Signe de la délicatesse du sujet, la réception tacite revient de nouveau à l’examen devant la Cour de cassation. Les enjeux sont importants, notamment en cas d’abandon de chantier ou de faillite du constructeur.
Plusieurs décisions intéressant cette question ont été prononcées par la Cour de cassation durant l’année 2022.
S’ajoute l’arrêt – non publié – du 26 Octobre 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 26 octobre 2022, n°21-22011) de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation.
Déjà, cette année, (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mars 2022, n° 21-10048), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a pu rappeler que la réception tacite se déduit d’un faisceau d’indices avec une marge d’appréciation non négligeable laissée aux Juridictions du fond, tout en soulignant que
- le paiement des travaux n’est pas nécessairement une condition déterminante
- il n’y a pas de présomption de réception tacite.
La Cour de cassation a pu retenir une réception tacite pour :
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de son appartement avant l’achèvement des travaux et qu’à cette date, avait payé le montant des travaux déjà réalisés (, Civ. 3ème, 18 Mai 2017, pourvoi n°16-11260)
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de l’ouvrage et auquel aucune somme ne lui était réclamé au titre du solde du marché (, Civ. 3ème, 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-25415).
En retour, la 3ème Chambre civile a pu écarter la réception tacite
- au vu de l’allégation d’un abandon de chantier et, de manière concomitante, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux par le maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 4 avril 2019, pourvoi n°18-10412).
- aux motifs que l’absence de justification du paiement du coût des travaux réalisés et la contestation par le Maître d’ouvrage de la qualité de ceux-ci permettent de déduire son absence de volonté d’accepter l’ouvrage en son état lors de sa prise de possession (Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).
- en l’absence notamment de règlement du solde et de signature de l’attestation de bonne fin de travaux (Cass., Civ. 3ème, 16 Septembre 2021, n° 20-12372)
Elle a en outre pu préciser que
- lorsque la prise de possession et le paiement du solde sont identifiés à des dates différentes, il faut retenir la date du paiement du solde (Cass., Civ. 3ème, 12/11/2020 n°19-18213)
- Le paiement de la facture d’un locateur d’ouvrage est insuffisant pour caractériser une réception tacite et partielle faute de prise de possession du lot (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-18325)
- La seule prise de possession n’établit pas la volonté tacite du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Janvier 2022, n° 20-22835)
Encore plus récemment, la 3ème Chambre de la Cour de cassation a
- validé explicitement la possibilité d’une réception tacite avec une réserve (Cass., Civ. 3ème, 20 Avril 2022, n°21-13630) après l’avoir implicitement admise (C.Cass., Civ. 3ème, 19 octobre 2010, n°09-70715)
- souligné l’importance de la réception et de ses effets, en estimant que le vice était apparent lors de la réception tacite dont la date doit être fixée à la prise de possession de l’installation et de paiement du solde, et avait été couvert par une réception sans réserves car connu avant la réception sans que le maître d’ouvrage ne justifie ni ne détaille les travaux qui auraient pu lui laisser croire que le problème était résolu avant réception (Cass., Civ.3ème, 29 Juin 2022, n°21-17997).
Par son arrêt du 26 Octobre 2022, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation met l’accent sur le critère temporel pour écarter la réception tacite.
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que :
- par contrat du 10 mars 2006, Mme [X] [W] a confié à la société Bati Concepta, assurée auprès de la société Allianz, la réalisation de travaux de réaménagement d’un local en cabinet médical, le délai d’exécution étant fixé à deux mois.
- La société Bati Concepta a abandonné le chantier à la mi-avril 2006.
- Mme [X] [W] a, après expertise, assigné la société Bati Concepta et son assureur en réparation des désordres affectant les travaux exécutés et en indemnisation de ses préjudices immatériels.
Par un arrêt en date du 1er Juillet 2021, la Cour d’appel de MONTPELLIER a écarté le fondement décennal, en retenant notamment que
- Mme [X] [W] ne justifiait pas que les conditions de la réception tacite étaient réunies,
- elle avait contesté la qualité des travaux exécutés
- elle avait formé une demande d’expertise judiciaire portant sur les fautes commises par l’entrepreneur, qui avait abandonné le chantier en cours de travaux.
Mme [X] [W] a formé un pourvoi, soutenant que
- la réception tacite par le maître de l’ouvrage n’est pas soumise à la condition de l’achèvement des travaux
- la prise de possession de l’ouvrage et le paiement des travaux font présumer la volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de le recevoir.
Ce pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui approuve le raisonnement de la Cour d’appel de MONTPELLIER, rappelant la marge d’appréciation souveraine laissée aux Juges du fond.
La 3ème Chambre civile retient que la Cour d’appel a relevé que
- si le maître de l’ouvrage avait payé la totalité du prix des travaux exécutés, il avait fait constater par huissier de justice, le 16 mai 2006, soit moins d’un mois après l’abandon du chantier par l’entreprise, non seulement l’état d’avancement de ceux-ci mais aussi les malfaçons les affectant,
- il avait mis en demeure, le 23 mai suivant, la société Bati Concepta de lui rembourser une somme correspondant notamment aux travaux mal exécutés avant de solliciter en référé, une semaine plus tard, la désignation d’un expert judiciaire.
Avant d’énoncer que la Cour d’appel a souverainement retenu que « la contestation constante et quasi-immédiate de la qualité des travaux, suivie d’une demande d’expertise judiciaire portant sur les manquements de l’entrepreneur, était de nature à rendre équivoque la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci » pour écarter la réception tacite.
De nouveau, sont mises en exergue les difficultés de manipuler cette notion, ce qui ne peut que nuire à la sécurité juridique des justiciables.