Dans quel délai et dans quelles conditions un fournisseur (constructeur, grossiste, concessionnaire…) peut-il effectuer un recours en garantie contre le fabricant lorsqu’il est mis en cause par l’acheteur final (consommateur, maître d’ouvrage…) ?
La réponse ne va pas sans difficultés au vu des positions divergentes des Chambres de la Cour de cassation et des difficultés pratiques que cela engendre.
Les enjeux sont pourtant importants et les risques bien réels.
Il y a unanimité sur l’application des dispositions de l’article 1648 alinéa 1er qui énonce que « l’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur dans un délai de deux ans à compter de la découverte du vice« .
Le débat vient sur le cadre temporel dans lequel ce délai est enfermé.
D’un côté, la 1ère Chambre civile et la Chambre commerciale de la Cour de cassation considère que la garantie des vices cachés doit être mise en œuvre dans le délai de la prescription quinquennale extinctive de droit commun, en application de l’article L. 110-4 du Code de commerce, commençant à courir à compter de la vente initiale (Article L. 110-4, I du Code de commerce : « Les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes« )
Ainsi, dans cette configuration, l’intermédiaire doit surveiller deux délais :
- Le délai de 2 années qui court à compter de la connaissance du vice, soit bien souvent le recours de son acheteur / maître d’ouvrage
- Le délai de 5 années qui court à compter de la vente conclue avec son propre fournisseur / fabricant.
Les deux délais ne se superposent pas parfaitement : l’intermédiaire peut être mis en cause par son acheteur au-delà du délai de 5 ans, et se trouve alors privé de tout recours contre son fournisseur.
Ont ainsi statué en ce sens :
- La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation par un arrêt en date du 6 Juin 2018 (Cass., Civ. 1ère, 6 Juin 2018, n° 17-17438) :
« Mais attendu que la cour d’appel a retenu, à bon droit, que le point de départ du délai de la prescription extinctive prévu à l’article L. 110-4 du code de commerce, modifié par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, courait à compter de la vente initiale, intervenue le 18 mars 2008, de sorte que l’action fondée sur la garantie des vices cachés, engagée les 9 et 10 février 2016, était manifestement irrecevable, l’action récursoire contre le fabricant ne pouvant offrir à l’acquéreur final plus de droits que ceux détenus par le vendeur intermédiaire »
- La Chambre commerciale de la Cour de cassation par un arrêt du 16 Janvier 2019 (Cass., Com., 16 Janvier 2019, n° 17-21477) :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’action en garantie des vices cachés, même si elle doit être exercée dans les deux ans de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription prévu par l’article L. 110-4 du code de commerce, qui court à compter de la vente initiale, ce dont il résultait que, les plaques de couverture ayant été vendues et livrées en 2003, l’action engagée par la société Vallade Delage le 29 juillet 2013, était prescrite, ce qui, peu important que la société Arbre construction se soit désistée de son appel sur ce point, interdisait de déclarer recevables ses demandes en garantie dirigées contre les sociétés Bois et matériaux et Edilfibro, la cour d’appel a violé les textes susvisés »
D’un autre côté, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation, par un arrêt du 6 Décembre 2018 (C.Cass., Civ. 3ème, 6 Décembre 2018, n° 17-24111) certes non publié, mais intéressant car il s’agit de la Chambre concernée par le contentieux de la construction, a estimé, sous le seul visa de l’article 1648 du Code civil, que « en statuant ainsi, alors que le délai dont dispose l’entrepreneur pour agir en garantie des vices cachés à l’encontre du fabricant en application de l’article 1648 du code civil court à compter de la date de l’assignation délivrée contre lui, le délai décennal de l’article L. 110-4 du code de commerce étant suspendu jusqu’à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l’ouvrage, la cour d’appel a violé le texte susvisé« .
La solution a le mérite de la simplicité et de la sécurité pour l’entrepreneur. En retour, il repousse dans le temps le moment où un fournisseur sera protégé de tout recours en garantie, pouvant ainsi nuire au principe de sécurité juridique.
Ensuite, par son arrêt en date du 24 Octobre 2019 (C.Cass., Civ. 1ère, 24 Octobre 2019, n° 18-14720), la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation confirme sa position et marque sa différence avec la 3ème Chambre civile.
Si cet arrêt n’est pas publié, il mérite néanmoins attention.
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- le 25 avril 2014, M. L… (l’acquéreur) a acquis de M. V… (le vendeur), au prix de 6 600 euros, un véhicule de type Renault Espace, mis en circulation le 12 août 2008 et présentant un kilométrage de 157 800 km
- le 6 juin 2014, en raison d’une perte de puissance du véhicule, il est apparu que la pompe haute pression de gasoil devait être changée en raison d’une usure prématurée
- après une expertise amiable, qui a conclu à l’existence d’un vice caché, imputable à la fabrication du véhicule, l’acquéreur a assigné le vendeur en résolution de la vente pour vice caché et indemnisation
- V… a sollicité la garantie de la société BPA (la société), auprès de laquelle il avait acheté le véhicule en juillet 2011 ; que cette dernière a assigné en garantie la société Renault (le constructeur), constructeur du véhicule.
Au travers de son pourvoi, le constructeur a sollicité sa demande de mise hors de cause et ainsi, de ne pas être renvoyé devant la Juridiction de renvoi. C’est l’occasion pour la Cour de cassation d’énoncer que :
- la garantie des vices cachés doit être mise en œuvre dans le délai de la prescription quinquennale extinctive de droit commun
- la prescription quinquennale extinctive de droit commun ayant couru, en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, à compter de la vente initiale intervenue en août 2008, l’action fondée sur la garantie des vices cachés, engagée contre le constructeur le 13 avril 2015, est irrecevable comme tardive.
En suivant le raisonnement de la Cour de cassation, le constructeur était donc à l’abri de tout recours dès le 12 Juin 2013, soit même antérieurement à la vente du 25 Avril 2014, dont il était demandé la résolution.
En conclusion, de manière plus générale, la jurisprudence de la 1ère Chambre civile et de la Chambre commerciale de la Cour de cassation ne peut qu’interpeller et amener à une réflexion approfondie sur la situation dans laquelle un intermédiaire, et notamment un constructeur, se trouvera, privé de recours en garantie, sans nécessairement de couverture assurantielle.
Vient à l’esprit l’adage « Actioni non natae non praescribitur » (pas de prescription de l’action avant sa naissance) : comment concevoir qu’une partie ne puisse assurer son recours en garantie alors qu’elle n’a pas été mise en cause à titre principal ? L’article 2232 du Code civil précise que « la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure« .
L’article 2224 du Code civil énonce quant à lui que « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer« . Pourquoi traiter différemment le commerçant et le non-commerçant ?
L’article L. 110-4, I, du Code de commerce, est taisant sur le point de départ du délai de prescription, au contraire de l’article 2224 du Code civil.
La jurisprudence de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a le mérite d’assurer un recours en garantie au vendeur / constructeur, dans un délai relativement bref, mais avec un point de départ flottant.
Reste le recours au droit à un procès équitable, sous le visa de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, au sujet duquel la CEDH veille à ce qu’un recours puisse demeurer effectif pour un justiciable (en ce sens CEDH, 11 Mars 2014, AFFAIRE HOWALD MOOR ET AUTRES c. SUISSE, Requêtes n° 52067/10 et 41072/11).
Dans l’immédiat, à réception, toute entreprise mise en cause sera bien avisée de vérifier au plus vite la date de la vente intervenue avec son fournisseur, pour, autant que faire se peut, suspendre le délai de 5 ans courant contre elle.