La Cour de cassation vient de publier un arrêt s’ajoutant à ceux récemment prononcés concernant la prescription, la forclusion, la suspension et l’interruption.
Après avoir rappelé que :
- Pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire (Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
- La suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale (Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
- L’assignation en référé aux fins d’extension n’a pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne vaut que pour son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : C.Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771).
- L’assignation délivrée contre un assureur en une qualité donnée ne vaut pas contre ce même assureur sous une autre qualité : assigner un assureur en qualité d’assureur DO ne vaut pas assignation (et donc interruption) en sa qualité d’assureur RCD (en ce sens : ( Cass., Civ. 3ème, 29 Mars 2018, pourvoi n° 17-15042)
- L’effet interruptif de l’assignation ne vaut que pour les seuls désordres qui y sont visés (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-17138)
la Cour de cassation souligne la nécessité de faire preuve de rigueur dans le cadre de la demande d’expertise en référé et dans la computation des délais, sous le visa de l’article 2239 du Code civil (C.Cass., Civ. 3ème, 17 Octobre 2019, n° 18-19611 et 18-20550).
En l’espèce, sur le plan factuel, il convient de retenir que :
- le 6 décembre 2006, M. X… et la société Le Chêne ont conclu un contrat de construction d’une maison d’habitation
- en cours de chantier, avant réception, M. X…, ayant constaté de nombreuses malfaçons, a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 24 décembre 2009, a désigné un expert,
- L’Expert judiciaire a déposé son rapport le 15 décembre 2011
- par acte du 14 août 2012, M. X… a assigné la société Le Chêne en annulation du contrat, subsidiairement en résolution ou en réparation des désordres.
Si le moyen de la société Le Chêne n’est pas reproduit, il se déduit de l’arrêt que celle-ci a opposé la prescription de la demande en nullité du contrat.
La Cour d’appel de RENNES, par un arrêt en date du 17 Mai 2018, a rejeté ce moyen et a déclaré la demande en annulation recevable en estimant que :
- qu’il ne saurait être ajouté une condition à la suspension du délai de prescription, prévue par l’article 2239 du code civil
- que l’expertise sollicitée en référé est utile à l’appréciation de la demande en nullité du contrat, les conséquences de la nullité étant appréciées au regard de la gravité des désordres et non-conformités affectant la construction.
L’arrêt est censuré par la Cour de cassation sous le visa de l’article 2239 du Code civil, étant utilement rappelé que celui-ci énonce que :
« La prescription est également suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès.
Le délai de prescription recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée »
La Cour de cassation estime en effet que « la demande d’expertise en référé sur les causes et conséquences des désordres et malfaçons ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat de construction, de sorte que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas suspendu la prescription de l’action en annulation du contrat« .
La position de la Cour de cassation s’avère rigoureuse.
En outre, il convient de s’interroger sur la pertinence d’une assignation en référé qui aurait pour but la demande d’annulation du contrat de construction. Il serait au contraire bien plus judicieux, et prudent, pour le maître d’ouvrage de surveiller ses délais, quitte à assigner au fond et solliciter un sursis à statuer, s’il entend obtenir l’annulation du contrat de construction.