La loi du 5 Juillet 1985 a marqué une avancée significative pour les victimes d’accident de la route (Loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation).
La jurisprudence a pu adopter une vision particulièrement extensive de la notion de véhicule terrestre à moteur.
Cependant, l’application de la Loi du 5 Juillet 1985 connaît des limites qu’il convient de bien maîtriser pour ne pas se tromper de fondement juridique. Il est donc important de choisir la bonne voie ou, en l’occurrence, les bons rails face à un accident impliquant un tramway.
La question est d’autant plus importante que tendent à se développer les modes de déplacement alternatifs à la voiture.
L’article 1er de la Loi du 5 Juillet 1985 énonce « les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l’exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres« .
La Cour de cassation a déjà pu préciser, au sujet des passages à niveau pour les trains, que :
- « une voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route, ces derniers pouvant seulement la traverser à hauteur d’un passage à niveau, sans pouvoir l’emprunter » (Cass., Civ. 2ème, 17 novembre 2016, n°15-27832)
- « les chemins de fer sont exclus du domaine d’application de cette loi s’ils circulent sur une voie qui leur est propre; (…) une voie ferrée n’est pas une voie commune aux chemins de fer et aux usagers de la route, ces derniers pouvant seulement la traverser, sans pouvoir l’emprunter » (Cass., Civ. 2ème, 8 décembre 2016, n°15-26265).
Pour les tramways, une solution extensive avait été adoptée par un arrêt de la 2ème Chambre civile du 16 Juin 2011 (C.Cass., Civ. 2ème, 16 Juin 2011, n° 10-19491) énonçant que :
- « les tramways sont exclus du domaine d’application de cette loi s’ils circulent sur une voie qui leur est propre«
- « un tramway qui traverse un carrefour ouvert aux autres usagers de la route ne circule pas sur une voie qui lui est propre« .
Cet arrêt éclairait bien l’enjeu qui se cache entre deux fondements juridiques distincts :
- Charge de la preuve d’un évènement présentant les caractéristiques de la force majeure pour la responsabilité du fait des choses
- La faute du conducteur suffit à limiter ou anéantir son droit à indemnisation en vertu de l’article 4 de la Loi du 5 Juillet 1985.
Hormis l’hypothèse d’un carrefour, la Cour de cassation avait déjà pu admettre que la voie propre au tramway pouvait se contenter d’être « une voie ferrée implantée sur la chaussée dans un couloir de circulation qui lui était réservé, délimité d’un côté par le trottoir et de l’autre par une ligne blanche continue » (C.Cass., Civ. 2ème, 18 octobre 1995, n°93-19146) et ainsi exclure la Loi de 1985.
L’arrêt de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation du 5 Mars 2020 (C.Cass., Civ. 2ème, 5 Mars 2020, n° 19-11411) souligne l’importance de bien localiser l’emplacement de l’accident.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- Le 24 décembre 2012, Mme X… a été heurtée par un tramway de la société Kéolis, assuré par la société Allianz Eurocourtage
- elle a assigné ces sociétés, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie de la Gironde, afin d’obtenir l’indemnisation de ses préjudices
Par un arrêt du 30 Novembre 2018, la Cour d’appel de BORDEAUX a rejeté les demandes de la victime qui se fondait sur la Loi du 5 Juillet 1985, au motif que « l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée à la circulation du tramway l’ayant percutée ».
Sur pourvoi de la victime, la Cour de cassation va prendre le soin de reprendre les constats opérés par la Cour d’appel, à savoir que :
- au lieu de l’accident les voies du tramway n’étaient pas ouvertes à la circulation et étaient clairement rendues distinctes des voies de circulation des véhicules par une matérialisation physique au moyen d’une bordure légèrement surélevée afin d’empêcher leur empiétement,
- des barrières étaient installées de part et d’autre du passage piétons afin d’interdire le passage des piétons sur la voie réservée aux véhicules
- un terre-plein central était implanté entre les deux voies de tramway visant à interdire tout franchissement
- le passage piétons situé à proximité était matérialisé par des bandes blanches sur la chaussée conduisant à un revêtement gris traversant la totalité des voies du tramway et interrompant le tapis herbeux et pourvu entre les deux voies de tramway de poteaux métalliques empêchant les voitures de traverser mais permettant le passage des piétons
- le point de choc ne se situait pas sur le passage piétons mais sur la partie de voie propre du tramway après le passage piétons
avant d’approuver la Cour d’appel d’avoir estimé que « l’application de la loi du 5 juillet 1985 était exclue dès lors que l’accident avait eu lieu sur une portion de voie réservée exclusivement à la circulation du tramway« .
Le pourvoi est donc rejeté.
En présence de deux fondements juridiques distincts, il reste important de faire le bon choix ab initio.
La distinction perdra de son intérêt si le Projet de réforme de la responsabilité civile présenté en mars 2017 est adopté, le nouvel article 1285 y figurant gommant toute référence aux « chemins de fer et (…) tramways circulant sur des voies qui leur sont propres« .