Les obligations pesant sur l’assureur dommage-ouvrage sont encadrées de manière stricte, notamment par les dispositions de l’article L. 242-1 du Code des assurances, en termes de délais mais aussi d’offres. L’objectif du législateur est d’inciter une prise en charge rapide des dommages du maître d’ouvrage par l’assureur DO, à charge pour lui, ensuite, en raison du pré-financement, d’effectuer ses recours contre les responsables et leurs assureurs respectifs.
En cas de manquement, l’alinéa 5ème de l’article L. 242-1 du Code des assurances prévoit :
- La possibilité pour le maître d’ouvrage, après notification à l’assureur DO, d’engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages
- Une majoration de l’indemnité versée par l’assureur DO par l’application de plein droit d’un intérêt au double taux du taux de l’intérêt légal.
« Lorsque l’assureur ne respecte pas l’un des délais prévus aux deux alinéas ci-dessus ou propose une offre d’indemnité manifestement insuffisante, l’assuré peut, après l’avoir notifié à l’assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L’indemnité versée par l’assureur est alors majorée de plein droit d’un intérêt égal au double du taux de l’intérêt légal »
Se plaignant de préjudices liés aux carences de l’assureur DO, certains maîtres d’ouvrage ont envisagé de solliciter en outre
- la condamnation de l’assureur DO à supporter des dommages et intérêts au titre de préjudices immatériels, constitués par exemple par un préjudice de jouissance, pertes d’exploitation ou encore un préjudice locatif, alors qu’aucune garantie facultative n’avait été souscrite pour de tels préjudices
- l’impossibilité pour l’assureur DO d’opposer sa franchise et son plafond de garantie lorsqu’une garantie avait été souscrite pour les préjudices immatériels
- l’application des intérêts au double du taux légal sur les préjudices immatériels lorsqu’une garantie avait été souscrite à ce titre.
De manière constante, la Cour de cassation rejette ces demandes :
- Cass., Civ. 3ème, 17 juillet 2001, n°98-21913 (rejet de la demande dirigée contre l’assureur DO au titre d’un préjudice de perte d’exploitation)
- Cass., Civ. 3ème, 17 novembre 2004, n°02-21336 (rejet d’une demande de communication sous astreinte à produire un rapport d’expert contre l’assureur DO à titre de sanction)
- Cass., Civ. 3ème, 12 janvier 2005, n°03-18989 (censurant une Cour d’appel qui avait, à titre de sanction, refusé à l’assureur DO la possibilité d’opposer la franchise et le plafond de garantie pour des préjudices immatériels garantis)
- Cass., Civ. 3ème, 7 mars 2007, n°05-20485 (rejet de la demande dirigée contre l’assureur DO au titre d’un préjudice locatif)
- Cass., Civ. 3ème, 19 janvier 2017, n°15-26441 (censurant une Cour d’appel qui avait appliqué le doublement des intérêts au taux légal sur les préjudices immatériels).
Il ressort de ces décisions que ne s’appliquent qu’en cas de manquement de l’assureur DO à ses obligations, s’appliquent uniquement les sanctions prévues au 5ème alinéa de l’article L. 242-1 du Code des assurances, et uniquement celles-ci.
Par cet arrêt du 17 Octobre 2019 (C.Cass., Civ. 3ème, 17 Octobre 2019, n° 17 octobre 2019, 18-11103), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation confirme cette jurisprudence.
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que
- le 21 décembre 2007, M. F… a conclu un contrat de construction de maison individuelle avec la société Idéologis, depuis en liquidation judiciaire, assurée en responsabilité civile décennale par la société Sagena, devenue SMA
- une assurance dommages-ouvrage a également été souscrite auprès de la Société SAGENA devenue SMA SA
- une garantie de livraison a été souscrite auprès de la CGI BAT
- la société Idéologis a sous-traité les travaux de gros œuvre à la société CRB, assurée par la société Axa France IARD
- la réception est intervenue le 13 octobre 2008
- se plaignant de désordres, M. F… a, après expertise, assigné les sociétés Idéologis, Sagena, CRB et Axa France IARD, ainsi que la CGI BAT, en indemnisation.
Par un arrêt en date du 19 Septembre 2017, la Cour d’appel de DIJON a notamment condamné condamner in solidum la société SMA à payer à M. F… la somme de 78 398,50 euros au titre des préjudices immatériels et à garantir la CGI BAT et la société Axa France IARD à hauteur de cette somme, en retenant que
- les dommages immatériels peuvent être mis à la charge de l’assureur dommages-ouvrage s’ils découlent d’une faute de celui-ci, notamment à défaut d’offre d’indemnisation de nature à mettre fin aux désordres
- en l’espèce, la société SMA (ex SAGENA) ne justifie pas avoir proposé une indemnité destinée au paiement des travaux de réparation des dommages.
La Cour d’appel de DIJON est censurée par la Cour de cassation sous le visa de l’article L. 241-1 du Code des assurances qui rappelle, classiquement, que « l’article L. 242-1 du code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l’assureur dommages-ouvrage à ses obligations ».
La décision est logique.
Il appartient au maître d’ouvrage qui estime que l’assureur DO a manqué à ses obligations et risque ainsi de lui causer un préjudice, de prendre les choses en main en utilisant la faculté offerte par le 5ème alinéa de l’articler L. 241-1 du Code des assurances, engageant les dépenses nécessaires après notification à l’assureur DO. Celui-ci se trouvera ensuite mis face à ses manquements en étant privé de la possibilité de contester sa garantie, outre la sanction du doublement des intérêts au taux légal. Reste que l’initiative revient désormais au maître d’ouvrage. La balle change de camp.
La situation sera par contre bien différente si la responsabilité de l’assureur DO est recherchée pour avoir pré-financé une solution de reprise inefficace (en ce sens : C.Cass., Civ. 3ème, 24 mai 2006, n°05-11708).