En cas de dommages causés à des tiers par un ouvrage public, la victime peut en demander réparation, même en l’absence de faute, aussi bien au maître de l’ouvrage, au maître de l’ouvrage délégué, à l’entrepreneur ou au maître d’œuvre, à moins que ces dommages ne soient imputables à une faute de la victime ou à un cas de force majeure (CE, Sect., Section, 11 octobre 1968, n°69877 ; CE, 26 Février 2001, requête n° 196759). Elle est dispensée de rapporter la preuve d’une faute du maître d’ouvrage, du locateur d’ouvrage ou du maître d’œuvre intervenus à l’acte de construire. Il lui suffit de rapporter la preuve de l’implication de l’ouvrage public dans leur dommage.
Le délai de prescription diffère selon que l’action est dirigée contre une personne publique (prescription quadriennale de l’article 1er de la Loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l’Etat, les départements, les communes et les établissements publics) ou une personne privée (responsabilité extra-contractuelle : article 2270-1 du Code civil puis article 2224 du même Code avec la réforme de la prescription de la Loi du 17 Juin 2008).
Reste à déterminer le point de départ du délai de prescription, à savoir la manifestation du dommage.
En matière de travaux publics, ce point de départ est d’autant plus difficile à caractériser que le dommage peut prendre plusieurs années avant de se révéler perceptible pour la victime.
Le Conseil d’Etat, par son arrêt du 20 Novembre 2020 (CE, 20/11/2020, n°427254), apporte des précisions, devant conduire le tiers victime à la prudence afin de préserver ses droits.
En l’espèce, sur le plan factuel :
- au cours du mois de juin 2002, M. et Mme C… ont constaté, à la suite d’importantes fuites d’eau dues à la rupture de la bride d’alimentation en eau sous pression de la borne d’incendie située contre la façade de leur maison, située sur le territoire de la commune de Mauregard (Seine-et-Marne), l’apparition de désordres dans leur propriété.
- et Mme C… ont demandé, le 28 juillet 2011, au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de la commune de Mauregard et de la société nouvelle de travaux publics et particuliers (SNTPP) à réparer les préjudices qu’ils ont subis.
- La présidente du tribunal a désigné, par une ordonnance du 11 mai 2012, un expert dont le rapport, déposé le 21 juillet 2015, a retenu la responsabilité de la SNTPP et de la commune de Mauregard ainsi que de la communauté de communes de la Plaine de France et de la société Lyonnaise des eaux.
- et Mme C… ont alors demandé au tribunal administratif de Melun la condamnation solidaire de l’ensemble des parties mises en cause par l’expert à réparer leurs préjudices.
Par un jugement du 30 décembre 2016, le tribunal a condamné la société Lyonnaise des eaux à verser à M. et Mme C… la somme de 48 849,92 euros.
Par un arrêt du 20 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel de la société Suez Eau France, auparavant dénommée Lyonnaise des eaux, contre ce jugement, ainsi que les conclusions présentées à titre incident par M. et Mme C… et mis les frais d’expertise à la charge de la société.
La société Suez Eau France a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt en tant qu’il a rejeté son appel.
Dans un 1er temps, le Conseil d’Etat revient sur la combinaison des articles 2270-1 et 2224 du Code civil avec la réforme du 17 Juin 2008, avant de rappeler que
- Il résulte de la combinaison de ces dispositions que, jusqu’à l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, les actions en responsabilité civile extracontractuelle se prescrivaient par dix ans à compter de la manifestation du dommage, en application de l’article 2270-1 du code civil.
- Après l’entrée en vigueur de cette loi, une telle action se prescrit par cinq ans en vertu des dispositions de l’article 2224 du code civil.
- Toutefois, lorsque la prescription de dix ans n’était pas acquise à la date d’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, l’application de l’article 2224 du code civil ne saurait conduire à prolonger la prescription au-delà de la durée de dix ans résultant des dispositions antérieures.
Il s’agit d’une application logique et classique.
Puis, et surtout, dans un 2ème temps, le Conseil d’Etat énonce que « la prescription qu’elles instituent court à compter de la manifestation du dommage, c’est-à-dire de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, quand bien même le responsable de celui-ci ne serait à cette date pas encore déterminé« .
Le Conseil examine ensuite la motivation de la Cour administrative d’appel de PARIS qui a retenu que :
- les désordres affectant la propriété de M. et Mme C… ont été constatés en juin 2002
- leurs conclusions indemnitaires dirigées contre la société Lyonnaise des eaux, devenue Suez Eau France, ont été présentées pour la première fois dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif de Melun en décembre 2016.
- l’action ainsi engagée par M. et Mme C… n’était pas prescrite car la prescription décennale résultant des dispositions de l’article 2270-1 du code civil ne courait qu’à compter de la date à laquelle l’identité de tous les responsables potentiels des désordres subis par les victimes avait été révélée à ces dernières
- en l’espèce, la date du dépôt du rapport d’expertise le 21 juillet 2015.
L’arrêt est censuré par le Conseil d’Etat pour erreur de droit, qui rappelle de nouveau que « la prescription court à compter de la date à laquelle la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage« .
Il reviendra donc aux parties de débattre, devant la Juridiction de renvoi, de la date à laquelle la victime a pu avoir cette connaissance suffisamment de l’étendue du dommage. Autant d’éléments qui doivent être appréhendés, de préférence, préalablement, en expertise.
Déjà, antérieurement, la Cour administrative d’appel de NANTES (CAA NANTES, 3ème Chambre, 31/03/2005, n°02NT00420) avait pu retenir que « si la connaissance par la victime de l’existence d’un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale, le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l’origine de ce dommage ou du moins de disposer d’indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l’administration« .
De même, au sujet d’un préjudice évolutif, le Conseil d’Etat (CE, 06/11/2013, n°354931) a indiqué que :
« Considérant que, lorsque la responsabilité d’une personne publique est recherchée au titre d’un dommage causé à un tiers par un ouvrage public, les droits de créance invoqués par ce tiers en vue d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices doivent être regardés comme acquis, au sens de ces dispositions, à la date à laquelle la réalité et l’étendue de ces préjudices ont été entièrement révélés, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés ; que la créance indemnitaire relative à la réparation d’un préjudice présentant un caractère évolutif doit être rattachée à chacune des années au cours desquelles ce préjudice a été subi« .