L’action directe permet de poursuivre l’assureur d’un responsable en vertu des dispositions de l’article L. 124-3 du Code des assurances. La jurisprudence judiciaire s’est assouplie au fil du temps, en dispensant de rechercher préalablement la responsabilité de l’assurée, ou de déclarer sa créance au passif de la liquidation judiciaire.
Reste cependant à composer avec la dualité juridictionnelle française.
En effet, alors que :
- La responsabilité du titulaire d’un marché public de travaux relève de la compétence du juge administratif
- Le Juge judiciaire redevient compétent dès que le contrat unissant le constructeur à un assureur est un contrat de droit privé (l’action directe contre l’assureur est donc rare puisque le contrat ne sera qualifié de droit que s’il répond à la définition de l’article 2 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001).
La solution est bien établie et suivie par :
- La Cour de cassation (Cass., Civ. 1ère, 9 Juin 2010, pourvoi n° 09-13026).
- Le Conseil d’état (CE, Avis, 31 mars 2010, n° 333627)
- le Tribunal des conflits (arrêt en date du 15 Avril 2013, n° C3892).
Dans cette configuration, l’action directe contre l’assureur suppose préalablement une consécration de la responsabilité de l’assuré.
C’est si vrai que l’assureur pourra se prévaloir d’une décision du Juge administratif mettant hors de cause son assuré, pour faire échec à l’action directe, comme l’a statué la Cour de cassation dans son arrêt du 14 Juin 2012 (C.Cass., Civ. 2ème, 14 juin 2012, n°10-17239).
« Qu’en statuant ainsi, alors que, d’une part, un assureur de responsabilité ne peut être tenu d’indemniser le préjudice causé à un tiers par la faute de son assuré, que dans la mesure où ce tiers peut se prévaloir contre l’assuré d’une créance née de la responsabilité de celui-ci, et que la décision de la juridiction administrative déboutant la commune de sa demande en indemnisation profite dès lors à l’assureur ; que, d’autre part, le juge judiciaire, saisi de l’action directe de la victime contre l’assureur, n’est pas autorisé à se prononcer sur la responsabilité de l’assuré lorsque celle-ci relève d’une juridiction administrative, la cour d’appel a violé les textes susvisés »
Le Juge judiciaire ne peut donc pas se prononcer sur la responsabilité d’un constructeur titulaire d’un marché public (C.Cass., Civ. 1ère, 9 juin 2010, n°09-13026).
Cette solution a été confirmé par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 Novembre 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 21 Novembre 2019, n° 18-21931),
Le sursis à statuer s’impose dans l’attente de la décision du Juge administratif, et cela conformément aux dispositions de l’article 49 du Code de procédure civile.
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient de confirmer cette jurisprudence par son arrêt du 26 Novembre 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 26 Novembre 2020, n° 19-21742) en l’appliquant à l’assureur Dommage-Ouvrage.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que
- dans la perspective de la construction d’un bâtiment, le Groupe hospitalier intercommunal du Raincy-Montfermeil (le GHIRM) a souscrit une assurance dommages-ouvrage auprès de la société PFA, aux droits de laquelle vient la société Allianz IARD.
- Il a confié une mission de contrôle technique à la société Véritas, devenue Bureau Véritas, assurée auprès de la société MMA, et la réalisation de différents lots à la société Balas Mahey, assurée auprès de la SMABTP, à la société Missenard Quint, assurée auprès de la société MMA IARD (la société MMA), à la société Sogelberg ingénierie, devenue Thales développement et coopération, assurée auprès de la société Axa, et à la société Les Chantiers modernes. Cette dernière a chargé les sociétés Asten, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), et Fermolor, assurée auprès de la société Generali IARD (la société Generali), de la réalisation de certains travaux.
- Un arrêt d’une cour administrative d’appel a condamné les constructeurs à payer différentes sommes au GHRIM et à la société Allianz au titre de la réparation de désordres.
- Un arrêt et un jugement de juridictions judiciaires ont condamné la société Allianz à payer différentes sommes au groupe hospitalier pour la reprise de plusieurs désordres.
La société Allianz a assigné en garantie divers constructeurs et les assureurs.
La Cour d’appel a rejeté les demandes de la Société ALLIANZ, Assureur DO, contre les assureurs des constructeurs, pour plusieurs désordres, aux motifs que
- pour chacun des désordres, il revenait à la société Allianz, pour obtenir la condamnation des assureurs, de justifier que la responsabilité des constructeurs assurés qu’elle mettait en cause avait été reconnue par la juridiction de l’ordre administratif, seule compétente pour statuer sur la responsabilité des constructeurs engagés dans un marché de travaux publics.
- la société Allianz n’établissait pas l’existence d’une décision d’une juridiction de l’ordre administratif consacrant la responsabilité des constructeurs assurés.
Sur pourvoi de l’assureur DO, la 3ème Chambre civile approuve l’arrêt d’avoir rejeté les demandes en garantie de la Société Allianz :
« La cour d’appel, qui n’a pas adopté les motifs du tribunal sur la recevabilité des demandes de la société Allianz, en a déduit à bon droit abstraction faite de motifs surabondants sur la teneur des décisions des juridictions administratives relativement à la nature des désordres, que les demandes en garantie de la société Allianz devaient être rejetées »
L’assureur DO, qui dispose des mêmes droits que le maître d’ouvrage ne peut donc échapper aux règles de compétence que ce dernier doit respecter. Le passage par le Juge administratif est un préalable nécessaire afin d’envisager un recours sur l’action directe devant le Juge judiciaire.