L’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique prévoit l’intervention de la solidarité nationale, au travers de l’ONIAM, notamment pour « les dommages résultant d’infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l’article L. 1142-1 correspondant à un taux d’incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ».
Si le Conseil d’Etat avait déjà pu indiquer que ces dispositions « trouvent également à s’appliquer dans le cas où une infection nosocomiale a entraîné la perte d’une chance d’éviter de tels préjudices » (CE, 12 Mars 2014, n° 359473), il n’avait jamais été amené à se prononcer sur le mode de calcul à retenir pour la détermination de ce seuil d’intervention.
Par son arrêt du 12 Février 2020 (CE, 12 Février 2020, n° 422754), le Conseil d’Etat apporte une réponse étayée à ce titre, outre un rappel sur les conditions d’indemnisation de l’assistance tierce personne.
Tout d’abord, sur le mode de calcul du taux d’atteinte permanente à l’intégrité du patient et l’application de la théorie de la perte de chance, le Conseil d’Etat va confirmer sa jurisprudence tirée de son arrêt du 12 Mars 2014 (CE, 12 Mars 2014, n° 359473) :
- Rappelant les dispositions de l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique
- Indiquant que « ces dispositions, qui n’ont pas pour objet de définir les conditions dans lesquelles il est procédé à l’indemnisation du préjudice, mais de prévoir que les dommages résultant d’infections nosocomiales ayant entraîné une invalidité permanente d’un taux supérieur à 25 % ou le décès du patient peuvent être indemnisés au titre de la solidarité nationale, trouvent également à s’appliquer dans le cas où une infection nosocomiale a entraîné la perte d’une chance d’éviter de tels préjudices« .
Ainsi, l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique n’a pas vocation à intervenir pour la liquidation d’un préjudice, mais bien plutôt, et uniquement, de déterminer le seuil de compétence à partir duquel la solidarité nationale doit intervenir via l’ONIAM.
De plus, le Conseil confirme une jurisprudence pour laquelle l’article L. 1142-1-1 du Code de la santé publique était muet, n’ayant pas envisagé l’hypothèse de la perte de chance.
Puis, le Conseil d’Etat va examiner si, en l’espèce, il y avait bien de perte de chance :
- Relevant que la Cour administrative d’appel avait estimé que l’opération chirurgicale pratiquée sur Mme D… permet généralement une amélioration partielle ou totale de l’état de santé des patients ayant connu le même type d’accident ischémique
- Considérant qu’ainsi la Cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine, exempte de dénaturation
- Approuvant la Cour administrative d’appel d’avoir pu, sans erreur de droit, en déduire que, même s’il n’était pas certain que l’intervention chirurgicale aurait, en l’absence d’infection nosocomiale, amélioré davantage l’état de santé de Mme D…, cette infection avait néanmoins fait perdre à l’intéressée une chance d’amélioration de cet état de santé.
La perte de chance était consacrée.
Il restait à déterminer si le seuil d’intervention de l’ONIAM était rempli. C’est là tout l’apport de l’arrêt qui énonce que pour l’application des dispositions de l’article L. 1142-1-1 du code de la santé publique dans l’hypothèse où une infection nosocomiale est à l’origine d’un préjudice constitué d’une perte de chance, le préjudice est indemnisé au titre de la solidarité nationale lorsque le taux d’atteinte permanente à l’intégrité du patient, calculé par la différence entre
- d’une part, la capacité que l’intéressé aurait eu une très grande probabilité de récupérer grâce à l’intervention en l’absence de cette infection
- d’autre part, la capacité constatée après consolidation du préjudice résultant de l’infection,
est supérieur à 25%.
L’état de santé présenté par la victime ne suffit pas. Il faut reconstituer celui qui aurait été le sien en l’absence d’infection nosocomiale, et examiner la différence qui en résulte.
Ce mode de calcul, certes parfois très théorique, rend quasiment indispensable le recours à une expertise judiciaire, et nécessite de bien appréhender dès ce stade ces questions, pour ensuite pouvoir en débattre au fond.
En l’espèce, le Conseil d’Etat va approuver l’évaluation de la Cour administrative d’appel en estimant que :
« Pour déterminer le taux d’incapacité permanente dont Mme D… reste atteinte, la cour a retenu que l’acte chirurgical qui était prévu avait une très grande probabilité, compte tenu du jeune âge de la patiente, de permettre sa guérison quasi-totale. En déterminant le taux d’atteinte permanente, conformément à la méthode décrite au point 4, par rapport à la capacité que Mme D… aurait très probablement pu récupérer grâce à l’intervention et en l’absence d’infection nosocomiale, la cour n’a pas commis d’erreur de droit »
La méthode de la Cour administrative d’appel est validée.
Ensuite, par contre, la Cour administrative d’appel est censurée pour avoir écarté toute prise en compte des majorations de rémunérations dues à l’assistance tierce personne pour les dimanches, jours fériés et pour les congés payés, au motif qu’en l’espèce, l’assistance nécessaire à la jeune victime était assurée par un membre de sa famille.
Le Conseil d’Etat rappelle fermement que
- « Lorsque le juge administratif indemnise dans le chef de la victime d’un dommage corporel la nécessité de recourir à l’aide d’une tierce personne, il détermine le montant de l’indemnité réparant ce préjudice en fonction des besoins de la victime et des dépenses nécessaires pour y pourvoir«
- « Il doit à cette fin se fonder sur un taux horaire permettant, dans les circonstances de l’espèce, le recours à l’aide professionnelle d’une tierce personne d’un niveau de qualification adéquat, sans être lié par les débours effectifs dont la victime peut justifier«
- « Il n’appartient notamment pas au juge, pour déterminer cette indemnisation, de tenir compte de la circonstance que l’aide a été ou pourrait être apportée par un membre de la famille ou un proche de la victime« .
Le Conseil d’Etat confirme donc que le caractère familial de l’assistance tierce personne procuré est indifférent dans la liquidation de ce poste de préjudice (CE, 22 Février 2010, n° 313333).