Préalable bien souvent nécessaire à l’engagement d’une action au fond, l’expertise judiciaire peut être sollicitée devant le Juge des référés sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile.
Si régulièrement les protestations et réserves d’usage sont formulées au sujet de la demande d’instruction in futurum, il faut malgré tout faire preuve de vigilance car certaines espèces permettent d’éviter l’organisation d’une procédure couteuse en temps et en frais.
En effet, il peut apparaître inutile de passer par la case « expertise judiciaire » avant d’envisager une action au fond, si celle-ci s’avère vouée à l’échec, en raison notamment de la prescription.
La 2ème Chambre civile de la Cour de cassation vient de le rappeler par son arrêt du 30 Janvier 2020 (C.Cass., Civ. 2ème, 30 Janvier 2020 n°18-24757).
Il convient de rappeler que le bénéfice d’une mesure d’expertise judiciaire devant le Juge des référés s’apprécie à la lumière des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, qui énonce que :
« s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé »
Le demandeur à l’expertise doit caractériser un procès potentiel pour remplir le critère du motif légitime.
La Cour de cassation rappelle qu’il ne peut être fait droit à une demande d’expertise in futurum fondée sur l’article 145 du Code de procédure civile s’il est établi que l’action au fond est manifestement vouée à l’échec (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, 29 Mars 2011, n° 10-11593).
Par contre, aucune action au fond ne doit être engagée au jour de la Juge de la saisine du Juge des référés (C.Cass., Civ. 2ème, 28 juin 2006, n°05-19283).
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- Mme B… épouse W… a été grièvement blessée dans un accident de la circulation le 22 octobre 1986 impliquant un véhicule assuré par la société AGF, aux droits de laquelle est venue la société Allianz IARD
- le 15 mars 2016, Mme W… a fait assigner cette dernière devant un juge des référés à fin d’obtenir, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, la désignation d’un expert chargé de déterminer les séquelles dont elle était atteinte et d’évaluer le montant de son préjudice corporel et moral
- par une ordonnance du 23 juin 2016, le juge des référés a déclaré irrecevable l’action de Mme W…,
- Mme B… a interjeté appel de cette décision ;
Par un arrêt en date du 6 Septembre 2018, la Cour d’appel de BORDEAUX a rejeté cet appel.
Madame W… a alors formé un pourvoi, soutenant que
- « le juge des référés saisi d’une demande d’instauration d’une mesure d’instruction in futurum n’est pas compétent pour se prononcer sur la prescription de l’action au fond envisagée par le requérant«
- « en rejetant la demande de Mme B…, épouse W…, tendant à l’instauration d’une mesure d’expertise en vue d’une action en justice dirigée contre la société Allianz IARD, au motif que la requérante ne justifiait pas d’un motif légitime puisqu’elle ne rapportait pas la preuve d’un événement ayant interrompu la prescription de l’action au fond envisagée, de sorte que cette prescription apparaissait acquise à la date du 29 octobre 1996, et en toute hypothèse avant le mois de juillet 2015, la cour d’appel, qui a tranché une question qui ne ressortissait pas à sa compétence, a violé l’article 145 du code de procédure civile«
La Cour de cassation va approuver l’arrêt d’appel et rejeté le pourvoi en retenant que
- La Cour d’appel a relevé que Mme W… ne justifiait pas, à la date de la saisine du juge des référés, de l’utilité de l’instauration d’une mesure d’expertise judiciaire aux fins de conserver la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, lequel ne pouvait qu’être voué à l’échec en raison de son irrecevabilité,
- c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel a décidé que la mesure d’instruction sollicitée était dépourvue de motif légitime.
Il est donc important, dès le stade du référé, d’apprécier les éléments de fait et de droit du dossier, pour pouvoir conclure au rejet de la demande d’expertise, et discuter en particulier de la prescription de toute action au fond. Prudence cependant car parfois, des éléments permettant d’opposer la prescription ne peuvent être mises en exergue qu’à l’occasion de la dite expertise.