Dans le courant de l’année 1994, Mme R… a confié à la société Opus, assurée auprès de la société AGF, devenue Allianz IARD (Allianz), la réalisation de travaux de réhabilitation et d’extension d’un immeuble.
Se plaignant de désordres, Mme R… a, après expertise, assigné la société Allianz en indemnisation de ses préjudices.
Par un arrêt en date du 7 Février 2018, la Cour d’appel de PARIS a notamment
- Limité la condamnation de la Société ALLIANZ au titre des désordres de nature décennale
- Appliqué la clause d’exclusion de garantie opposée par l’assureur concernant les travaux réalisés par son assuré ou les sous-traitants de celui-ci, pour la demande présentée à titre subsidiaire sur le fondement RC
- condamné la société Allianz à payer à Mme R… la somme de 6 000 euros au titre du trouble de jouissance, estimant que cette société doit indemniser ce chef de préjudice résultant des désordres dont la réparation lui incombe au titre de l’assurance de responsabilité obligatoire.
Ce sont ces 3 points qui ont fait l’objet d’un examen par la Cour de cassation au travers des pourvois formés respectivement par la maître d’ouvrage et l’assureur.
Sur l’activité garantie : l’activité déclarée de maçon n’emporte pas celle de couvreur :
La question des activités garanties revient régulièrement devant la Cour de cassation, preuve de l’importance de la question et des doutes qui peuvent subsister. La 3ème Chambre a pourtant accueilli le moyen de non garantie pour activités non déclarées concernant :
- Une entreprise qui avait conclu un contrat de construction de maison individuelle alors qu’elle « avait souscrit un contrat d’assurance garantissant uniquement les travaux de techniques courantes correspondant aux activités déclarées de gros œuvre, plâtrerie – cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture- zinguerie, plomberie – installation sanitaire, menuiserie – PVC» (, Civ. 3ème, 18 octobre 2018, pourvoi n°17-23741)
- Une entreprise qui « avait souscrit une police garantissant ses responsabilités civile et décennale en déclarant l’activité n° 10 « Etanchéité sur supports horizontaux ou inclinés exclusivement par procédé Paralon» alors qu’elle a « mis en œuvre un procédé d’étanchéité Moplas sbs et non un procédé Paralon » (, Civ. 3ème, 8 novembre 2018, pourvoi n°17-24488).
- Une entreprise souscriptrice n’avait pas réalisé ses travaux en respectant le procédé déclaré (procédé Harnois ; (, Civ. 3ème, 30 Janvier 2019, pourvoi n°17-31121)
- une entreprise générale qui sous-traite la totalité des travaux et exerce une mission de maîtrise d’œuvre (, Civ.3ème, 18 avril 2019, pourvoi n°18-14028).
Récemment encore, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a indiqué que le recours à un procédé technique spécifique (Harnois) contenu dans la clause relative à l’objet du contrat ne constituait pas une simple modalité d’exécution de l’activité déclarée, mais cette activité elle-même, pour écarter la garantie de l’assureur (C.Cass., Civ.3ème, 16 Janvier 2020, n°18-22108).
En cas d’activités multiples, il faut vérifier si les désordres correspondent à une activité déclarée, ou non, l’assureur
- ne pouvant exclure sa garantie lorsque le désordre provient de manière prépondérante de l’activité déclarée qui est assurée (, Civ. 3ème, 9 Juin 2004, pourvoi n° 03-10173; Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, pourvoi n°18-18477)
- pouvant exclure sa garantie lorsque le dommage provient principalement de l’activité non garantie (C.Cass, Civ. 3ème, 12 Mai 2010, pourvoi n° 08-20544).
En l’espèce, la Société la société Opus avait souscrit une garantie était limitée aux activités déclarées de « maçonnerie, béton armé, structure et travaux courants ».
Or, certains désordres étaient imputables à des malfaçons commises lors de travaux de toiture par l’entreprise sous-traitante de la société Opus.
La Cour d’appel avait donc estimé que
- les désordres qui entraient dans le champ d’application de la garantie décennale due par la société Allianz étaient imputables à des malfaçons commises lors de travaux de toiture par l’entreprise sous-traitante de la société Opus
- les seules activités déclarées par celle-ci à son assureur étaient « maçonnerie, béton armé, structure et travaux courants »
- l’activité de maçon n’emportait pas celle de couvreur.
Une telle position est approuvée par la Cour de cassation qui indique que « la société Allianz était fondée à opposer un refus de garantie pour tous les désordres affectant la toiture et ceux qui résultaient directement des travaux réalisés en toiture« .
Cela rappelle l’importance de bien identifier l’origine et les causes des désordres.
Sur l’exclusion de la garantie des travaux de l’assuré par l’assureur dans le cadre de la RC :
Hors clauses-types obligatoires, l’article L. 113-1 du Code des assurances permet à l’assureur, d’insérer des exclusions de garantie, à la condition que celles-ci demeurent formelles et limitées, c’est-à-dire selon la Cour de cassation :
- qu’elles ne soient pas ambigües, et donc sujette à interprétation (, Civ. 1ère, 22 mai 2001, n°99-10849: « une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée« )
- qu’elle ne doit pas vider la garantie souscrite de toute sa substance (, Civ. 1ère, 14 janvier 1992, n°88-19313).
Ainsi, en matière de « RC produits », la Cour de cassation a pu considérer comme formelle et limitée la clause qui écarte toute prise en charge pour les « dommages matériels subis par les travaux, ouvrages ou parties d’ouvrages exécutés par l’assuré, par les objets fournis et mis en œuvre par lui, ainsi que les frais et dépenses engagées pour la réparation de ces dommages » (C.Cass., Civ. 3ème, 7 novembre 2019, 18-22033). Le 14 Février 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 14 février 2019, n° 18-11101), la 3ème Chambre civile avait adopté une position similaire concernant une clause excluant de toute garantie « le coût de la réfection des travaux, de la remise en état ou du remplacement des produits livrés ou ouvrages exécutés qui ont été à l’origine des dommages ».
Au titre des préjudices consécutifs, peuvent être validées des clauses excluant toute prise en charge au titre du préjudice de perte d’exploitation, comme le rappelle la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 6 Février 2020 (C.Cass., Civ. 2ème, 6 Février 2020, n° 18-25377), considérant que la clause selon laquelle sont exclues « les pertes indirectes de quelque nature que ce soit, manque à gagner et paralysies » définissant expressément ce qui relève du préjudice de pertes d’exploitation, est formelle et limitée.
De même, sauf exceptions, dans le cadre de la responsabilité contractuelle, les contrats d’assurance souscrit par les locateurs d’ouvrage ne couvrent pas les désordres affectant les ouvrages en eux-mêmes (en ce sens, récemment : C.Cass., Civ. 3ème, 7 novembre 2019, 18-22033).
Cela peut valoir tant pour les travaux de l’assuré, que pour ceux réalisés par son sous-traitant, que l’arrêt du 5 Mars 2020 rappelle (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Mars 2020, n°18-15164).
En l’espèce, la maître d’ouvrage, faute de voir ses demandes aboutir sur le fondement décennal, avait présenté des demandes contre l’assureur sur le fondement RC, incluant la reprise des désordres.
L’assureur avait alors opposé une exclusion de garantie figurant au contrat de son assuré, selon laquelle ne peuvent être pris en charge, en RC, « les dommages aux ouvrages ou travaux que (l’assuré a) exécutés ou donnés en sous-traitance […] ainsi que les frais divers entraînés par ces dommages ».
La maître d’ouvrage faisait valoir que cette clause avait pour effet de vider le contrat de sa substance en excluant tout sinistre contractuel en rapport avec l’activité de l’assurée, en violation de l’article L. 113-1 du code des assurances et des articles 1103 et 1104 du code civil.
La Cour de cassation rejette le moyen, approuvant la Cour d’appel avoir estimé que cette clause
- qui laissait dans le champ de la garantie les dommages causés aux tiers
- était formelle et limitée.
La Cour de cassation confirme sa jurisprudence.
Sur le fondement légal d’une condamnation au titre du trouble de jouissance :
En application de l’article L. 241 et de l’Annexe n°II de l’article A. 243-1 du code des assurances, l’assureur à la date des travaux doit sa garantie pour toute condamnation au titre des travaux de reprise, sur le fondement décennal.
En outre, en vertu de l’annexe I à l’article A 243-1 du Code des assurances, l’assureur décennal doit garantir les dommages matériels liés aux travaux de réparation réalisés sur l’ouvrage affecté de désordres.
En effet il ressort des dispositions de cet article que « le contrat garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué ainsi que des ouvrages existants, totalement incorporés dans l’ouvrage neuf et qui en deviennent techniquement indivisibles, au sens du II de l’article L. 243-1-1 du présent code, lorsque la responsabilité de l’assuré est engagée sur le fondement de la présomption établie par les articles 1792 et suivants du code civil à propos de travaux de construction, et dans les limites de cette responsabilité ».
La distinction entre l’assureur RCD et l’assureur RC est importante car il pourra s’agir de deux entités différentes, en raison notamment d’une succession d’assureur dans le temps.
Récemment, la 3ème Chambre civile a rappelé (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Décembre 2019, n° 18-20181) que l’assurance obligatoire de la responsabilité du constructeur, qui garantit le paiement des travaux de réparation de l’ouvrage à la réalisation duquel l’assuré a contribué, ne s’étend pas, sauf stipulations contraires aux dommages immatériels.
En l’espèce, la Cour d’appel de PARIS avait condamné la société Allianz à payer à Mme R… la somme de 6 000 euros au titre du trouble de jouissance, estimant que cette société doit indemniser ce chef de préjudice résultant des désordres dont la réparation lui incombe au titre de l’assurance de responsabilité obligatoire.
A l’appui de son pourvoi, l’assureur faisait valoir que la garantie « garanties complémentaires à la responsabilité décennale » n’avait pas été souscrite.
Sous le visa des articles L. 241-1 et A. 243-1, dans sa rédaction applicable à la cause, du code des assurances, la Cour de cassation va censurer l’arrêt sur ce point, lui reprochant de ne pas avoir rechercher « comme il le lui était demandé, si les dommages immatériels étaient couverts par la police« .
La distinction est importante car le passage en RC permet d’opposer exclusion de garantie, plafond et franchise.