Les articles 2239 (Section 2 : Des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription) et 2241 (Section 3 : Des causes d’interruption de la prescription) du Code civil traitent respectivement de la suspension de la prescription et de l’interruption des délais de forclusion.
Les enjeux ne sont pas négligeables en droit de la construction car
- le délai de prescription peut être suspendu par la demande en référé, ne recommençant à courir qu’après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire (avec un minimum de 6 mois)
- le délai de forclusion ne peut (sauf exception) être suspendu : il ne peut qu’être interrompu de sorte qu’un nouveau délai recommence à courir au prononcé de l’Ordonnance (Cass., Civ. 2ème, 25 juin 2009, n°08-14243)
Il est donc important de bien qualifier chaque délai. Il en va ainsi du délai de 10 années de la responsabilité décennale.
La Cour de cassation a déjà pu préciser que la responsabilité décennale est soumise à un délai de forclusion qui ne peut qu’être interrompu et non suspendu (C.Cass., Civ. 3ème, 10 Novembre 2016, n°15-24289).
En retour, le délai de prescription biennale édicté par l’article L. 114-1 du Code des assurances est soumis à la prescription de sorte qu’il sera suspendu par la demande d’expertise jusqu’au dépôt du rapport d’expertise (avec un délai minimal de 6 mois) comme a pu le rappeler la Cour de cassation dans un arrêt du 19 Mai 2016 (C.Cass., Civ. 2ème, 19 Mai 2016, n° 15-19792). Prudence cependant puisque la Cour de cassation a pu estimer que l’effet suspensif ne joue qu’au profit du demandeur à la mesure d’instruction in futurum (C.Cass., Civ. 2ème, 31 Janvier 2019, n° 18-10011). Ainsi, l’entreprise assignée en référé expertise aux côtés de son assureur doit continuer de veiller à la préservation de ses intérêts puisque la prescription biennale n’a pas été suspendue à son profit vis-à-vis de son assureur.
Par un arrêt du 19 Septembre 2019, la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833) a rappelé que la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale.
Figure sous la Section 3 « Des causes d’interruption de la prescription (Articles 2240 à 2246) » un article 2240 du Code civil qui énonce que :
« La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription« .
Pour produire effet, la reconnaissance doit être non équivoque (C.Cass., Com., 9 mai 2018, n°17-14568).
La reconnaissance, même partielle, que le débiteur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait, entraîne pour la totalité de la créance un effet interruptif qui ne peut se fractionner (C.Cass., Civ. 3ème, 14 mai 2020, n°19-16210).
La reconnaissance peut se déduire
- de l’engagement du constructeur de payer la réparation des désordres (Cass., Civ. 3ème, 23 octobre 2002, n°01-00206)
- « d’importants travaux de reprise dans un nombre élevé d’appartements » (Cass., Civ. 3ème, 11 octobre 1995, 93-21102)
Avant la réforme opérée par la Loi du 17 Juin 2008, la reconnaissance était régie par l’article 2248 qui énonçait :
« La prescription est interrompue par la reconnaissance que le débiteur ou le possesseur fait du droit de celui contre lequel il prescrivait »
Sur la base de cette disposition, la Cour de cassation avait estimé que la reconnaissance pouvait interrompre le délai décennal (pour une reconnaissance implicite : C.Cass., Civ. 3ème, Chambre civile 3, 20 février 1969 ; C. Cass., Civ. 3ème, 4 décembre 1991, n°90-13461 ; C.Cass., Civ. 3ème, 10 juillet 2002, 01-02243).
Par son arrêt publié du 10 Juin 2021 (C.Cass., Civ. 3ème, 10 juin 2021, n°20-16837), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence.
Sur le plan factuel et procédural :
- en juin 2003, Mme [B] et M. [J] ont confié des travaux de réfection d’une terrasse à la société M3 construction assurée auprès de la SMABTP jusqu’en 2012, puis auprès de la société Axa France IARD.
- Se plaignant de désordres, Mme [B] et M. [J] ont, le 3 octobre 2011, obtenu un accord de l’entreprise pour réaliser les travaux de réparation.
- Le 6 juin 2016, les désordres persistant, Mme [B] et M. [J] ont, après expertise, assigné en indemnisation l’entreprise, qui a, le 18 janvier 2017, appelé en garantie son assureur, la société Axa.
Par un arrêt en date du 3 Février 2020, la Cour d’appel de TOULOUSE a
- condamné in solidum la Société AXA avec la société M3 construction, à payer à Mme [B] et à M. [J] la somme de 5 007,45 euros
- écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action sur le fondement décennal.
en considérant que :
- le délai de dix ans prévu à l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de prescription,
- l’accord du 3 octobre 2011, intervenu entre les consorts [B]-[J] et l’entreprise, constitue une reconnaissance de responsabilité, opposable à l’assureur, laquelle a interrompu le délai décennal de l’action en responsabilité contractuelle de droit commun intentée par les maîtres de l’ouvrage pour des dommages intermédiaires,
- l’action au fond introduite le 6 juin 2016 est recevable.
Sous le visa des articles 1792-4-3, 2220 et 2240 du code civil, la 3ème Chambre civile rappelle que
- Selon le premier de ces textes, en dehors des actions régies par les articles 1792-3, 1792-4-1 et 1792-4-2, les actions en responsabilité dirigées contre les constructeurs désignés aux articles 1792 et 1792-1 et leurs sous-traitants se prescrivent par dix ans à compter de la réception des travaux.
- Aux termes du deuxième, les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le présent titre.
- Aux termes du troisième, la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription.
avant d’ajouter que :
- « En alignant, quant à la durée et au point de départ du délai, le régime de responsabilité contractuelle de droit commun des constructeurs sur celui de la garantie décennale, dont le délai est un délai d’épreuve (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-22376, à publier), le législateur a entendu harmoniser ces deux régimes de responsabilité«
- « Il en résulte que le délai de dix ans pour agir contre les constructeurs sur le fondement de l’article 1792-4-3 du code civil est un délai de forclusion, qui n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription, et que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion«
Elle censure ensuite la Cour d’appel de TOULOUSE pour avoir écarté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action.
Dès lors, prudence pour le maître d’ouvrage qui doit d’autant plus surveiller ses délais, ne pouvant plus envisager d’évoquer la reconnaissance, même partielle, du constructeur.