Par un arrêt en date du 7 Décembre 2023, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé l’importance de maîtriser les subtilités du régime juridique applicable à l’assurance DO, y compris dès le stade du référé expertise.
Non publié, l’arrêt de la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation en date du 7 décembre 2023 (C.Cass., Civ. 3ème, 7 Décembre 2023, n°22-19463) mérite cependant d’être souligné car il permet d’éviter de saisir trop précipitamment le Juge des référés, de voir sa demande rejetée et s’exposer à des frais irrépétibles.
L’alinéa 1er de l’article L. 242-1 du Code des assurances prévoit :
« Toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l’ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l’ouvrage, fait réaliser des travaux de construction, doit souscrire avant l’ouverture du chantier, pour son compte ou pour celui des propriétaires successifs, une assurance garantissant, en dehors de toute recherche des responsabilités, le paiement de la totalité des travaux de réparation des dommages de la nature de ceux dont sont responsables les constructeurs au sens de l’article 1792-1, les fabricants et importateurs ou le contrôleur technique sur le fondement de l’article 1792 du code civil »
Il s’agit d’une assurance de pré-financement, l’assureur DO, subrogé dans les droits du maître d’ouvrage une fois celui-ci indemnisé.
Le maître d’ouvrage, en vertu des dispositions de l’article L. 242-1 du Code des assurances, pour mettre en œuvre les garanties de l’assurance dommages-ouvrage, est tenu de faire, soit par écrit contre récépissé, soit par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une déclaration de sinistre à l’assureur, lequel doit alors désigner un expert. La déclaration de sinistre auprès de l’assureur DO est un préalable indispensable à toute action judiciaire.
A défaut, la demande de l’assurée, même en référé, contre l’assureur DO, est irrecevable :
- Cass., Civ. 3ème, 23 Juin 2004, n°01-17723
- Cass., Civ. 3ème, 10 mai 2007, n°06-12.467
- Cass., Civ. 3ème, 5 Novembre 2008, n°07-15449
- Cass., Civ. 3ème, 14 Mars 2012, pourvoi n° 11-10961 : « Mais attendu qu’ayant relevé que le maître de l’ouvrage avait subi des premiers désordres, pris en charge par la société Axa, assureur dommages-ouvrage, la cour d’appel a exactement retenu, sans dénaturation, qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre sinistre nouveau et aggravation d’un sinistre ancien déclaré et qu’à défaut de nouvelle déclaration de sinistre, la demande d’expertise pour les nouvelles fissures, présentée par le maître de l’ouvrage à l’encontre de l’assureur dommages-ouvrage n’était pas recevable«
- Cass, Civ. 3ème, 8 Avril 2014, n° 11-25342.
Dans l’arrêt du 7 Décembre 2023, les données factuelles étaient les suivantes :
- la société Fromagerie Guilloteau a fait construire un bâtiment industriel et étendre un quai de déchargement.
- A cette fin, elle a conclu un contrat de crédit-bail avec la société Slibail immobilier, aux droits de laquelle vient la société Finamur.
- Un contrat d’assurance dommages-ouvrage a été souscrit auprès de la société Axa Global Risks, aux droits de laquelle vient la société Axa France IARD.
- La réception de l’ouvrage est intervenue le 5 octobre 1999.
- Les sociétés Finamur et Fromagerie Guilloteau ont saisi le juge des référés qui, le 26 mai 2009, a ordonné une expertise portant sur des infiltrations et des déformations de panneaux isothermes.
- Par actes des 3, 4, 5, 7 et 8 septembre 2009, les sociétés Finamur et Fromagerie Guilloteau ont assigné l’assureur dommages-ouvrage, les constructeurs et leurs assureurs au fond.
- Le 2 octobre 2009, la société Fromagerie Guilloteau a assigné la société Axa devant le juge des référés, s’agissant des normes parasismiques et une expertise a été ordonnée le 6 janvier 2010.
- La société Fromagerie Guilloteau est devenue propriétaire de l’ouvrage le 15 février 2012.
Par un arrêt en date du 11 Mai 2022, la Cour d’appel de PARIS a notamment
- Déclaré recevable l’action engagée par la société Fromagerie Guilloteau à l’égard de la Société AXA France IARD, ès qualité d’assureur DO
- Condamné la Société AXA France IARD, ès qualité d’assureur DO in solidum avec la société Construction Rhône Alpes sous la garantie de la société L’Auxiliaire à régler à la société Fromagerie Guilloteau la somme de 1 004 600 euros pour la reprise des désordres liés au non-respect des normes parasismiques avec intérêt au double du taux de l’intérêt légal.
Pour déclarer recevable l’action contre l’assureur DO, la cour d’appel de PARIS a considéré que
- « le non-respect du délai de soixante jours pour la mise en œuvre de l’expertise amiable bénéficie exclusivement à l’assuré«
- « celui-ci est recevable à saisir le juge des référés dès lors que, préalablement à cette saisine, il a procédé à la déclaration de sinistre«
alors que l’assureur DO opposait l’irrecevabilité de la demande puisque l’assuré avait saisi le Juge des référés avant l’expiration du délai de 60 jours.
L’assureur DO avait donc formé un pourvoi, invoquant un non-respect des dispositions de l’article L.242-1 du Code des assurances.
Le moyen est accueilli par la 3ème Chambre civile Cour de cassation sous le visa de cet article :
- Rappelant qu’il résulte de ce texte que pour mettre en œuvre la garantie de l’assurance dommages-ouvrage obligatoire, l’assuré est tenu de faire une déclaration de sinistre à l’assureur lequel doit alors désigner un expert ou en cas de récusation, en faire désigner un par le juge des référés. L’assureur dispose d’un délai de soixante jours à compter de la réception de la déclaration de sinistre pour notifier à l’assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat.
- Enonçant que ces dispositions impératives interdisent à l’assuré de saisir une juridiction aux fins de désignation d’un expert avant l’expiration du délai de soixante jours.
avant de reprocher à la Cour d’appel de PARIS d’avoir déclaré l’action contre l’assureur DO alors que
« la société Fromagerie Guilloteau avait déclaré le sinistre portant sur le défaut de conformité de l’ouvrage aux normes parasismiques le 29 septembre 2009 puis avait assigné la société Axa en référé-expertise le 2 octobre 2009 sans se désister, alors que le délai imparti à l’assureur pour notifier sa décision quant au principe de sa garantie n’était pas expiré »
En effet, seul un délai de 3 jours alors l’assuré ne peut saisir une Juridiction d’une demande contre l’assureur DO avant l’expiration du délai de 60 jours.
En conséquence, si l’assuré peut assigner directement les constructeurs et leurs assureurs respectifs, il doit patienter avant d’assigner l’assureur DO (assignation qu’il pourra faire délivrer ensuite en demande une jonction).
Cette précaution sera d’autant plus sage qu’il préservera ses recours et tous les fondements possibles, l’assignation en référé aux fins d’extension n’ayant pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne vaut que son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : C.Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771).
L’écueil mis en exergue par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation dans son arrêt du 7 Décembre 2023 mérite d’être souligné aussi dans le cadre d’une instance introduite au fond puisqu’alors le défaut de saisine préalable de l’assureur dommage – ouvrage avant toute action contentieuse constitue une fin de non-recevoir (CA VERSAILLES, 14ème Chambre, 29 Janvier 2014, RG n° 13/03434) qui doit être soulevée devant le Juge de la mise en état en vertu de l’article 122 du Code de procédure civile.