La constitution d’un groupement de maîtrise d’œuvre est fréquent en matière de marchés publics mais il est important pour chacun des membres constituant ce groupement d’en mesurer la portée et les conséquences. Du moins, il est important d’anticiper les difficultés pouvant être générées par les fautes ou carences d’un des membres du groupement. La simple qualification de « conjoint » ne suffit pas.
En effet, le Conseil d’Etat vient de rappeler l’importance de pouvoir identifier précisément les tâches incombant à chaque membre du groupement afin de pouvoir combattre l’imputabilité es désordres. A défaut, le reste du groupement sont susceptibles d’être recherchés en raison des fautes d’un de ses membres. Ainsi, revient la solidarité auquel l’un de ses membres pensait pouvoir échapper.
Il est donc important d’anticiper cette difficulté et distinguer au mieux la répartition des tâches entre chacun des membres du groupement, ce que le Conseil d’Etat rappelle par son arrêt du 12 Octobre 2023 (CE, 12 Octobre 2023, n°462994).
Le tableau de répartition des honoraires est insuffisant : il n’est que le reflet de négociations commerciales entre ses membres et ne place pas le Juge en mesure d’examiner les missions réalisées effectivement par chaque membre.
Le Conseil d’Etat a déjà pu estimer (CE, 28 Septembre 2011, n°337692) que
- « le tableau de répartition des rémunérations annexé à l’acte d’engagement ne pouvait être regardé comme constituant une convention de répartition des missions au sein du groupement de maîtrise d’œuvre«
- Les sociétés membres de ce groupement « ne pouvaient, dès lors, échapper à la condamnation solidaire en leur qualité de membres de ce groupement« .
Si un tableau des répartitions des missions et/ou missions a été formalisé, pour être opposable au maître d’ouvrage, il est nécessaire que ce tableau ait été contractualisé avec ce dernier (CE, 10 Février 1995, n°80255).
A ce sujet, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX (CAA BORDEAUX, 31 Décembre 2018, n° 16BX04191), a déjà indiqué :
« En l’absence de stipulations contraires, les entreprises qui s’engagent conjointement et solidairement envers le maître de l’ouvrage à réaliser une opération de construction, s’engagent conjointement et solidairement non seulement à exécuter les travaux, mais encore à réparer le préjudice subi par le maître de l’ouvrage du fait de manquements dans l’exécution de leurs obligations contractuelles. Un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les autres entreprises co-contractantes, au motif qu’il n’a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement, que si une convention, à laquelle le maître de l’ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l’exécution des travaux« .
La Cour administrative d’appel de PARIS a statué dans le même sens concernant la répartition des pénalités de retard entre membres du groupement (CAA PARIS, 8 Mars 2010, n° 08PA03503).
Dans l’arrêt du Conseil d’Etat du 12 Octobre 2023, les données factuelles étaient les suivantes :
- l’université Aix Marseille a décidé en 2010 la construction d’un centre européen de recherche en imagerie médicale (Cerimed) sur le site universitaire de la Timone, à Marseille
- l’université a délégué la maîtrise d’ouvrage à un groupement constitué par la société Études et Conseil Bâtiment Industrie (ECBI) et par la société Marseille aménagement, devenue la société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise (SOLEAM), qui a confié le 8 octobre 2010 la conception et la réalisation du projet à un groupement formé par la société GFC Construction, devenue la société Bouygues Bâtiment Sud-Est, la société Beterem Ingénierie, devenue la société TPF Ingénierie, la société Didier Rogeon architecte et la société Scott Tallon Walker architects.
- l’université a conclu le 25 juin 2009 avec la société Advanced Accelerator Applications (AAA) une convention autorisant cette société à occuper des locaux au sein du bâtiment, pour installer certains équipements par anticipation avant la fin des travaux.
- Ces locaux et leur contenu ont été gravement endommagés lors d’un incendie qui s’est déclaré le 27 octobre 2012 dans l’armoire générale basse tension.
Par un jugement n° 1605717 du 30 octobre 2020, le Tribunal administratif de MARSEILLE a condamné
- d’une part, la société Inéo Provence et Côte d’Azur à verser la somme de 20 992 euros à la société AAA et 430 215 euros à la société XL Insurance Company SE
- les sociétés TPF Ingénierie, Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects à garantir chacune la société Inéo à hauteur de 10 % de ces deux condamnation.
Par un arrêt du 9 février 2022 contre lequel les sociétés Didier Rogeon architecte, Scott Tallon Walker architects, Inéo Provence et Côte d’Azur et TPF Ingénierie se pourvoient en cassation, la Cour administrative d’appel de MARSEILLE a
- porté la somme de 20 992 euros, que la société Inéo Provence et Côte d’Azur, sous-traitante de la société GFC Construction, avait été condamnée par le tribunal administratif de Marseille à verser à la société AAA à la somme de 1 686 271,68 euros
- condamné solidairement les sociétés TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte à garantir la société Inéo Provence et Côte d’Azur à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à l’article 1er du jugement du 30 octobre 2020, tel que modifié par l’article 1er de son arrêt,
- annulé le jugement en tant qu’il a omis de statuer sur les frais d’expertise, et mis les frais d’expertise à la charge de la société Inéo Provence et Côte d’Azur à hauteur de 65 % et à la charge solidaire des sociétés TPF Ingénierie, Scott Tallon Walker architects et Didier Rogeon architecte à hauteur de 35 %.
Dans son arrêt en date du 12 Octobre 2023 (CE, 12 Octobre 2023, n°462994), le Conseil d’Etat rappelle d’abord que « la juridiction administrative est compétente pour connaître des appels en garantie de la société Inéo Provence et Côte d’Azur à l’encontre d’autres participants à l’exécution d’un même marché de travaux publics, qui ne sont pas liés avec elle par un contrat de droit privé » avant de retenir la responsabilité du groupement de maîtrise d’œuvre au titre de la survenance des désordres en raison « fautes dans la conception, la direction et la coordination des travaux imputables aux sociétés Didier Rogeon architecte, Scott Tallon Walker architects et TPF Ingénierie« .
Si les sociétés Didier Rogeon architecte et Scott Tallon Walker architects, la société Inéo Provence et Côte d’Azur et la société TPF reprochaient à la Cour administrative d’appel d’avoir commis une erreur en retenant leur responsabilité solidaire, le moyen est écarté par le Conseil d’Etat qui estime que
- « la cour a souverainement relevé que l’acte d’engagement entre l’université et le groupement conjoint avec mandataire solidaire ne comportait pas la répartition détaillée des prestations à exécuter par chacun des membres du groupement, puis en a déduit que chaque membre du groupement était tenu envers le maître d’ouvrage de l’exécution de l’ensemble des prestations contractuelles«
- « la cour n’a pas commis d’erreur de droit en condamnant solidairement les membres du groupement à garantir la société Inéo Provence et Côte d’Azur à hauteur de 35 % de la condamnation prononcée à son encontre«
Cette question est importante aussi pour la répartition des pénalités de retards entre les membres d’un groupement conjoint (CE, 2 Décembre 2019, n°422615).
La question est importante aussi du point de vue assurantiel puisque certains contrats d’assurance excluent de leur garantie les effets de la solidarité.
Ainsi, dès le stade pré-contractuel, ces questions doivent être appréhendées par toute société entendant participer à un groupement.