L’article L. 124-3 du Code des assurances fonde le dispositif de l’action directe, qui permet d’agir directement contre l’assureur d’un responsable.
En présence d’un établissement public de santé, il est important de surveiller la compétence juridictionnelle, qui sera déterminée selon le caractère administratif ou de droit privé du contrat d’assurance souscrit par cet établissement de santé, solution retenue uniformément par
- la Cour de cassation : Cass., Civ. 1ère, 9 Juin 2010, pourvoi n° 09-13026; C. Cass., Civ.1ère , 24 octobre 2018, n°17-31306)
- Le Conseil d’état : CE, Avis, 31 mars 2010, n° 333627
- le Tribunal des conflits : arrêt en date du 15 Avril 2013, n° C3892).
Les successions de contrat d’assurance peuvent engendrer des difficultés pour l’identification de l’assureur responsabilité civile devant sa garantie.
Les établissements de santé, autre que l’Etat, sont obligés de « souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d’être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d’atteintes à la personne » pouvant survenir dans le cadre de leur activité, en vertu de l’article L. 1142-2 du Code de la santé publique.
Le 3ème alinéa de cet article prévoit une dérogation pour les établissements de santé disposant d’une certaine solidité financière : « Une dérogation à l’obligation d’assurance prévue au premier alinéa peut être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance ».
L’article L. 251-2 du Code des assurances, introduit par la Loi du 1er Août 2003, est venu préciser la notion de fait dommageable, et son 6ème alinéa celle de passé connu : « Le contrat ne garantit pas les sinistres dont le fait dommageable était connu de l’assuré à la date de la souscription« .
C’est sur ces notions que le Conseil d’Etat a eu l’occasion de se prononcer de manière inédite dans son arrêt du 2 Avril 2021, en venant censurer un arrêt de la Cour administrative d’appel de BORDEAUX du 5 Mars 2019 (CAA BORDEAUX, 2ème chambre, 5 Mars 2019, requête n° 17BX00214).
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que :
- à la suite d’une opération subie au centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre – Les Abymes en novembre 2011, M. D a connu plusieurs épisodes de chocs septiques dont le dernier a provoqué son décès, dans cet établissement, le 22 janvier 2013.
- Sa veuve, Mme A, et ses deux filles, ont saisi, le 5 août 2013, la commission régionale de conciliation et d’indemnisation de Guadeloupe-Martinique d’une demande d’indemnisation par le centre hospitalier des préjudices causés par le décès.
- La commission régionale a notifié cette saisine au centre hospitalier le 9 octobre 2013 et rendu, le 23 octobre 2014, un avis favorable à l’indemnisation d’une fraction des dommages subis.
Le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe ayant refusé de donner suite à cet avis, Mme A et ses deux filles ont saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe qui, par un jugement du 15 décembre 2016, a
- condamné le centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe à leur verser différentes sommes en réparation de leurs préjudices,
- rejeté l’appel en garantie du centre hospitalier à l’encontre de la société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM), qui était l’assureur de l’établissement de santé jusqu’au 30 septembre 2013
- refusé d’admettre l’intervention de la société AM Trust international underwriters, assureur du centre hospitalier universitaire à compter du 1er octobre 2013.
Sur les appels du centre hospitalier, de la société AM Trust international underwriters et de Mme A, la cour administrative d’appel de Bordeaux, par un arrêt du 5 mars 2019, a
- modifié le montant des sommes que le centre hospitalier a été condamné à verser aux victimes
- condamné la société hospitalière d’assurances mutuelles à garantir le centre hospitalier à hauteur de la totalité des condamnations prononcées à son encontre
- rejeté l’appel de la société AM Trust international underwriters.
La Cour administrative d’appel de BORDEAUX s’est détachée de la notion de réclamation pour se focaliser sur la connaissance par le centre hospitalier des manquements commis, dans un dossier d’infections nosocomiales, ayant conduit au décès du patient.
Dans un raisonnement en deux temps, la Cour administrative d’appel de BORDEAUX va trancher le conflit opposant les deux assureurs successifs :
- Dans un 1er temps, la Cour relève que « tant l’insuffisance de la maîtrise de la situation infectieuse, que les défaillances liées à l’identification des foyers infectieux et le caractère nosocomial de ces derniers étaient connus de l’établissement au plus tard à la date de rédaction » du compte-rendu opératoire du 18 Mars 2013, alors même « qu’un doute aurait pu être alors nourri quant au caractère fautif de ses manquements« , pour conclure que le centre hospitalier avait eu connaissance de l’existence de manquements dans la prise en charge du patient
- Dans un 2nd temps, la Cour va retenir qu’à la date de ce compte-rendu opératoire du 18 Mars 2013, le centre hospitalier était assuré auprès de la SHAM, et qu’il importe peu qu’au moment de la première réclamation adressé au Centre hospitalier (constitué par la notification de la demande présenté par les ayants-droits auprès de la commission régionale de conciliation et de d’indemnisation), celui-ci soit assuré désormais auprès de la Société AM, puisqu’il avait connaissance du fait dommageable à la date à laquelle il avait souscrit le nouveau contrat de la Société AM.
La société hospitalière d’assurances mutuelles (SHAM) s’est pourvue en cassation contre cet arrêt en tant qu’il l’a condamnée à garantir le centre hospitalier.
Le Conseil d’Etat va préalablement rappeler le contenu
- De l’article L. 1142-2 du Code de la santé publique
- De l’article L. 251-2 du Code des assurances
Puis va énoncer que :
- les contrats d’assurance conclus par les établissements de santé publics aux fins de les garantir s’agissant des actions mettant en cause leur responsabilité au titre des risques mentionnés à l’article L. 1142-2 du code de la santé publique garantissent les sinistres pour lesquels la première réclamation est formée pendant la période de validité du contrat ou pendant une période subséquente d’une durée minimale de cinq ans, à l’exception des sinistres dont le fait dommageable était connu de l’établissement de santé à la date de la souscription du contrat.
- Pour l’application de cette dernière règle, résultant du sixième alinéa de l’article L. 251-2 du code des assurances, un fait dommageable subi par un patient doit être regardé comme connu de l’établissement de santé à une certaine date si, à cette date, sont connus de ce dernier non seulement l’existence du dommage subi par le patient mais aussi celle d’un fait de nature à engager la responsabilité de l’établissement à raison ce dommage.
Un fait dommageable est donc connu lorsqu’est rapportée la preuve qu’un établissement de santé si, à une date donnée, a la connaissance :
- D’un dommage subi par un patient
- D’un fait de nature à engager la responsabilité de l’établissement à raison de ce dommage.
Deux critères doivent donc être réunis.
Comme rappelé précédemment, pour retenir la garantie de la SHAM et déterminée la connaissance du fait dommageable, la Cour administrative d’appel s’est fondée sur la teneur du compte-rendu d’hospitalisation.
Le Conseil d’Etat considère cependant que :
- ce compte-rendu, sans indiquer de manquements, fait seulement état d’un décès causé par choc septique, dont les conséquences dommageables étaient susceptibles d’être prises en charge au titre de la solidarité nationale.
- il ne ressort pas des autres pièces du dossier qui lui était soumis que la direction de l’établissement aurait eu connaissance avant le 1er octobre 2013 de manquements dans la prise en charge de l’intéressé ou de tout autre fait de nature à engager la responsabilité de l’établissement,
- la SHAM est fondée à soutenir que la cour administrative d’appel a dénaturé les pièces versées au dossier, car il n’était pas prouvé la connaissance du fait dommageable faisant obstacle à la mobilisation de l’assureur ayant pris sa suite.
Au travers de sa réponse au pourvoi du Centre Hospitalier, le Conseil d’Etat précise que cette connaissance n’était établie qu’à la date de la communication à l’établissement de santé des conclusions de l’expert désigné par la commission régionale de conciliation et d’indemnisation de Guadeloupe-Martinique, dont le rapport a été déposé en mai 2014, solution cohérente avec le principe dégagé, et qui permet de donner date plus facilement.