La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a eu l’occasion de revenir, par son arrêt non publié du 16 Septembre 2021 (C.Cass., Civ. 3ème, 16 Septembre 2021, n° 20-12372), de revenir sur deux questions importantes sur le plan pratique en droit de la construction, à savoir :
- le délai de prescription applicable au recours du maître d’ouvrage contre un sous-traitant, avant réception
- la réception tacite.
Les enjeux demeurent toujours importants.
Les données factuelles intéressant cet arrêt du 16 Septembre 2021 sont les suivantes :
- la société des Iris a commandé à la société Ruaux technique énergie (société Ruaux), assurée auprès de la société Axa France IARD, la fourniture et la pose de panneaux photovoltaïques à intégrer à la toiture d’un bâtiment agricole.
- Les panneaux, fournis par la société Quénéa énergies renouvelables, ont été posés par M. [S], assuré auprès de la société Allianz IARD.
- Des infiltrations affectant la couverture du bâtiment sont apparues en mars 2010.
- Par actes des 2, 3, 4, 5 et 6 mai 2016, la société des Iris a assigné aux fins d’expertise les intervenants à l’acte de construire et leurs assureurs.
Par un arrêt en date du 24 Octobre 2019, la Cour d’appel de CAEN a notamment
- écarté la réception tacite des ouvrages
- rejeté le moyen tiré de la prescription opposé par Monsieur S.
Premièrement, concernant le délai de prescription applicable au recours d’un maître d’ouvrage contre un sous-traitant, la 3ème Chambre civile s’inscrit dans le prolongement de son arrêt du 13 Mars 2020 (C.Cass., Civ. 3ème, 19 Mars 2020, n° 19-13459), retenant le délai de prescription quinquennal pour le recours du maître d’ouvrage contre le constructeur, pour un recours engagé au titre de désordre survenu avant réception. Ainsi, la Cour de cassation :
- avait écarté la prescription décennale de l’article 1792-4-3 du Code civil
- a rappelé qu’avant l’entrée en vigueur de la Loi du 17 Juin 2008, la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur quant aux désordres de construction révélés en l’absence de réception se prescrivait par dix ans à compter de la manifestation du dommage (Cass., Civ. 3ème, 24 mai 2006, n° 04-19716) et qu’ainsi le délai d’action contre le constructeur, initialement de trente ans, avait ainsi été réduit
- a énoncé que désormais l’article 2224 du Code civil prévoit un délai de 5 ans pour les actions personnelles et mobilières, et que ce délai est repris par l’article L. 110-4 du Code de commerce
Dans ces conditions, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel d’avoir « retenu que le délai de prescription applicable en la cause était celui de cinq ans prévu par ces textes et que ce délai avait commencé à courir à compter du jour où la société Bouygues avait connu les faits lui permettant d’exercer son action à l’encontre de la société STPCL, soit le jour de l’assignation en référé du 25 mars 2010 ».
Se posait donc désormais la question la question du délai de prescription applicable au recours du maître d’ouvrage contre le sous-traitant. Ceux-ci ne sont pas liés contractuellement et le maître d’ouvrage doit donc agir sur le fondement délictuel des articles 1240 et 1241 du Code civil.
En l’espèce, Monsieur S., sous-traitant, s’est opposé aux demandes de la Société des Iris en invoquant la prescription quinquennale, pour conclure à l’irrecevabilité de la demande dirigée à son encontre.
Pour écarter ce moyen, la Cour d’appel de CAEN a
- déclaré recevable l’action en responsabilité du maître de l’ouvrage à l’encontre du sous-traitant
- estimé que l’absence de réception de l’ouvrage n’en laisse pas moins subsister la responsabilité délictuelle du sous-traitant, laquelle se prescrit par dix ans à compter de l’exécution des travaux.
L’arrêt est censuré sur ce point, sous le visa des articles 1792-4-3 et 2224 du code civil, la Cour de cassation énonçant que :
- selon le premier de ces textes, qui ne saurait recevoir application lorsqu’aucune réception de l’ouvrage n’est intervenue, les actions en responsabilité contre les constructeurs et leurs sous-traitants, à l’exception de celles qui sont régies par les articles 1792-3, 1794-1 et 1792-4-2 du même code, se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.
- selon le second, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer
- en l’absence de réception, l’action en responsabilité du maître de l’ouvrage à l’encontre du sous-traitant se prescrit par cinq ans à compter de la manifestation du dommage.
Tant le recours du MOA contre le constructeur que celui contre un sous-traitant sont soumis à un délai de prescription quinquennal qui court à compter de la manifestation du dommage (avec des discussions devant le Juge du fond concernant la connaissance de celle-ci), la seule différence venant du fondement, l’un contractuel, l’autre délictuel.
Deuxièmement, cet arrêt revient sur la question de la réception tacite, question récurrente devant les Juridictions.
La Cour de cassation a pu retenir une réception tacite pour :
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de son appartement avant l’achèvement des travaux et qu’à cette date, avait payé le montant des travaux déjà réalisés (, Civ. 3ème, 18 Mai 2017, pourvoi n°16-11260)
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de l’ouvrage et auquel aucune somme ne lui était réclamé au titre du solde du marché (, Civ. 3ème, 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-25415).
En retour, la 3ème Chambre civile a pu écarter la réception tacite
- au vu de l’allégation d’un abandon de chantier et, de manière concomitante, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux par le maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 4 avril 2019, pourvoi n°18-10412).
- aux motifs que l’absence de justification du paiement du coût des travaux réalisés et la contestation par le Maître d’ouvrage de la qualité de ceux-ci permettent de déduire son absence de volonté d’accepter l’ouvrage en son état lors de sa prise de possession (Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).
Elle a en outre pu préciser que lorsque la prise de possession et le paiement du solde sont identifiés à des dates différentes, il faut retenir la date du paiement du solde (C.Cass., Civ. 3ème, 12/11/2020 n°19-18213).
En l’espèce, la Cour d’appel de CAEN a écarté la réception tacite invoquée par la Société IRIS, aux motifs que
- les infiltrations, apparues en mars 2010, avaient donné lieu à trois rapports d’expertise amiable,
- la société des Iris n’avait pas soldé les travaux au 18 juin 2013 comme elle le prétendait, puisqu’elle restait devoir une somme à ce titre au 29 juillet 2015,
- la Société Iris avait persisté en son refus de signer l’attestation de bonne fin des travaux qui lui était réclamée.
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par la Société des IRIS, estimant que les motifs retenus par la Cour d’appel étaient suffisants pour caractériser le refus du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage affecté des désordres, le 18 Juin 2013 « ou à toute autre date ultérieure ».
La réception tacite est donc écartée.
Les critères sont classiques et dans la droite ligne de l’arrêt du 16 Mai 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).