La vente d’immeuble à construire présente des spécificités qu’il est important de maîtriser, notamment en termes de délais.
Elle est codifiée à l’article 1601-1 du Code civil (dont l’article L. 261-1 du Code de la construction et de l’habitation reprend les termes) et regroupe :
- La vente à terme (article 1601-2 du Code civil, repris à l’article L. 261-2 du CCH)
- La vente en l’état futur d’achèvement (article 1601-3 du Code civil, repris à l’article L. 261-3 du CCH).
Alors qu’il est potentiellement débiteur de la garantie décennale dès lors que les critères sont remplis (notamment en cas de travaux de rénovation lourde : C.Cass., Civ. 3ème, 21 Juin 2018, n°17-19762), le vendeur d’immeuble à construire n’est pas tenu au titre de la garantie de parfait achèvement, n’étant pas visé par l’article 1792-6 du Code civil (C.Cass., Civ. 3ème, 30 Mars 1994, n°92-17225).
Par contre, en vertu de l’article 1642-1 du Code civil, il est tenu avant la réception des travaux et pendant un délai d’un mois courant à compter de la prise de possession par l’acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents :
« Le vendeur d’un immeuble à construire ne peut être déchargé, ni avant la réception des travaux, ni avant l’expiration d’un délai d’un mois après la prise de possession par l’acquéreur, des vices de construction ou des défauts de conformité alors apparents.
Il n’y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s’oblige à réparer »
Pour préserver ses droits, l’acquéreur doit agir avant l’expiration d’un délai d’un an courant lui-même à compter de l’expiration du délai d’un mois, conformément au 2ème alinéa de l’article 1648 du Code civil qui énonce :
« Dans le cas prévu par l’article 1642-1, l’action doit être introduite, à peine de forclusion, dans l’année qui suit la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou des défauts de conformité apparents »
Il est expressément précisé qu’il s’agit d’un délai de forclusion, ce qui est lourd de conséquences, comme le rappelle l’arrêt du (C.Cass., Civ. 3ème, 13 Février 2025, n°23-15846).
Il n’est pas nécessaire d’agir dans le délai d’un mois suivant la prise de possession : il s’agit bien d’un délai d’un an pour agir concernant les désordres apparus dans le mois suivant la prise de possession (C.Cass., Civ. 22 Mars 2020, n°98-20250 ; C.Cass., Civ. 3ème, 16 Décembre 2009, n°08-19612).
En effet, prescription et forclusion doivent être distinguées.
Les articles 2239 (Section 2 : Des causes de report du point de départ ou de suspension de la prescription) et 2241 (Section 3 : Des causes d’interruption de la prescription) du Code civil traitent respectivement de la suspension de la prescription et de l’interruption des délais de forclusion.
Les enjeux ne sont pas négligeables en droit de la construction car
- le délai de prescription peut être suspendu par la demande en référé, ne recommençant à courir qu’après le dépôt du rapport d’expertise judiciaire (avec un minimum de 6 mois)
- le délai de forclusion ne peut être suspendu : il ne peut qu’être interrompu de sorte qu’un nouveau délai recommence à courir au prononcé de l’Ordonnance (Cass., Civ. 2ème, 25 juin 2009, n°08-14243 ou encore (C.Cass., Civ. 3ème, 10 Novembre 2016, n°15-24289).
En matière de vente d’immeuble à construire, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (C.Cass., Civ. 3ème, 3 Juin 2015, n°14-15796) a déjà pu indiquer que :
« la suspension de la prescription prévue par l’article 2239 du code civil n’est pas applicable au délai de forclusion ; qu’ayant relevé que l’assignation en référé du 6 décembre 2008 avait interrompu le délai de forclusion et qu’un expert avait été désigné par une ordonnance du 7 avril 2009 et exactement retenu que l’acquéreur ne pouvait pas invoquer la responsabilité contractuelle de droit commun du vendeur d’immeuble à construire qui ne peut être tenu à garantie des vices apparents au-delà des limites résultant des dispositions d’ordre public des articles 1642-1 et 1648 du code civil, la cour d’appel en a déduit à bon droit que Mme X… était forclose quand elle a assigné au fond la SCI le 10 décembre 2010 »
Ainsi, il en ressort que :
- la responsabilité contractuelle du vendeur d’immeuble à construire ne peut être invoquée
- un nouveau délai d’un an avait recommencé à courir à compter de l’Ordonnance de référé ayant prononcé la désignation d’un Expert judiciaire
- la suspension du délai de prescription n’était pas applicable.
C’est ce que la Cour de cassation vient confirmer par son arrêt du 13 Février 2025 (C.Cass., Civ. 3ème, 13 Février 2025, n°23-15846).
Les données de l’espèce sont relativement simples :
- par acte du 18 novembre 2015, faisant suite à un contrat de réservation du 11 avril 2015, M. [J] et Mme [L] ont acquis de la société Iroise promotion un appartement et deux places de stationnement en l’état futur d’achèvement, qui ont été livrés le 10 janvier 2017.
- Se plaignant de désordres et de non-conformités, M. [J] et Mme [L] ont sollicité, en référé, une mesure d’expertise judiciaire qui a été ordonnée le 16 avril 2018. Puis, ils ont assigné la société Iroise promotion et d’autres intervenants à l’opération de construction en indemnisation de leurs préjudices.
- La société Iroise promotion leur a opposé une fin de non-recevoir tirée de la forclusion de leur demande relative à la dimension de la place de stationnement extérieur.
Par un arrêt en date du 16 Mars 2023, la Cour d’appel de RENNES a déclaré irrecevable comme forclose l’action indemnitaire de M. [J] et Mme [L] relative à la place de stationnement extérieur.
- [J] et Mme [L] ont formé un pourvoi.
Cependant, ce pourvoi est rejeté par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation qui rappelle que la cour d’appel a
- constaté que les acquéreurs sollicitaient, en raison d’un manquement du vendeur en l’état futur d’achèvement à son obligation d’information et de conseil, l’indemnisation du préjudice lié à la modification en cours de travaux de la place de stationnement extérieure, qui n’était pas aux dimensions convenues,
- retenu, sans modifier l’objet du litige, que ce préjudice résultait d’une non-conformité contractuelle d’un des lots découverte par les acquéreurs après la livraison et que la réparation d’une non-conformité apparente, quelle qu’en soit l’origine ou la cause, pouvait être réalisée en nature, par équivalent ou par l’octroi d’un dédommagement du préjudice qu’elle entraîne.
avant de l’approuver d’en avoir « exactement déduit que, l’action en indemnisation des acquéreurs relevant de la garantie prévue à l’article 1642-1 code civil, exclusive de l’application de la responsabilité contractuelle de droit commun, elle était irrecevable pour forclusion, pour avoir été engagée plus d’un an après l’ordonnance désignant l’expert judiciaire« .
Il est donc confirmé que :
- l’assignation en référé a un effet interruptif de sorte qu’il faut surveiller le délai d’un an, même si les opérations d’expertise judiciaire sont toujours en cours. Cet effet interruptif est limité aux désordres mentionnés dans l’assignation (Cass., Civ. 3ème, 8 Février 2023, n°21-14708)
- seule la garantie prévue à l’article 1642-1 du Code civil est applicable, à l’exclusion de la responsabilité contractuelle de droit commun.
Enfin, il est important de rappeler que
- l’alinéa 2 de l’article 1642-1 du Code civil prévoit que « Il n’y aura pas lieu à résolution du contrat ou à diminution du prix si le vendeur s’oblige à réparer«
- si le vendeur de l’immeuble prend l’engagement de réparer les désordres apparus dans le délai d’un mois, alors il ne pourra plus tenter de se prévaloir de la forclusion car c’est bien le délai de la responsabilité contractuelle de 5 ans qui s’appliquer, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation ayant déjà pu indiquer que « le délai de forclusion de l’article 1648, alinéa 2, du code civil n’est pas applicable à l’action qui a pour objet d’obtenir l’exécution de l’engagement pris par le vendeur d’immeuble à construire de réparer les désordres apparents qui ont fait l’objet de réserves à la réception » (Cass., Civ. 3ème, 1er Février 2024, n°22-23716).