Les établissements de santé, personnes morales de droit public, sont susceptibles de voir leur responsabilité recherchée devant le Juge administratif sur des fondements juridiques bien différents, entre la responsabilité pour faute prouvée, et le régime sans faute (infection nosocomiale, aléa thérapeutique, prothèses…).
Il est important de maîtriser chacune de ces notions pour un pilotage optimale de la procédure, dès son introduction, sous peine de préjudicier aux chances de succès de l’action.
De même, au sein du régime de la responsabilité pour faute prouvée, plusieurs types de faute peuvent être rencontrées (défaut de diagnostic, faute dans l’art chirurgical, défaut d’information…) qui peuvent s’entremêler le cas échéant avec la notion de perte de chance.
Le Conseil d’Etat vient de prononcer une décision intéressante en droit de la santé, sur le plan procédural plus spécialement, favorable au patient.
Sur le plan de la procédure administrative d’appel, il est important de rappeler l’importance de bien identifier la ou les cause(s) juridique(s) de la demande. Changer de cause juridique après l’expiration du délai d’appel (et sauf moyen d’ordre public) risque d’entrainer l’irrecevabilité de cette demande.
Il en va ainsi :
- Pour le requérant qui avait invoqué en première instance la méconnaissance par une commune d’obligations contractuelles et présente en cause d’appel le moyen tiré de ce que l’autorité municipale aurait commis une faute de service en lui confiant certaines missions alors qu’elle n’était pas en mesure d’en assurer la rétribution (CE, 4 novembre 1970, n°72414)
- Pour un accident survenu à un enfant tombé d’un toboggan installé dans un jardin public communal, en dehors du point où s’effectue normalement la reprise de contact avec le sol : le père de la victime s’étant borné en première instance à invoquer le défaut d’aménagement et d’entretien normal, sont irrecevables en appel des conclusions du recours incident fondées sur la faute qui résulterait du défaut de surveillance du jardin public (CE, 25 octobre 1967, n°70153).
Afin de préserver les intérêts de l’appelant, il est donc important de veiller à soulever, autant que faire se peut, un moyen relevant de chaque cause juridique distinct. Cela implique une analyse complète du dossier avant l’introduction de l’appel.
En l’espèce (CE, 29 Juin 2020, n°420850), sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- Mme D… a subi le 4 février 2009 une opération chirurgicale au sein du service de neurochirurgie de l’hôpital de la Timone à Marseille, à la suite de laquelle elle a présenté une cécité complète de l’oeil droit, un ptosis, une immobilité oculaire ainsi qu’une paralysie complète du muscle des nerfs oculomoteurs.
- Elle a demandé au tribunal administratif de Marseille d’ordonner une expertise et de condamner l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui verser une provision de 80 000 euros.
- Par un jugement du 26 mai 2014, le tribunal a rejeté sa demande.
- Par un arrêt avant-dire droit du 17 mars 2016, la cour administrative d’appel de Marseille a, sur appel de Mme D…, annulé ce jugement, condamné, d’une part, l’AP-HM au titre d’un manquement à son devoir d’information et, d’autre part, l’ONIAM au titre de la prise en charge par la solidarité nationale des accidents médicaux non fautifs, à lui verser chacun la somme de 6 500 euros à titre provisionnel et a ordonné une expertise médicale pour déterminer l’étendue des préjudices de Mme D…, en réservant jusqu’en fin d’instance tous les droits et moyens des parties sur lesquels elle n’avait pas expressément statué.
Par une décision du 10 mars 2017, le Conseil d’Etat statuant au contentieux a fait droit au pourvoi principal de l’ONIAM en annulant cet arrêt en tant qu’il avait statué sur la prise en charge par l’ONIAM des dommages subis par Mme D… mais rejeté le pourvoi incident de l’AP-HM et de la SHAM dirigé contre le même arrêt en tant qu’il avait condamné l’AP-HM à verser à Mme D… une indemnité à titre provisionnel.
Par un nouvel arrêt du 23 mars 2018, la cour administrative d’appel de Marseille, statuant à la fois sur la partie du litige que la décision du Conseil d’Etat lui avait renvoyée et sur la partie du litige dont elle était demeurée saisie après avoir ordonné une expertise, a
- rejeté les conclusions de Mme D… dirigées contre l’ONIAM
- condamné l’AP-HM à verser à Mme D… une somme de 23 204,39 euros
- rejeté le surplus des conclusions de cette dernière.
Pour retenir la responsabilité de l’AP-HM pour l’intégralité des conséquences dommageables de l’intervention subie par Mme D…, la cour a retenu
- le manquement par l’établissement de santé à son obligation d’information, qu’elle a jugé établi par son arrêt avant-dire droit du 17 mars 2016
- le caractère fautif du choix d’une intervention chirurgicale par voie orbito-péritonéale.
L’AP-HM et la SHAM ont formé un pourvoi en cassation contre ce dernier arrêt en tant qu’il a condamné l’AP-HM à verser une indemnité à Mme D…., reprochant notamment à la Cour administrative d’appel d’avoir permis à la victime d’invoquer en cause d’appel une 2ème faute, à savoir la faute dans l’acte chirurgical.
Le moyen est cependant rejeté par le Conseil d’Etat qui estime que :
« l’invocation par Mme D… d’une seconde faute commise par l’établissement de santé était recevable pour la première fois en appel, y compris après l’expiration du délai d’appel contre le jugement du 26 mai 2014, dès lors que la victime avait déjà recherché, en première instance, la responsabilité de l’AP-HM sur le fondement de cette cause juridique en invoquant, devant le tribunal administratif, une faute commise par cet établissement »
Procédant d’une cause juridique identique, la victime pouvait invoquer tout autre type de faute de la part de l’établissement de santé.
Par contre, et a contrario, elle aurait été déclarée irrecevable à invoquer la responsabilité sans faute de l’établissement (infection nosocomiale, prothèse fournie…).