L’article 2219 du Code civil énonce que « la prescription extinctive est un mode d’extinction d’un droit résultant de l’inaction de son titulaire pendant un certain laps de temps« .
Bien souvent, la maîtrise des délais apparaît déterminante pour le pilotage d’une procédure et la gestion des risques.
Aux côtés de la suspension de la prescription prévue par les articles 2233 à 2239 du Code civil, figure l’interruption de la prescription définie aux articles 2240 et suivants du Code civil.
Schématiquement, la suspension arrête le cours de la prescription pendant un laps de temps donné puis (par exemple au dépôt du rapport d’expertise judiciaire), elle recommence à courir pour le temps restant. Au contraire, l’interruption de la prescription arrête le cours de la prescription lors d’un événement donné, et c’est ensuite un nouveau délai, identique au premier interrompu, qui recommence à courir (sauf, désormais rares hypothèses d’interversion de la prescription).
Plusieurs possibilités existent pour interrompre un délai de prescription. Si l’action en justice (requête ou assignation) vient spontanément à l’esprit, le Code civil envisage d’autres moyens.
Parmi ceux-ci figure la reconnaissance de créance par le débiteur : l’article 2240 du Code civil énonce en effet que « la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription« .
En cas de débiteurs solidaires, l’article 2245 du Code civil prévoit que la reconnaissance de la créance par l’un quelconque des débiteurs solidaires vaut interruption à l’égard de tous les autres.
Une créance peut cependant être contestée, totalement, ou seulement partiellement. L’effet interruptif de prescription de la reconnaissance peut-il alors s’appliquer, sachant que la reconnaissance n’est que partielle, et cela signifie en retour, qu’il n’y a pas reconnaissance pour le surplus.
Par son arrêt en date du 14 Mai 2020, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 14 mai 2020, n°19-16210) a l’occasion de revenir sur la portée de la reconnaissance partielle d’une créance.
Les données factuelles de l’affaire sont très simples : la société T…, aujourd’hui en liquidation judiciaire et représentée par M. V…, ayant effectué divers travaux d’aménagement d’un bâtiment agricole appartenant au GAEC […], l’a assigné en paiement de facture.
Par un arrêt en date du 11 Mars 2019, la Cour d’appel de RIOM a débouté la Société T… de sa demande en paiement,
- rappelant certes que « la reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, entraîne pour la totalité de la créance un effet interruptif qui ne peut se fractionner«
- mais qu’en l’espèce les acomptes « de 3 000 euros chacun les 19 février et 19 mars 2010 et un acompte de 4 000 euros le 23 mars 2011 » n’avaient pas interrompu la prescription motifs pris « que pour interrompre valablement la prescription en cours, ces règlements doivent témoigner de la reconnaissance par le GAEC […] de sa dette en totalité.
Le créancier a formé un pourvoi que la Cour de cassation accueille :
- énonçant, sous le visa de l’article 2240 du Code civil, que « selon ce texte, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription«
- ajoutant que « la reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, entraîne pour la totalité de la créance un effet interruptif qui ne peut se fractionner, la cour d’appel a violé le texte susvisé »
- reprochant à la Cour d’appel doit rejeter la demande en paiement au motif que pour interrompre valablement la prescription en cours, ces règlements partiels doivent témoigner de la reconnaissance par le débiteur de sa dette en totalité.
Ainsi, la prescription a été valablement interrompue.
Le débiteur, s’il entend contester une fraction de la créance, mais limiter son règlement à la fraction de ce qu’il estime dû, sera donc bien avisé de préciser que le versement de ces fonds intervient sous les plus expresses réserves, et en particulier sur le bien-fondé de la créance.
La Cour de cassation confirme par cet arrêt sa jurisprudence concernant l’effet interruptif de la reconnaissance partielle, ayant déjà statué en ce sens pour :
- une proposition de paiement échelonné, en remboursement d’un prêt (Cass., Civ. 1ère, 26 Avril 2017, n° 16-10245)
- une offre d’indemnisation présenté par un assureur, par l’intermédiaire de son Expert technique (Cass., Civ. 2ème, 3 Juillet 2014, n° 13-17449)
- une offre d’indemnisation présentée par un assureur, contenant de la part de celui-ci, une reconnaissance de garantie, fût-elle limitée à une somme inférieure à celle qui était réclamée, valant interruption de la prescription pour la totalité de la créance invoquée par l’assurée (Cass., Civ. 1ère, 22 mai 1991, n°88-17948)
- le versement d’une rente invalidité alors que le débat portait sur l’application de la revalorisation de celle-ci (Cass., Civ. 2ème, 16 novembre 2006, n°05-18287).
Prudence également pour l’assureur puisque la reconnaissance de mobilisation d’une de ses garanties vaut effet interruptif pour toutes les autres garanties (par exemple, pour une mobilisation de la garantie dommages matériels et une contestation sur le préjudice immatériel : C.Cass., Civ. 3ème, 17 septembre 2014, n°13-21747).