Le principe de réparation commande d’indemniser la victime sans pertes, ni profits.
Pour tenter d’aborder tous les postes de préjudice susceptibles d’être indemnisé, a été établie une « nomenclature » par un groupe de travail présidé par Monsieur Jean-Pierre DINTILHAC, alors Président de la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation.
L’objectif de cette nomenclature était de « répondre à l’attente légitime des victimes qui souhaitent toutes une meilleure lisibilité et prévisibilité de leurs préjudices susceptibles d’être indemnisés » (Rapport du groupe de travail chargé d’élaborer une nomenclature des préjudices corporels, page 1), tout en précisant que cette nomenclature
- « qui recense les différents postes de préjudice corporel, ne doit pas être appréhendée par les victimes et les praticiens comme un carcan rigide et intangibles conduisant à exclure systématiquement tout nouveau chef de préjudice sollicité dans l’avenir par les victimes, mais plutôt comme une liste indicative – une sorte de guide – susceptible au besoin de s’enrichir de nouveaux postes de préjudice qui viendraient alors s’agréger à la trame initiale » (Rapport, page 4)
- « étant simplement indicative, elle n’a donc pas vocation à être appliquée systématiquement dans son intégralité à tous les types de dommages. En la matière, il demeure indispensable de laisser une place importante à l’office du juge (ou de l’organe d’indemnisation) qui est seul habilité à reconnaître au cas par cas l’existence de tel ou tel poste de préjudice en fonction de chaque victime » (rapport, page 4).
Le caractère limitatif – ou non – a déjà été débattu en jurisprudence, au sujet notamment de l’intégration du préjudice d’angoisse de mort imminente au travers des souffrances endurées.
D’un côté, la 2ème Chambre civile de la Cour de cassation retenait une intégration :
tandis que la Chambre criminelle de la Cour de cassation consacrait l’autonomie de ce poste de préjudice :
La 1ère Chambre civile de la Cour de cassation retenait une approche médiane en excluant par principe toute indemnisation distincte du préjudice d’angoisse de mort imminente car étant inclus au travers des souffrances endurées, sauf s’il avait été exclu de celles-ci (C.Cass., Civ. 1ère, 26 septembre 2019, n°18-20924).
Mettant fin à cette divergence jurisprudentielle, la Chambre mixte de la Cour de cassation, par deux arrêts en date du 25 Mars 2022 (C.Cass., Ch. Mixte, 25/03/2022, n°20-15624 et n°20-17072), a retenu une Indemnisation autonome pour le préjudice d’angoisse de mort imminente (distinct des souffrances endurées) et le préjudice d’attente et d’inquiétude (distinct du préjudice d’affection).
Cette question a cependant eu l’opportunité de revenir devant la Cour de cassation en matière de droit médical.
Les données factuelles et procédurales sont simples :
- le 10 janvier 2001, à la suite du diagnostic d’une subluxation rotulienne, M. [Z] a subi une décompression de la rotule sous arthroscopie réalisée par un chirurgien
- Au cours de l’intervention, le chirurgien a décidé de procéder à une exérèse de la bourse prérotulienne.
- Le 21 janvier 2001, à la suite de la survenue d’un hématome postopératoire, une nouvelle intervention chirurgicale a dû être pratiquée.
- Le 10 janvier 2011, M. [Z], invoquant des douleurs articulaires persistantes, a assigné en responsabilité et indemnisation le chirurgien.
- La société Medical Insurance Company, assureur de responsabilité civile professionnelle de celui-ci, est intervenue volontairement à l’instance
- Par un arrêt en date du 16 Décembre 2021, la Cour d’appel de PARIS a notamment alloué à la victime une somme de 1 000 € en réparation du préjudice moral lié à l’ablation illégitime d’un corps sain.
- La société Medical Insurance Company a formé un pourvoi, invoquant une violation de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique et l’article 1147 du code civil, devenu article 1231-1, ensemble le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime.
La Cour de cassation ne revient pas sur la responsabilité : celle-ci n’était d’ailleurs pas débattue au travers du pourvoi et la jurisprudence a déjà pu retenir une responsabilité pour l’ablation du rein droit sain au lieu du rein gauche comme prévue (Cour d’appel de Besançon, 1ère Chambre civile, section A, 12 Septembre 2007, n°06/02408).
Elle se contente de rappeler que « la cour d’appel a retenu que l’exérèse de la bourse prérotulienne était inutile et constitutive d’une faute du chirurgien et que M. [Z] avait subi un préjudice moral découlant de l’ablation d’un organe sain« .
Puis elle relève que « les sommes allouées au titre du déficit fonctionnel permanent et des souffrances n’incluaient pas ce préjudice, dont elle avait constaté l’existence » avant d’approuver la Cour d’appel d’avoir indemniser distinctement ce poste de préjudice.
Il n’y a donc pas eu méconnaissance du principe de réparation intégrale.
Ainsi, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation reprend la position médiane qu’elle avait pu observer au sujet du préjudice d’angoisse de mort imminente en 2019 (C.Cass., Civ. 1ère, 26 septembre 2019, n°18-20924).
Pour les parties, cela implique d’être vigilant sur chaque aspect des préjudices allégués
- au stade de l’expertise (amiable ou judiciaire), pour l’évaluation de cet éventuel préjudice moral et son inclusion – ou non – au travers d’un autre poste de préjudice
- au stade des conclusions en liquidation, puisqu’il faudra argumenter en faveur d’une majoration des sommes habituellement allouée pour une cotation donnée ou alors veiller à justifier d’une appréhension distincte de ce poste de préjudice.