Par un arrêt publié en date du 19 Mars 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 19 mars 2020, n°18-25585), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a l’occasion de revenir sur :
- Les contours de la responsabilité de l’architecte et de ses missions, en particulier sur le choix des entreprises choisis par celui-ci et soumises au maître d’ouvrage
- La validité des clauses d’exclusion de solidarité contenue dans les contrats d’architecte, hors responsabilité décennale.
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- en vue de la construction d’un atelier d’agencement, la société SRK a chargé la société Rochatic, assurée par la MAF, d’une mission de maîtrise d’œuvre complète
- selon contrats du 26 juillet 2012, le maître d’ouvrage a confié à la société FGTP, placée en redressement judiciaire depuis le 20 juillet 2011, les travaux de terrassement, VRD et espaces verts.
- reprochant à la société FGTP de n’avoir pas respecté les prescriptions du marché lors de la réalisation des travaux de terrassement, la société SRK a, le 12 décembre 2012, résilié les contrats confiés à cette société, qui a été placée en liquidation judiciaire le 17 avril 2013.
- après expertise, la société SRK a assigné la société Rochatic et son assureur, ainsi que le liquidateur de la société FGTP, en réparation des préjudices découlant des non-conformités et désordres apparus avant réception.
Par un arrêt en date du 11 Octobre 2018, la Cour d’appel de RENNES a notamment :
- estimé qu’il n’incombait pas à la Société ROCHATIC, en tant qu’architecte, de vérifier la solvabilité du constructeur mais qu’en revanche, sa responsabilité était engagée pour avoir laissé les travaux se poursuivre alors qu’elle avait constaté l’absence de conformité des travaux réalisés, ce qui avait justifié la résiliation du marché par le MOA
- limité la responsabilité de la société Rochatic à hauteur de 50 % et fait application de la clause d’exclusion de solidarité.
I. Sur l’absence de responsabilité de l’architecte concernant la vérification de la solvabilité du constructeur :
La mission de l’architecte (ou du maître d’œuvre) implique t’elle que celui-ci vérifie la solvabilité du locateur d’ouvrage choisi par le maître d’ouvrage ?
La réponse ne s’imposait pas avec évidence tant l’obligation de conseil a pris de l’ampleur ces dernières décennies.
Elle était d’autant moins évidente que la Cour de cassation a déjà retenu la responsabilité pour faute de l’Architecte
- Qui avait conseillé le choix d’une société, non assurée et en difficulté financière (Cass., Civ. 3ème, 11 avril 2012, n°10-28325)
- Qui ne vérifie pas si le constructeur bénéficie d’une couverture assurantielle (Cass., Civ. 3ème, 17 décembre 1997, n°96-11813), mais sans lui imposer de vérifier l’attestation produite (C.Cass., Civ. 3ème, 22 septembre 2004, n°02-13847).
En l’espèce, à l’appui de son pourvoi, le maître d’ouvrage
- Invoquait l’article G 3.5.2 alinéa 2 du Cahier des Clauses Générales du contrat d’architecte qui énonçait que « l’architecte déconseille le choix d’une entreprise si elle lui parait ne pas présenter les garanties suffisantes ou ne pas justifier d’une assurance apte à couvrir ses risques professionnels »
- Faisait valoir que l’architecte chargé d’une mission complète de maîtrise d’oeuvre est tenu à un devoir de conseil envers le maître de l’ouvrage quant au choix des entreprises qu’il choisit, lui imposant de vérifier si lesdites entreprises présentent les garanties suffisantes à savoir leur compétence et leur solidité financière
La Cour d’appel de RENNES avait estimé s’il était établi que la société FGTP était en redressement judiciaire depuis le 20 juillet 2011, soit un an avant la conclusion du contrat avec la société SRK, il n’incombait pas à l’architecte de vérifier la solvabilité des entreprises qu’il choisissait. La Cour de cassation approuve ce raisonnement, confirmant que l’architecte n’a pas commis de manquement à son devoir de conseil.
La Cour de cassation avait déjà opté pour une telle position dans un arrêt plus ancien du 7 juillet 2015 (C.Cass., Civ. 3ème, 7 Juillet 2015, n° 14-19543).
II. Sur la responsabilité de l’architecte pour avoir accepté la poursuite du chantier malgré l’absence de conformité des travaux réalisés, justifiant la résiliation du marché :
Le CCAP liant le maître d’ouvrage à la Société FGTP, constructeur, prévoyait une indemnité contractuelle d’interruption du contrat.
Le maître d’ouvrage avait demandé que cette indemnité soit mise à la charge de l’architecte.
La Société SRK avait demandé que cette indemnité soit mise à la charge de l’architecte mais la Cour d’appel l’avait déboutée, estimant que
- Cette indemnité est due par la société FGTP en application de l’article 4-10 du CCAP
- La résiliation du contrat de la société FGTP par le maître de l’ouvrage n’est pas imputable à la société ROCHATIC et l’indemnité ne sera pas mise à sa charge.
A l’appui de son pourvoi, le maître d’œuvre a invoqué un défaut de suivi du chantier imputable à l’architecte qui serait à l’origine de la décision de résilier le contrat du constructeur.
Le moyen est accueilli par la Cour de cassation qui censure l’arrêt d’appel sous le visa de l’article 1147 dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, rappelant qu’aux termes « de ce texte, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part« .
La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation reproche à l’arrêt d’appel :
- D’avoir rejeté la demande d’indemnisation au motif que la résiliation du contrat par le maître de l’ouvrage n’est pas imputable à l’architecte
- Alors que l’architecte avait accepté la poursuite du chantier malgré l’absence de conformité des travaux réalisés, laquelle avait motivé la résiliation du marché par le maître d’ouvrage.
L’architecte est donc susceptible de supporter tout ou partie de pénalité prévue au marché du constructeur : l’enjeu n’est pas négligeable puisque cette pénalité peut être déterminée en proportion du montant du marché (l’arrêt de la Cour d’appel de RENNES mentionne une indemnité à titre de dommages et intérêts égale à 15% du marché de base, soit en l’espèce 50 404,12 €) auquel il est pourtant tiers.
Il s’agit d’une nouvelle illustration du défaut de suivi de chantier par l’architecte.
Pour sa défense, celui-ci pourra rappeler que :
- L’obligation de suivi du chantier n’est qu’une obligation de moyen (Cass., Civ. 3ème, 19 février 2002, n°00-21723)
- Le suivi du chantier n’implique pas sa présence quotidienne sur site (Cass., Civ. 3ème, 4 mai 2016, n°15-14671 et n°15-18717).
IIII. Sur la validité de la clause d’exclusion de solidarité hors responsabilité décennale
Le risque pour l’architecte, en cas d’arrêt du chantier par abandon du constructeur ou liquidation judiciaire de celui-ci, est de devoir supporter seul l’indemnisation des préjudices (en particulier avec un recours en garantie inefficace en cas de liquidation judiciaire). Le risque est d’autant plus important qu’une réception tacite ou judiciaire ne pourra être caractérisée.
Afin de limiter ces conséquences, les conditions particulières des contrats d’architecte renvoient très fréquemment à des Conditions Générales. Plusieurs modèles sont d’ailleurs téléchargeables sur le site de l’Ordre des Architectes.
La Cour de cassation a considéré comme valable une clause d’exclusion de solidarité
- excluant la prise en charge des dommages imputables aux autres participants à l’acte de construire (Cass., Civ. 3ème, 19 Mars 2013, pourvoi n° 11-25266).
- En cas de condamnation in solidum ( Cass., 8 Février 2018, pourvoi n° 17-13596).
- Malgré son imprécision, appliquée aux condamnations in solidum (Cass., Civ. 3ème, 14 février 2019, 17-26403).
Il faut rappeler que cette clause d’exclusion de solidarité ne peut trouver à s’appliquer en matière d’assurance obligatoire, c’est-à-dire en cas de condamnation sur le fondement décennal (C. Cass., Civ. 3ème, 18 Juin 1980, pourvoi n°78-16096).
En l’espèce, à l’appui de son pourvoi, le maître d’ouvrage a développé le moyen suivant, articulé en deux branches :
- Une telle clause serait abusive au sens de l’article L. 132-1 du Code de la consommation
- La clause n’interdisait pas la condamnation de l’architecte à l’indemniser de son entier préjudice.
Sur la question du caractère abusif de la clause, la Cour de cassation se contente de relever que la question n’avait pas été soutenue devant les Juges du fond. Mais par un arrêt en date du 7 Mars 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 7 mars 2019, n°18-11995), la 3ème Chambre civile avait déjà pu indiquer qu’une telle clause « ne vidait pas la responsabilité de l’architecte de son contenu, puisqu’il devait assumer les conséquences de ses fautes et sa part de responsabilité dans les dommages, sans pouvoir être condamné pour la totalité des dommages« .
Sur l’application de la clause et son interprétation, la Haute juridiction
- Rappelle que la clause prévoyait que « l’architecte ne peut être tenu responsable de quelque manière que ce soit, et en particulier solidairement, des dommages imputables aux actions ou omissions du maître d’ouvrage ou des autres intervenants dans l’opération faisant l’objet du présent contrat »
- en déduit que, en application de cette clause, la responsabilité de l’architecte était limitée aux seuls dommages qui étaient la conséquence directe de ses fautes personnelles, en proportion de sa part de responsabilité.
La Cour de cassation confirme ainsi, une fois de plus, sa jurisprudence.