernées que par les informations couvertes.
Cette définition est d’autant plus extensive qu’un arrêt récent de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 2ème, 30/09/2021, n°19-25045) a considéré qu’il appartient
- d’une part, au médecin conseil de l’assureur chargé de procéder à l’expertise d’une victime de communiquer à celle-ci les informations relatives à sa santé, recueillies au cours de l’expertise, qui sont formalisées ou ont fait l’objet d’échanges écrits entre professionnels de santé,
- d’autre part, à l’assureur auquel le médecin conseil a transmis des informations concernant la santé de la victime de s’assurer que ce médecin les a communiquées à celle-ci
Ainsi, le rapport du médecin – conseil missionné par l’assureur, sur la base duquel l’assureur va liquider les préjudices, fait son entrée dans le dossier médical du patient.
La violation du secret médical peut être sanctionné à plusieurs titres :
- sur le plan pénal : article 226-13 du Code pénal
- sur le plan civil : responsabilité délictuelle édicte par les articles 1240 et suivants du Code civil
- sur le plan ordinal : pour le médecin concerné (étant précisé que les fautes déontologiques sont imprescriptibles).
Le décès du patient ne libère pas le médecin du secret médical.
L’accès au dossier médical du patient est strictement encadré à des hypothèses précises, édictées par l’article L. 1111-7 du Code de la santé publique, avec renvoi l’article L. 1110-4 du même Code, qui exclut toute communication intégrale :
« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, son concubin ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. Toutefois, en cas de décès d’une personne mineure, les titulaires de l’autorité parentale conservent leur droit d’accès à la totalité des informations médicales la concernant, à l’exception des éléments relatifs aux décisions médicales pour lesquelles la personne mineure, le cas échéant, s’est opposée à l’obtention de leur consentement dans les conditions définies aux articles L. 1111-5 et L. 1111-5-1 »
L’hypothèse d’une renonciation expresse de l’assurée au profit d’un assureur a été acceptée par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 1ère, 29 Octobre 2002, n° 99-17187).
La jurisprudence de la Cour de cassation a d’ailleurs précisé qu’il n’était pas possible de contraindre un assuré à communiquer sous astreinte son dossier médical, le Juge ne pouvant que tirer les conclusions de l’absence de communication (C.Cass., Civ. 1ère, 15 Juin 2004, n° 01-02338).
Dans l’arrêt du 15 Novembre 2022 (CE, 15 Novembre 2022, n°441387), le Conseil d’Etat intervient comme Juridiction suprême du Juge disciplinaire. Les médecins relèvent d’une profession réglementée, soumise au contrôle ordinal, avec un Code de déontologie, repris dans le Code de la santé publique.
Il est important de souligner l’indépendance des procédures pénale et disciplinaire. De mêmes faits peuvent faire l’objet, ou non, d’une sanction par le Juge pénal (Tribunal correctionnel / Cour d’appel / Cour de cassation) et par le Juge disciplinaire (Chambre disciplinaire de 1ère instance / Chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins / Conseil d’Etat), sans que la règle non bis in idem n’y fasse obstacle (CE, 13 Février 2015, n°382019 ).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- A.B., assuré auprès de la société Macif assurances, a été victime le 7 octobre 2014 d’un accident de la circulation impliquant un poids-lourd assuré, auprès de la société Axa assurance.
- Il a fait l’objet d’une expertise médicale amiable réalisée par un médecin expert mandaté par la société Macif assurances, dont le rapport a été communiqué à celle-ci ainsi qu’à l’intéressé, puis transmis à la société Axa assurance.
- Ne souhaitant pas poursuivre la procédure amiable, M. A.B. a assigné la société Axa assurance devant le juge des référés du tribunal de Grenoble qui, le 29 juin 2016, a ordonné une expertise, confiée à un Expert judiciaire. L’Ordonnance de référé lui confiait notamment pour mission de recueillir « toute information orale ou écrite des parties : se faire communiquer puis examiner tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime« , tout en précisant que « la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l’accord de la personne concernée« .
- Les parties ont été convoquées aux opérations d’expertise, le 15 novembre 2016. Mme D… y assistait en qualité de médecin-conseil de la société Axa assurance. Au cours de la réunion, Mme D… a remis à l’expert judiciaire, le rapport du médecin – conseil mandaté par la MACIF, remise à laquelle M. A.B. s’est opposé.
L’affaire prend ensuite deux chemins : l’un pénal, l’autre disciplinaire.
Sur le plan pénal :
- Le 22 décembre 2017, M. A.B.. a fait citer directement Mme D… devant le tribunal correctionnel de Grenoble, du chef de violation du secret professionnel.
- Les juges du premier degré ont déclaré Mme D… coupable de ce délit, l’ont condamnée à 1 000 euros d’amende avec sursis et ont prononcé sur les intérêts civils.
- Mme D… a relevé appel de cette décision.
- la Cour d’appel l’a relaxé
La Cour de cassation relève que la Cour d’appel a retenu que :
- l’expert judiciaire, avait pour mission de procéder à l’expertise médicale de M. A.B. et notamment, « de se faire communiquer par le demandeur ou son représentant légal ou par un tiers avec l’accord de l’intéressé ou de ses ayants droits, tous documents utiles à sa mission ».
- d’une part, que Mme D… a affirmé à l’audience avoir, sur la sollicitation de l’expert judiciaire, communiqué ce document, puis en avoir repris possession après l’opposition de M. A.B., sans que l’expert ne l’utilise, et, d’autre part, que l’expert judiciaire a précisé, dans un courrier, qu’au cours de la réunion d’expertise, Mme D… lui avait proposé ce rapport et que, compte tenu de l’opposition de M. A.B et de son conseil à cette communication, il n’en avait pas tenu compte et ne l’avait mentionné à aucun moment dans l’expertise.
- il ne ressort pas de ces éléments que Mme D…, qui n’était pas partie à l’instance en référé, avait connaissance de l’intégralité de la mission confiée à l’expert judiciaire et notamment des mentions selon lesquelles devaient être écartées des débats toutes pièces médicales détenues par un tiers, sans l’accord exprès de M. A.B. ; que, compte tenu de cette incertitude, elle a pu valablement et sans que son comportement soit critiquable, remettre à l’expert le rapport litigieux et que la preuve d’une violation du secret professionnel n’est pas rapportée.
La Chambre criminelle censure les Juges d’appel aux motifs que :
« En se déterminant ainsi, alors qu’elle avait relevé que Mme O… avait remis volontairement à l’expert judiciaire un document médical, couvert par le secret, concernant M. F…, document qu’elle détenait en sa qualité de médecin-conseil de la société Axa assurance, sans avoir obtenu l’autorisation préalable de l’intéressé, faits susceptibles d’ouvrir droit à la réparation des préjudices de la partie civile, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé« , c’est-à-dire l’article 226-13 du Code pénal.
Cet arrêt rappelle l’importance de disposer de l’accord de la victime pour procéder à la diffusion de son dossier médical.
Sur le plan disciplinaire :
- A. B… a porté plainte devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l’ordre des médecins contre Mme D…, médecin-conseil désigné par la société Axa assurances, pour violation du secret médical dans le cadre de cette expertise judiciaire.
- Par une décision du 6 novembre 2017, la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes de l’ordre des médecins a infligé à Mme D… la sanction du blâme.
- La chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins, sur appel de Mme D…, a annulé cette décision et rejeté la plainte de M. B… par une décision du 16 mars 2020
- A.B s’est pourvu en cassation contre cette décision.
Sur le plan textuel, le Conseil d’Etat rappelle les dispositions
- De l’article L. 1110-4 du Code de la santé publique, y compris celles relatives au secret partagé au sens de la même équipe de soins
- De l’article R. 4127-4 du Code de la santé publique, relatif au secret professionnel
- De l’article 275 du Code de procédure civile, relatif à la communication des documents nécessaires à l’Expert judiciaire pour l’accomplissement de sa mission.
Il rappelle aussi le contenu de la mission confiée à l’Expert judiciaire par le Tribunal judiciaire de GRENOBLE, qui comprenait notamment le point suivant, classique en matière d’expertise, mentionnant que l’Expert judiciaire était chargé notamment de recueillir « toute information orale ou écrite des parties : se faire communiquer puis examiner tous documents utiles dont le dossier médical et plus généralement tous documents médicaux relatifs au fait dommageable dont la partie demanderesse a été victime« , tout en précisant que « la communication de toute pièce médicale à un tiers était subordonnée à l’accord de la personne concernée« .
Puis le Conseil d’Etat indique :
- Mme D…, médecin-conseil de la société Axa assurances, couvrant le poids-lourd impliqué dans l’accident dont a été victime M. A.B…, a communiqué à l’expert judiciaire désigné par le juge des référés le rapport d’expertise concernant M. A.B… réalisé lors de la procédure amiable par le médecin-conseil de la compagnie d’assurance de la société Macif assurances, auprès de laquelle M. A.B… était assuré, sans que M. B… n’ait donné son accord préalablement à cette communication.
- Selon la Chambre disciplinaire nationale, la communication d’un rapport d’expertise, réalisé dans le cadre de la procédure d’indemnisation amiable, par un médecin-conseil d’une compagnie d’assurance au médecin chargé d’une expertise médicale par le juge des référés d’un tribunal de grande instance aux fins d’évaluer le préjudice subi par une victime, sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable à une telle transmission, n’est pas constitutive d’une méconnaissance des dispositions susvisées, dès lors que l’obligation de respecter le secret médical s’appliquait aux deux médecins et que l’échange de telles données couvertes par le secret médical concourait à la bonne administration de la justice.
Avant de reprocher à la Juridiction disciplinaire d’appel d’avoir statué ainsi, alors qu’il résulte de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique cité au point 2 que le partage d’informations couvertes par le secret médical et nécessaires à la prise en charge d’une personne, entre professionnels de santé ne faisant pas partie de la même équipe de soins, requiert le consentement préalable de cette personne, ce à quoi l’article 275 du code de procédure civile ne permet pas, en tout état de cause, de déroger.
Selon le Conseil d’Etat, la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins a donc entaché sa décision d’erreur de droit. La décision du 16 Mars 2020 est donc annulée.
Il est donc important de veiller à recueillir préalablement l’accord du patient, quitte à tirer toutes les conclusions de son refus de communication.