Par un arrêt publié à son bulletin numérique « P », la 3ème Chambre civile donne l’occasion de rappeler l’importance de la capacité à ester en justice et du soin devant être apporté à la mention des désordres dénoncés. L’affaire intéresse une association syndicale libre, et plus spécialement une Association Foncière Urbaine Libre (AFUL).
Une association syndicale est une personne morale de droit privé créée entre constructeurs en perspective de la construction, l’entretien ou la gestion d’ouvrages ou la réalisation de travaux, ainsi que les actions d’intérêt commun, en vue :
- De prévenir les risques naturels ou sanitaires, les pollutions et les nuisances ;
- De préserver, de restaurer ou d’exploiter des ressources naturelles ;
- D’aménager ou d’entretenir des cours d’eau, lacs ou plans d’eau, voies et réseaux divers ;
- De mettre en valeur des propriétés.
Une association syndicale peut être soit libre, soit autorisée soit constituée d’office.
Les associations syndicales libres (ASL) sont des personnes morales de droit privé (au contraire de celles autorisées ou constituées d’office qui sont des établissements publics administratifs) et sont régies notamment par le Titre II de l’Ordonnance n° 2004-632 du 1 juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.
Parmi les ASL, figurent les Associations Foncières Urbaines Libres (AFUL).
Les AFUL sont soumises :
- à l’Ordonnance n° 2004-632 du 1 juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires
- au Décret n°2006-504 du 3 mai 2006 portant application de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires
- aux dispositions des articles L. 322-1 et suivants ainsi que R. 322-1 et suivants du Code de l’urbanisme.
Elles peuvent être créées, selon l’article L. 322-2 du Code de l’urbanisme, pour :
- Le remembrement de parcelles et la modification corrélative de l’assiette des droits de propriété, des charges et des servitudes y attachées, ainsi que la réalisation des travaux d’équipement et d’aménagement nécessaires ;
- Le groupement de parcelles en vue, soit d’en conférer l’usage à un tiers, notamment par bail à construction, soit d’en faire apport ou d’en faire la vente à un établissement public ou société de construction ou d’aménagement.
- La construction, l’entretien et la gestion d’ouvrages d’intérêt collectif tels que voirie, aires de stationnement, et garages enterrés ou non, chauffage collectif, espaces verts plantés ou non, installations de jeux, de repos ou d’agrément ;
- La conservation, la restauration et la mise en valeur des sites patrimoniaux remarquables ainsi que la restauration immobilière régies par les articles L. 313-1 à L. 313-14, les articles 3 et 12 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 modifiée et les articles L. 145-6, L. 145-18 et L. 145-28 du code de commerce ;
- Le remembrement foncier ou le groupement de parcelles en vue de la restructuration urbaine des grands ensembles et quartiers d’habitat dégradé mentionnés au premier alinéa du 3 de l’article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. Dans ce cas, l’objet de l’association peut comporter la conduite d’actions de toute nature, menées ou prescrites à l’occasion des travaux nécessaires et pouvant inclure des actions d’insertion professionnelle et sociale en faveur des habitants des grands ensembles et quartiers concernés.
Sur le plan formel, une AFUL, à la différence d’une ASL, implique, conformément aux dispositions de l’article R. 322-21-1 du Code de l’urbanisme, une publication au ficher immobilier dans les conditions et délais prévus par les décrets n° 55-22 du 4 janvier 1955 et 55-1350 du 14 octobre 1955.
Sur le fond, une AFUL rend obligatoire au sens du « e » de l’article 25 de la Loi du 10 Juillet 1965fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, les travaux sur lesquels porte l’objet de l’association, lorsqu’un ou plusieurs des immeubles sont compris dans son périmètre.
En tant qu’ASL, l’AFUL est soumise à des formalités de publication, prévue notamment par l’Article 8 de l’Ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004 :
- déclaration de l’association syndicale libre est faite à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association a prévu d’avoir son siège. Deux exemplaires des statuts sont joints à la déclaration. Il est donné récépissé de celle-ci dans un délai de cinq jours.
- un extrait des statuts doit, dans un délai d’un mois à compter de la date de délivrance du récépissé, être publié au Journal officiel.
- Dans les mêmes conditions, l’association fait connaître dans les trois mois et publie toute modification apportée à ses statuts.
Faute de respecter les obligations de publicité, une ASL peut voir sa capacité juridique restreinte, puisque l’Article 5 de l’Ordonnance du 1er Juillet 2004 précise que :
« Les associations syndicales de propriétaires peuvent agir en justice, acquérir, vendre, échanger, transiger, emprunter et hypothéquer sous réserve de l’accomplissement des formalités de publicité prévues selon le cas aux articles 8, 15 ou 43 »
La Cour de cassation vient le rappeler dans son arrêt du 15 Avril 2021 (C.Cass., Civ. 3ème, 15 Avril 2021, n°19-18093).
Sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- par acte sous seing privé du 25 juillet 1990, l’établissement public autonome Aéroports de Paris, devenu la société Aéroports de Paris (ADP), a consenti à la société Kaufman & Broad développement (Kaufman & Broad) deux baux à construction sur un terrain dont il était propriétaire, pour y faire édifier huit bâtiments reliés entre eux par un passage piéton couvert d’une verrière et comprenant deux niveaux de sous-sol à usage de parcs de stationnement.
- Par acte authentique du 15 mars 1991, Kaufman & Broad et ADP ont établi un état descriptif de division en volumes portant création de sept lots, ainsi que les statuts et le cahier des charges de l’association foncière urbaine libre Roissy air park (AFUL), dont devaient être membres tout preneur du bail à construction ou propriétaire des cinq premiers lots de volume, les lots 6 et 7, respectivement constitués des ouvrages et équipements d’utilité commune, dont la verrière, et du tréfonds, étant attribués à l’AFUL.
- Par acte authentique du 15 mai 1991, Kaufman & Broad a vendu en l’état futur d’achèvement le lot n 1 au groupement d’intérêt économique Roissypole, aux droits duquel vient ADP.
- Par acte authentique du 27 novembre 1991, elle a vendu en l’état futur d’achèvement les lots de volume n 2 à 5 à la société civile immobilière Roissy Bureau International (RBI), qui les a revendus à la société civile immobilière Dôme properties (Dôme properties).
- Le 9 avril 1993, la réception des travaux a été prononcée avec réserves, avec effet au 30 mars précédent.
- Se plaignant de désordres, l’AFUL, ADP et Dôme properties ont, après plusieurs expertises ordonnées en référé, assigné en indemnisation Kaufman & Broad et son assureur.
- Le 23 octobre 2000, Kaufman & Broad a assigné en garantie les divers intervenants à la construction et leurs assureurs.
Par un arrêt en date du 17 Avril 2019, la Cour d’appel de PARIS a notamment
- déclaré nulles l’AFUL fait grief à l’arrêt de déclarer nulles toutes les assignations que l’AFUL a fait délivré avant le 17 octobre 2003,
- dit que l’AFUL n’avait pas interrompu le délai de garantie décennale
- déclaré irrecevables comme prescrites toutes les demandes formées par l’AFUL à l’encontre de Kaufman & Broad.
L’AFUL a formé un pourvoi rejeté par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation qui rappelle qu’il faut distinguer « deux situations différentes en ce qui concerne la régularité des actes de saisine du juge délivrés par une association syndicale libre » :
- lorsque l’acte a été délivré par une association syndicale libre qui n’a pas publié ses statuts constitutifs, l’irrégularité qui résulte de ce défaut de publication, lequel prive l’association de sa personnalité juridique, constitue une irrégularité de fond qui ne peut être couverte (Cass., Civ. 3ème, 15 décembre 2004, n° 03-16434 ; C.Cass., Civ. 3ème, 10 mai 2005, pourvoi n 02-19904 ; C.Cass., Civ. 3ème, 24 Octobre 2012, n°11-11778).
- lorsque l’acte a été délivré par une association syndicale qui a publié ses statuts, mais ne les a pas mis en conformité avec les dispositions de l’ordonnance du 1 juillet 2004, l’acte de saisine de la juridiction délivré au nom de l’association est entaché d’une irrégularité de fond pour défaut de capacité à agir en justice, qui peut être régularisée jusqu’à ce que le juge statue (Cass, Civ. 3ème, 5 Novembre 2014, n° 13-25099 ; C.Cass, Civ. 3ème, 3 Décembre 2020, pourvois n °19-20259).
Puis elle fait application de l’article 2247 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la réforme du 17 Juin 2008, qui énonçait alors que l’interruption de la prescription est regardée comme non avenue si l’assignation est nulle pour défaut de forme.
Puis elle relève que l’AFUL n’avait publié ses statuts que le 17 octobre 2003, ce dont il résultait donc que, avant cette date, elle était dépourvue de la personnalité juridique, avant d’approuver la Cour d’appel de PARIS d’avoir estimé que « les assignations délivrées par l’AFUL avant la fin de la garantie décennale, intervenue le 30 mars 2003, n’avaient pu produire aucun effet interruptif et que l’irrégularité de fond qui affectait ces assignations ne pouvait pas être couverte »
Cette jurisprudence est amenée à se tarir puisque sous l’empire des nouvelles dispositions issues de la Loi du 17 Juin 2018, la Cour de cassation estime que l’article 2241 du code civil ne distinguant pas dans son alinéa 2 entre le vice de forme et l’irrégularité de fond, l’assignation même affectée d’un vice de fond a un effet interruptif (C.Cass., Civ. 3ème, 11 Mars 2015, n° 14-15198).
L’autre intérêt de cet arrêt réside dans le rappel de la nécessité de viser précisément un désordre pour bénéficier de l’effet interruptif de la prescription.
L’effet interruptif de l’assignation ne vaut que pour les seuls désordres qui y sont visés (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-17138 ; C.Cass., Civ. 3ème, 7 Avril 2015, n°14-15228 ; C.Cass., Civ. 3ème, 24 mai 2017, n°15-19982).
En l’espèce, l’une des parties à l’instance avait fait délivrer, le 12 septembre 1996, une assignation visant une liste de désordres. N’y figurait pas par contre ceux affectant les peintures de sols du premier sous-sol. Une demande a été présentée ultérieurement à ce sujet.
Cependant la Cour d’appel de PARIS a rejeté la demande en considérant que quand bien même la liste contenue dans l’assignation du 12 Septembre 1996 avait été qualifiée de « non limitative », aucun effet interruptif à l’égard des désordres affectant les peintures n’était attaché à cette assignation.
La 3ème Chambre civile approuve ce raisonnement, rappelant qu’une « une assignation en justice ne peut interrompre le délai de garantie décennale des constructeurs qu’en ce qui concerne les désordres qui y sont expressément mentionnés« .