La réception de l’ouvrage est le point de départ des garanties légales et représente un temps fort dans la vie de cet ouvrage.
Aux côtés de la réception expresse et judiciaire, la réception tacite est le 3ème mode de réception possible.
Après une période de tumulte, la jurisprudence semblait revenir, depuis les arrêts de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation du 13 Juillet 2017 (pourvoi n° 16-19438) et du 17 Décembre 2017 (pourvoi n° 16-24752) à une ligne plus orthodoxe : la réception tacite devait se traduire par la volonté non équivoque du maître d’ouvrage de réceptionner l’ouvrage et il revenait à celui qui l’invoque de la démontrer.
L’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 30 Janvier 2019 (pourvois n° 18-10197 et 18-10699) a bouleversé à nouveau la jurisprudence, en estimant, sous le visa de l’article 1792-6 du Code civil, que :
« Qu’en statuant ainsi, alors que l’achèvement de la totalité de l’ouvrage n’est pas une condition de la prise de possession d’un lot et de sa réception et que le paiement de l’intégralité des travaux d’un lot et sa prise de possession par le maître de l’ouvrage valent présomption de réception tacite, la cour d’appel a violé le texte susvisé »
Cet arrêt marque un retour à la notion de présomption de réception tacite et consacre l’idée d’une réception tacite ET partielle…
Par son arrêt en date du 4 Avril 2019 (C. Cass., Civ. 3ème, 4 Avril 2019, pourvoi n° 18-12410), la Cour de cassation estime que la réception tacite peut être encadrée par la définition qui en serait donnée dans le contrat d’assurance souscrit par l’assureur décennal du locateur d’ouvrage.
En l’espèce, des particuliers font installer une pompe à chaleur air/eau haute température à leur domicile par l’entreprise Y, assurée en responsabilité décennale auprès de la Société THELEM ASSURANCES.
Le contrat d’assurance souscrit par l’entreprise Y auprès de la Société THELEM ASSURANCES comportait un article intitulé « réception » selon lequel :
« si la réception n’est pas écrite, elle peut être tacite. Cet accord tacite se constate lorsque par l’absence de réclamation sur une période significative, le maître de l’ouvrage a clairement signifié qu’il considérait les travaux comme conformes au marché. En aucun cas, la simple prise de possession des lieux ne vaut réception en soi, même si ultérieurement la date de cette prise de possession est considérée comme le point de départ des divers délais »
Les maîtres d’ouvrage se sont plaints de dysfonctionnements de la pompe à chaleur et ont sollicité une indemnisation de leurs préjudices auprès de la Société THELEM ASSURANCES.
La Cour d’appel de RENNES a rejeté leur demande au motif que « les conditions d’une réception tacite, au sens de la clause du contrat, n’étant pas remplies », écartant le fondement décennal.
La Cour de cassation valide l’arrêt de la Cour d’appel de RENNES en relevant que :
- la clause contractuelle relative à la réception était valable et opposable à la victime
- les maîtres d’ouvrage avaient pris possession des lieux en janvier 2008
- le rapport d’expertise et leur assignation démontraient que les désordres étaient survenus dès l’installation dans les lieux
- les maîtres d’ouvrage avaient appelé à plusieurs reprises l’entreprise Y pour qu’elle intervienne
- le constat des dysfonctionnements avait donc été immédiat, dès l’entrée dans les lieux, ce qui ne permettait pas de retenir l’absence de réclamation sur une période significative.
pour conclure que « les conditions d’une réception tacite, au sens de la clause du contrat, n’étant pas remplies, la société Thelem assurances n’était pas tenue de garantir les désordres« .
Extraits :
« Attendu, d’autre part, qu’ayant relevé que la clause contractuelle relative à la réception était valable et opposable à la victime, que M. et Mme X… avaient pris possession des lieux en janvier 2008, qu’il résultait tant du rapport d’expertise que de l’assignation délivrée par M. et Mme X… que les désordres étaient survenus dès l’installation dans les lieux, que M. X… avait appelé à plusieurs reprises la société Y… pour qu’elle intervienne, que le constat des dysfonctionnements avait donc été immédiat, dès l’entrée dans les lieux, ce qui ne permettait pas de retenir l’absence de réclamation sur une période significative, la cour d’appel en a exactement déduit que, les conditions d’une réception tacite, au sens de la clause du contrat, n’étant pas remplies, la société Thelem assurances n’était pas tenue de garantir les désordres »
La Cour de cassation prend le soin de vérifier chaque condition posée par la définition contractuelle de l’assureur, y compris « l’absence de réclamation sur une période significative« .
Les définitions pouvant varier entre les contrats d’assurances, la réception tacite deviendrait-elle une notion à géométrie variable ? Comment gérer des définitions différentes entre les assureurs respectifs de multiples locateurs d’ouvrage ?
Cet arrêt ne va pas sans poser des interrogations et risque de compliquer la notion de réception tacite.