Dans un arrêt du 24 septembre dernier bénéficiant de la plus large publication, la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation a clarifié la situation des victimes d’accidents de la circulation survenus dans un état membre de l’Union Européenne.
La problématique était la suivante : les victimes françaises d’accidents survenus dans un Etat membre de l’Union Européenne, peuvent-elles bénéficier d’une prise en charge de leurs préjudices dans le cadre des dispositions de l’article 706-3 du code de procédure pénale devant les Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions ?
On rappellera ici les dispositions de cet article :
« Toute personne, y compris tout agent public ou tout militaire, ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d’une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, lorsque sont réunies les conditions suivantes :
1° Ces atteintes n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 53 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2001 (n° 2000-1257 du 23 décembre 2000) ni de l’article L. 126-1 du code des assurances ni du chapitre Ier de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation et n’ont pas pour origine un acte de chasse ou de destruction des animaux susceptibles d’occasionner des dégâts ;
2° Ces faits :
-soit ont entraîné la mort, une incapacité permanente ou une incapacité totale de travail personnel égale ou supérieure à un mois ;
-soit sont prévus et réprimés par les articles 222-22 à 222-30, 224-1 A à 224-1 C, 225-4-1 à 225-4-5, 225-5 à 225-10, 225-14-1 et 225-14-2 et 227-25 à 227-27 du code pénal ;
3° La personne lésée est de nationalité française ou les faits ont été commis sur le territoire national.
La réparation peut être refusée ou son montant réduit à raison de la faute de la victime. »
Au vu de ce texte, sont exclues du bénéfice des dispositions de l’article 706-3 du code de procédure pénale, les victimes qui bénéficient d’une prise en charge dans le cadre des dispositions de la loi du 5 juillet 1985 relative à l’amélioration des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation.
A défaut d’une telle prise en charge, ce qui est notamment le cas lorsque l’accident est survenu hors du territoire national, la victime française recouvre le droit de solliciter l’indemnisation de ses préjudices devant la CIVI.
Une nuance devait cependant être apportée et une distinction faite entre les victimes d’un accident hors le territoire français mais sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne, et les victimes d’accidents hors territoire français et hors Etat membre de l’Union Européenne.
En effet, s’agissant des accidents de la circulation survenus sur le territoire d’un Etat membre de l’Espace Economique Européen ainsi que les Etats ayant adhéré au système dit de la « carte verte », depuis le 20 janvier 2003, une procédure spécifique d’indemnisation a été mise en place par la IVème directive du 16 mai 2000 transposée en droit interne par l’article 83 de la Loi du 1er août 2003 relative à la sécurité financière.
Ainsi, les victimes françaises d’accidents survenus sur le territoire d’un Etat membre de l’Union Européenne peuvent désormais obtenir la prise en charge de leurs préjudices par l’assureur du véhicule impliqué via le représentant en France de cet assureur en application de l’article L 310-2-2 du code des assurances, et à défaut d’assurance ou de réponse de l’assureur dans les délais prescrits par l’article
L 424-2 du Code des assurances, par le Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages en application des articles L 421-1 et L 424-1 du code des assurances.
Plusieurs Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions et Cours d’appel (CA VERSAILLES 02 juin 2016; CIVI SOISSONS 4 avril 2017; CA ANGERS 12 septembre 2017; CIVI TOULOUSE 28 septembre 2017; CA DOUAI 15 novembre 2018; CA TOULOUSE 14 JUIN 2018; CA VERSAILLES 16 mai 2019) avaient déjà jugé que la transposition de cette directive permettait aux victimes d’accidents de la circulation survenus sur le territoire d’un Etat membre de l’UE ou adhérent au système de la carte verte, de bénéficier d’un régime d’indemnisation identique à celui prévu par la Loi du 5 juillet 1985.
Et par voie de conséquence, ces mêmes victimes, indemnisées au titre d’un régime spécifique, devaient être, logiquement, exclues du bénéfice de la solidarité nationale et de la prise en charge prévue sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale.
Dans son arrêt du 24 septembre 2020 (n°19-12.992), la deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation valide cette position dans le cadre d’un attendu de principe très explicite, libellé dans les termes suivants :
« 4. Les dommages susceptibles d’être indemnisés par le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) en application des articles L. 421-1 et L. 424-1 à L. 424-7 du code des assurances, sont exclus de la compétence de la commission d’indemnisation des victimes d’infractions telle qu’elle résulte de l’article 706-3 du code de procédure pénale, peu important que le FGAO intervienne subsidiairement, en présence d’un assureur du responsable susceptible d’indemniser la victime.
5. Après avoir constaté que l’accident de la circulation dont a été victime B… Y… s’était produit au Portugal, Etat partie à l’Union européenne, et avait impliqué un véhicule conduit par un ressortissant portugais et assuré au Portugal, la cour d’appel a exactement retenu que cet accident relevait de la compétence du FGAO, désigné comme organisme d’indemnisation par l’article L. 421-1 du code des assurances, peu important la vocation subsidiaire de ce fonds en présence d’un assureur du responsable susceptible d’indemniser la victime, ce qui excluait la compétence de la CIVI telle quelle résulte de l’article 706-3 du code de procédure pénale.
6. La cour d’appel en a justement déduit que la requête en indemnisation présentée par les consorts Y… auprès de la CIVI était irrecevable. »
Il est donc désormais parfaitement clair que les accidents survenus dans un Etat membre de l’Union Européenne avec un véhicule régulièrement assuré, ne relèvent absolument pas de la compétence de la Commission d’indemnisation des victimes d’infractions sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale.
C’est donc, soit à l’assureur du véhicule impliqué ou son représentant en France, soit, à défaut, au Fonds de Garantie des assurances obligatoires de dommages, dans le cadre des missions qui lui sont dévolues au titre de l’article L 421-1 du code des assurances, que les victimes devront s’adresser pour la prise en charge de leurs préjudices.