Confirmation de jurisprudence : l’assignation en référé expertise sollicitée par un constructeur ne produit pas d’effet erga omnes et ne bénéficie donc pas au maître d’ouvrage (C.Cass., Civ. 3ème, 11 Juillet 2024, n°22-17495)

Chaque partie doit veiller à préserver ses intérêts en surveillant ses propres délais, sans compter sur les diligences d’une partie, ou de son adversaire. La 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a l’occasion de confirmer sa jurisprudence dans son arrêt du 11 Juillet 2024 (C.Cass., Civ. 3ème, 11 Juillet 2024, n°22-17495).

Il convient déjà de rappeler que

  • L’assignation délivrée contre un assureur en une qualité donnée ne vaut pas contre ce même assureur sous une autre qualité : assigner un assureur en qualité d’assureur DO ne vaut pas assignation (et donc interruption) en sa qualité d’assureur RCD (en ce sens :  Cass., Civ. 3ème, 29 Mars 2018, pourvoi n° 17-15042)
  • La demande d’expertise en référé sur les causes et conséquences des désordres et malfaçons ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat de construction, de sorte que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas suspendu la prescription de l’action en annulation du contrat (C.Cass., Civ. 3ème, 17 Octobre 2019, n° 18-19611 et 18-20550).
  • l’assignation en référé aux fins d’extension n’a pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne vaut que son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771).

Cette absence d’effet erga omnes avait encore été rappelé par un arrêt en date du 25 Mai 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 25 mai 2022, n° 19-20563).

Dans l’arrêt du 11 Juillet 2024, les données factuelles et procédurales sont les suivantes :

  • une EARL a confié à la Société GATIGNOL, assurée auprès de la SMABTP, la construction d’une stabulation et d’un bâtiment de stockage de fourrage. Les travaux ont donné lieu à une facture du 18 novembre 2003.
  • Pour réaliser la toiture des ouvrages, la société Gatignol a acquis des plaques de fibrociment auprès de la société Etablissements Vialleix (la société Vialleix), assurée par la société Axa France IARD, laquelle les avait acquises auprès de la société Edilfibro.
  • A la fin de l’année 2012 et au début de l’année 2013, l’EARL a constaté que la toiture en fibrociment présentait des désordres et que des infiltrations d’eau se produisaient à l’intérieur des bâtiments.
  • Le 6 novembre 2013, la société Gatignol et son assureur ont assigné l’EARL, la société Vialleix et son assureur, ainsi que la société Edilfibro, pour obtenir la désignation d’un expert judiciaire, lequel a établi son rapport le 30 novembre 2016.
  • Par actes des 4, 15 et 29 mai et 1er juin 2018, l’EARL a assigné devant un tribunal de grande instance la société Gatignol et son assureur, la société Vialleix et son assureur ainsi que la société Edilfibro afin d’obtenir la réparation des désordres et des dommages consécutifs.

Par un arrêt en date du 12 Avril 2022, la Cour d’appel de RIOM a déclaré irrecevables les demandes présentées par l’EARL en application de l’article 1792 du Code civil, en relevant que

  • les travaux avaient été réceptionnés par l’EARL lors du paiement de la facture le 18 novembre 2003
  • l’EARL avait sollicité la mise en œuvre à son bénéfice de la garantie décennale du constructeur seulement lors de son assignation au fond devant le tribunal de grande instance fin mai et début juin 2018,

avant de retenir que le délai de forclusion décennale de l’action de l’EARL fondée sur les dispositions de l’article 1792 du code civil n’avait pas été interrompu par l’assignation en référé-expertise délivrée à la diligence de la société Gatignol et de son assureur.

L’EARL a formé un pourvoi en cassation, soutenant que

  • le maître de l’ouvrage était fondé à se prévaloir de l’assignation délivrée par l’entrepreneur principal et par son assureur de garantie décennale ayant pour objet de déterminer la cause et l’imputabilité des désordres litigieux affectant l’ouvrage qu’il avait fait construire
  • l’assignation en référé délivrée par la Société Gatignol et la SMABTP aurait pu caractériser une reconnaissance de responsabilité ou encore une renonciation à se prévaloir de la prescription

les moyens sont rejetés par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation qui rappelle que

  • en application des articles 1792-4-1 et 1792-4-3 du code civil, les actions du maître de l’ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l’ouvrage doivent être exercées, à peine de forclusion, dans le délai de dix ans à compter de sa réception.
  • selon l’article 2220 du code civil, un délai de forclusion n’est pas, sauf dispositions contraires, régi par les dispositions concernant la prescription.
  • la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait n’interrompt pas le délai de forclusion des actions du maître de l’ouvrage contre le constructeur en réparation des désordres affectant l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 10 Juin 2021, n° 20-16837)

 

avant d’approuver la Cour d’appel d’avoir retenu que « le délai de forclusion décennale de l’action de l’EARL fondée sur les dispositions de l’article 1792 du code civil n’avait pas été interrompu par l’assignation en référé-expertise délivrée à la diligence de la société Gatignol et de son assureur« . Faute d’acte interruptif d’instance avant le 18 Novembre 2013, l’EARL se heurte donc à la forclusion, ne pouvant se prévaloir de l’assignation délivrée par la Société GATIGNOL et son assureur la SMABTP.

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