Une faute simple du maître d’œuvre dans le suivi du chantier suffit désormais pour engager la responsabilité de celui-ci vis-à-vis d’un maître d’ouvrage personne publique : abandon de l’exigence d’une faute caractérisée (CE, 19 Novembre 2018, n° 413017)
Le Conseil d’Etat marque un rapprochement supplémentaire avec le Juge civil en matière de droit de la construction.
Le Juge administratif exigeait antérieurement que soit rapportée la preuve que « l’architecte [ait] commis une faute caractérisée et d’une gravité suffisante » (CE, Sect., 21 Octobre 1966, n°61615). Il s’agissait donc une faute d’une certaine gravité, dépassant la faute simple. Seul assouplissement à cette exigence, depuis 1990, le Conseil d’Etat (CE, 17 Décembre 1990, n° 67044) estimait qu’une faute simple était suffisante pour engager la responsabilité d’un maître d’œuvre lorsqu’il s’agissait d’une faute dans la conception de l’ouvrage.
Cette faute caractérisée était de nature à limiter les recours en garantie du maître d’ouvrage personne publique, voire y faire obstacle totalement. Cela pouvait s’avérer d’autant plus préjudiciable si les dommages allégués ne pouvaient relever de la garantie décennale ou de la garantie de bon fonctionnement.
En effet, le Juge administratif ne connaît pas la théorie des vices intermédiaires (exemple : CAA MARSEILLE, 9 Juillet 2012, n° 09MA03189 ; CAA NANCY, 4e chambre, 26 Septembre 2017 – n° 16NC00682), estimant que la réception a mis fin à toute relation contractuelle et donc ferait échec à la mobilisation d’une responsabilité contractuelle. Dès lors, après réception, sauf à ce que le désordre allégué présenté remplisse les critères de la responsabilité décennale, ou entre dans le champ de la garantie de bon-fonctionnement (d’une durée de seulement 2 ans), la responsabilité d’un locateur d’ouvrage ne peut plus être recherchée. Le maître d’ouvrage personne publique se trouve privé d’un recours pour des dommages mineurs (exemple : fissures esthétiques sur enduits), alors même qu’une expertise pourrait établir une faute du locateur d’ouvrage.
Dès lors, pour contourner cette difficulté et obtenir une indemnisation, le maître d’ouvrage personne publique se tournait alors vers son maître d’œuvre en alléguant une faute de sa part dans le suivi du chantier, pour ne pas avoir détecté et signalé les défauts de réalisation du locateur d’ouvrage titulaire du lot à l’origine du dommage.
Le présent arrêt devrait faciliter les recours.
En l’espèce, la Cour administrative d’appel de MARSEILLE (CAA MARSEILLE, 12 Juin 2017, n°09MA04654) avait appliqué la jurisprudence du Conseil d’Etat pour limiter le recours en garantie contre l’Etat (maître d’œuvre : Direction Département de l’Equipement) : « Considérant en revanche qu’il résulte du rapport d’expertise que l’insuffisance de surveillance par la maîtrise d’œuvre de la réalisation par la société V. de l’assise du quai suivant les stipulations contractuelles prévues aux articles 2 et 4.2. du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) n’est pas constitutive d’une faute caractérisée d’une gravité suffisante de nature à engager la responsabilité de l’Etat« .
Le Conseil d’Etat censure la juridiction d’appel et abandonne par cette occasion l’exigence d’une faute caractérisée, par une motivation nette : « qu’en subordonnant ainsi l’engagement de la responsabilité du maître d’œuvre dans le cadre de sa mission de surveillance de l’exécution du marché à l’existence d’une faute caractérisée d’une gravité suffisante, alors qu’il lui appartenait seulement de rechercher si le comportement du maître d’œuvre présentait un caractère fautif eu égard à la portée de son intervention compte tenu des propres obligations des autres constructeurs, la cour administrative d’appel de Marseille a commis une erreur de droit« .
En présence de désordres de nature décennale, la garantie du maître d’œuvre et celle du locateur d’ouvrage étaient acquises.
Mais une ouverture intéressante s’opère à l’avenir pour les vices intermédiaires.