Dans la vie d’un ouvrage, la réception s’avère être un élément déterminant, pouvant être lourd de conséquences. Il est donc important de bien le maîtriser et l’appréhender.
La réception est prévue au 1er alinéa de l’article 1792-6 du Code civil, qui énonce :
« La réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement »
A côté de la réception expresse, figure la réception tacite, sur laquelle la Cour de cassation a l’occasion de revenir fort régulièrement, signe des débats nourris qu’elle peut générer.
Par un arrêt en date du 2 Mars 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 2 Mars 2022, n° 21-10048), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a pu rappeler que la réception tacite se déduit d’un faisceau d’indices avec une marge d’appréciation non négligeable laissée aux Juridictions du fond, tout en soulignant que
- le paiement des travaux n’est pas nécessairement une condition déterminante
- il n’y a pas de présomption de réception tacite.
La Cour de cassation a pu retenir une réception tacite pour :
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de son appartement avant l’achèvement des travaux et qu’à cette date, avait payé le montant des travaux déjà réalisés (, Civ. 3ème, 18 Mai 2017, pourvoi n°16-11260)
- pour un maître d’ouvrage qui a pris possession de l’ouvrage et auquel aucune somme ne lui était réclamé au titre du solde du marché (, Civ. 3ème, 24 novembre 2016, pourvoi n° 15-25415).
En retour, la 3ème Chambre civile a pu écarter la réception tacite
- au vu de l’allégation d’un abandon de chantier et, de manière concomitante, la contestation systématique et continue de la qualité des travaux par le maître de l’ouvrage (Cass., Civ. 3ème, 4 avril 2019, pourvoi n°18-10412).
- aux motifs que l’absence de justification du paiement du coût des travaux réalisés et la contestation par le Maître d’ouvrage de la qualité de ceux-ci permettent de déduire son absence de volonté d’accepter l’ouvrage en son état lors de sa prise de possession (Cass., Civ. 3ème, 16 mai 2019, pourvoi n°18-15187).
- en l’absence notamment de règlement du solde et de signature de l’attestation de bonne fin de travaux (Cass., Civ. 3ème, 16 Septembre 2021, n° 20-12372)
Elle a en outre pu préciser que
- lorsque la prise de possession et le paiement du solde sont identifiés à des dates différentes, il faut retenir la date du paiement du solde (Cass., Civ. 3ème, 12/11/2020 n°19-18213)
- Le paiement de la facture d’un locateur d’ouvrage est insuffisant pour caractériser une réception tacite et partielle faute de prise de possession du lot (Cass., Civ. 3ème, 11 juillet 2019, n°18-18325)
- La seule prise de possession n’établit pas la volonté tacite du maître de l’ouvrage de réceptionner les travaux (C.Cass., Civ. 3ème, 5 Janvier 2022, n° 20-22835)
De même, la 3ème Chambre de la Cour de cassation a
- validé explicitement la possibilité d’une réception tacite avec une réserve (Cass., Civ. 3ème, 20 Avril 2022, n°21-13630) après l’avoir implicitement admise (C.Cass., Civ. 3ème, 19 octobre 2010, n°09-70715)
- souligné l’importance de la réception et de ses effets, en estimant que le vice était apparent lors de la réception tacite dont la date doit être fixée à la prise de possession de l’installation et de paiement du solde, et avait été couvert par une réception sans réserves car connu avant la réception sans que le maître d’ouvrage ne justifie ni ne détaille les travaux qui auraient pu lui laisser croire que le problème était résolu avant réception (Cass., Civ.3ème, 29 Juin 2022, n°21-17997).
Sur le sujet des contestations émises concomitamment à la prise de possession permet de rendre équivoque la volonté du maître d’ouvrage de recevoir l’ouvrage. Ainsi, par un arrêt en date du 26 Octobre 2022, la 3ème Chambre civile a estimé que la contestation constante et quasi-immédiate de la qualité des travaux, suivie d’une demande d’expertise judiciaire portant sur les manquements de l’entrepreneur, était de nature à rendre équivoque la volonté du maître de l’ouvrage de recevoir celui-ci : rejet de la réception tacite (C.Cass., Civ. 3ème, 26 octobre 2022, n°21-22011).
L’immédiateté des contestations est l’objet d’un éclairage intéressant de la Cour de cassation par un arrêt en date du 19 Septembre 2024 (C.Cass., Civ. 3ème, 19 Septembre 2023, n° 19 septembre 2024, n° 22-24808), confrontant une situation loin d’être inédite.
Sur le plan factuel et procédural, il convient de retenir que
- en vue de faire construire une maison d’habitation, Mme [R] a confié à la société [R], depuis en liquidation judiciaire, assurée par la SMABTP, la réalisation de certains travaux, notamment, de gros œuvre et élévation.
- Confrontée à des difficultés pour se loger, Mme [R] avait emménagé dans son bien avant, ensuite, de dénoncer des désordres, la contraignant à rechercher des solutions alternatives de relogement en urgence
- Après expertise judiciaire, se plaignant d’un retard dans l’exécution des travaux et de désordres, elle a assigné notamment la société [R] et son liquidateur judiciaire, la société MJO, ainsi que la SMABTP, en réparation de ses préjudices.
- La SMABTP a notamment contesté la réception de l’ouvrage.
Par un arrêt en date du 25 Octobre 2022, la Cour d’appel de POITIERS a fixé la réception tacite au 26 Juillet 2017 avant de retenir la garantie décennale de la SMABTP au titre des travaux réparatoires, outre indemnisation des préjudices de jouissance, de relogement, moral et financier.
La SMABTP a formé un pourvoi, alléguant que la prise de possession avait été contrainte et la volonté de recevoir l’ouvrage équivoque.
Le moyen est écarté par la Cour de cassation qui retient que la Cour d’appel avait, souverainement
- Retenu que le fait que Mme [R] avait, trois mois après une prise de possession d’un ouvrage en partie inachevé, formulé des réserves auprès de la société [R], tenté d’obtenir la reprise des malfaçons par les entreprises et recherché des solutions d’hébergement alternatives en urgence, ne retirait rien à la réalité de sa prise de possession de l’ouvrage intervenue le 26 juillet 2017, quels qu’en étaient été les motifs,
- relevé qu’elle avait alors procédé au paiement de la quasi-totalité du prix du devis signé ainsi que des factures complémentaires de la société [R],
avant de l’approuver d’avoir pu en déduire sa volonté non équivoque de recevoir l’ouvrage et, par conséquent, l’existence d’une réception tacite à cette date.
En comparaison, dans l’arrêt du 26 Octobre 2022 (C.Cass., Civ. 3ème, 26 octobre 2022, n°21-22011), la contestation avait été constante et quasi-immédiate, en l’occurrence 7 jours (du 16 mai 2006 au 23 mai 2006).
A nouveau, il est démontré toute la subtilité qui entoure la notion de réception tacite.