De nouveau, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation est revenue sur la notion de réception tacite par un arrêt – non publié – en date du 2 Mars 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mars 2022, n° 21-10048).
Cet arrêt vient rappeler que la réception tacite se déduit d’un faisceau d’indices avec une marge d’appréciation non négligeable laissée aux Juridictions du fond, tout en soulignant que
– le paiement des travaux n’est pas nécessairement une condition déterminante
– il n’y a pas de présomption de réception tacite.
La Cour de cassation a pu retenir une réception tacite pour :
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de son appartement avant l’achèvement des travaux et qu’à cette date, avait payé le montant des travaux déjà réalisés (, Civ. 3ème, 18 Mai 2017, pourvoi n°16-11260)
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de l’ouvrage et auquel aucune somme ne lui était réclamé au titre du solde du marché (, Civ. 3ème, 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-25415).
En retour, la 3ème Chambre civile a pu écarter la réception tacite
- au vu de l’allégation d’un abandon de chantier et, de manière concomitante, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux par le maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 4 avril 2019, pourvoi n°18-10412).
- aux motifs que l’absence de justification du paiement du coût des travaux réalisés et la contestation par le Maître d’ouvrage de la qualité de ceux-ci permettent de déduire son absence de volonté d’accepter l’ouvrage en son état lors de sa prise de possession (Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).
- en l’absence notamment de règlement du solde et de signature de l’attestation de bonne fin de travaux (Cass., Civ. 3ème, 16 Septembre 2021, n° 20-12372)
Elle a en outre pu préciser que
- lorsque la prise de possession et le paiement du solde sont identifiés à des dates différentes, il faut retenir la date du paiement du solde (Cass., Civ. 3ème, 12/11/2020 n°19-18213)
- Le paiement de la facture d’un locateur d’ouvrage est insuffisant pour caractériser une réception tacite et partielle faute de prise de possession du lot (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-18325)
- La seule prise de possession n’établit pas la volonté tacite du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Janvier 2022, n° 20-22835)
En l’espèce, sur le plan factuel et procédural
– M. et Mme [C] ont confié à la société Pol-Team, assurée pour sa responsabilité décennale auprès de la société QBE Insurance Europe Limited, aux droits de laquelle vient la société QBE Europe SA/NV (la société QBE), des travaux de rénovation et d’extension d’un immeuble à usage d’habitation.
– Se plaignant de l’inachèvement de l’ouvrage et de malfaçons, les maîtres d’ouvrage ont fait examiner les travaux par un technicien, puis par un huissier de justice.
– La société Pol-Team a été mise en liquidation judiciaire.
– Après une expertise judiciaire, les maîtres d’ouvrage ont assigné la société QBE aux fins d’indemnisation de leurs préjudices, invoquant notamment une réception tacite.
Par un arrêt en date du 14 Octobre 2020, la Cour d’appel d’AGEN a écarté la réception tacite pour rejeter les demandes des Epoux C. contre la Société QBE.
La Cour d’appel a
– relevé que que la société Pol-Team avait été convoquée à une réunion de réception, en présence d’un technicien mandaté par les maîtres d’ouvrage, à l’issue de laquelle aucune réception n’avait été prononcée, le technicien préconisant d’arrêter un calendrier des travaux nécessaires et conseillant à ses clients de ne les régler qu’une fois exécutés.
– a retenu que, loin d’accepter les travaux, les maîtres d’ouvrage ont fait intervenir un technicien et un huissier de justice pour les contester, compte tenu de l’ampleur des malfaçons et de l’inachèvement de l’immeuble, et constaté que la chartreuse était inhabitable et que les maîtres d’ouvrage n’avaient pu s’installer qu’après l’intervention d’une autre entreprise.
Les Maîtres d’ouvrage ont formé un pourvoi, alléguant que l’arrêt d’appel manquait de base légale au regard des articles 1792 et 1792-6 du code civil.
La 3ème Chambre civile a néanmoins rejeté le pourvoi, approuvant le raisonnement de la Cour d’appel, indiquant que
« Ayant souverainement retenu que les maîtres d’ouvrage, qui, en l’absence de prise de possession de l’ouvrage, n’étaient pas présumés l’avoir tacitement reçu, n’avaient pas eu la volonté non équivoque d’accepter les travaux de la société Pol-Team, elle n’était pas tenue de procéder à une recherche, que ses constatations rendaient inopérante, relative au paiement des travaux »
avant d’ajouter que l’assureur RCD ne devait pas sa garantie.
C’est donc l’absence de volonté non équivoque qui doit être recherchée, sans que la condition de paiement des travaux soient un élément nécessairement déterminant.