La réception des travaux d’un locateur d’ouvrage est un moment décisif à bien des égards. Le maître d’ouvrage doit faire preuve d’une vigilance toute particulière afin de porter sur le procès-verbal de réception toutes les réserves nécessaires. Faute de quoi, l’effet de purge de la réception sans réserve des vices apparent lui sera opposée, le privant ainsi de tout recours contre les locateurs d’ouvrage. Tout au plus pourra-t-il envisager de rechercher la responsabilité du maître d’œuvre (s’il y en avait un..) au titre d’un défaut de conseil.
Mais le maître d’ouvrage peut lui-même recevoir la qualité de constructeur lorsqu’il vend son bien dans le délai de 10 années suivant la réception.
Le caractère apparent ou non du désordre peut donc représenter un enjeu important.
Par son arrêt du 18 Avril 2019 (pourvoi n° 18-14337), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation vient confirmer
- un arrêt du 10 novembre 2016, (Cass., Civ. 3ème, 10 Novembre 2016, pourvoi n°15-24379) sur la question de l’appréciation du caractère apparent des désordres
- un arrêt du 21 Mars 2019 (Cass., Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n° 17-28021) au sujet de l’absence d’effet erga omnes de l’assignation aux fins d’extension.
En l’espèce, il convient de retenir que :
- Les Epoux P. ont fait construire une maison d’habitation.
- Ils ont confié
- le lot gros-œuvre à Monsieur I. assuré auprès de la société L’AUXILIAIRE
- l’installation de la cheminée à la Société ATRE DESIGN
- la réalisation de la chape sur plancher électrique à Monsieur X
- une réception tacite est intervenue le 28 Juin 2002
- les Epoux P. ont vendu cette maison à Madame C. le 7 Juin 2007
- se plaignant de désordres, Madame C a assigné en référé les Epoux P.
- les Epoux P. ont alors assigné en garantie les constructeurs et la société L’AUXILIAIRE, ès qualité d’assureur de Monsieur I.
- au fond, Madame C. a assigné les Epoux P., les constructeurs et la société L’AUXILIAIRE sur le fondement décennal.
La Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE, par un arrêt en date du 28 septembre 2017 :
- a rejeté les demandes formées par Madame C au titre de l’absence de ventilation et d’isolation thermique au niveau des combles, du défaut d’étanchéité à l’air des portes-fenêtres du salon et de la chambre et de l’insuffisance de chauffage, au motif qu’il s’agit d’un vice apparent ne rendant pas l’immeuble impropre à sa destination, l’acquéreur ayant acheté le bien en connaissance de cause
- a déclaré recevable la demande formée par Madame C contre Monsieur I. et son assureur, la Société L’AUXILIAIRE, en retenant que l’assignation en référé et l’ordonnance de référé du 2 juin 2010 désignant un expert a interrompu le délai décennal.
L’arrêt de la Cour d’appel est tout d’abord censuré sur la question du caractère apparent du désordre, sous le visa des articles 1792 et 1792-1, 2° du code civil.
La Cour de cassation rappelle en effet que le « caractère apparent ou caché des désordres s’apprécie en la personne du maître de l’ouvrage au jour de la réception« .
C’est donc en la personne des Epoux P., maître d’ouvrage au moment de la réception, que la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE devait apprécier le caractère apparent ou caché des désordres.
Dans son arrêt du 10 Novembre 2016, la 3ème Chambre civile avait déjà indiqué que :
« Qu’en statuant ainsi, au motif inopérant que les désordres décennaux relevés par l’expert étaient connus et/ ou apparents au moment de la vente, alors que le caractère apparent ou caché des désordres s’apprécie en la personne du maître de l’ouvrage constructeur et au jour de la réception, qui correspond pour celui-ci à l’achèvement des travaux« .
Il s’agit donc d’un arrêt de confirmation.
L’acheteur du bien atteint de désordres aura donc tout intérêt à soutenir que le vendeur, maître d’ouvrage au moment de la réception, ne pouvait pas connaitre les vices, afin de préserver ses recours sur le fondement décennal.
L’arrêt de la Cour d’appel est également censuré sous le visa de l’article 2241 du Code civil.
La Cour de cassation rappelle que l’assignation de Madame C délivrée aux seuls Epoux P., qui n’était pas dirigée contre M. I… ni la société l’AUXILIAIRE, n’avait pas pu interrompre le délai à leur égard, de sorte que la demande était irrecevable.
Par précaution, il convient donc d’assigner également les appelés en garantie, afin d’interrompre valablement les délais à leur encontre. Dans son arrêt du 21 Mars 2019, la Cour de cassation avait déjà rappelé que :
« Pour être interruptive de prescription, l’assignation doit être adressée à celui que l’on veut empêcher de prescrire et que celle délivrée par l’assureur dommages-ouvrage aux intervenants à la construction et à leurs assureurs n’est pas interruptive de prescription au profit du maître de l’ouvrage qui n’a assigné en référé expertise que l’assureur dommages-ouvrage«