Par un arrêt en date du 8 Février 2023, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a rappelé l’importance d’être précis et vigilant lors de l’introduction d’une action en justice en droit de la construction. Chaque désordre doit être exactement identifié, sauf à se priver de l’effet interruptif de l’assignation.
Sur ces questions, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a déjà pu indiquer
- pour être interruptive de prescription, une demande en justice doit être dirigée contre celui qu’on veut empêcher de prescrire (Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
- la suspension de la prescription résultant de la mise en œuvre d’une mesure d’instruction n’est pas applicable au délai de forclusion de la garantie décennale (Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-15833).
- l’assignation délivrée contre un assureur en une qualité donnée ne vaut pas contre ce même assureur sous une autre qualité : assigner un assureur en qualité d’assureur DO ne vaut pas assignation (et donc interruption) en sa qualité d’assureur RCD (en ce sens : Cass., Civ. 3ème, 29 Mars 2018, pourvoi n° 17-15042)
- la demande d’expertise en référé sur les causes et conséquences des désordres et malfaçons ne tendait pas au même but que la demande d’annulation du contrat de construction, de sorte que la mesure d’instruction ordonnée n’a pas suspendu la prescription de l’action en annulation du contrat (C.Cass., Civ. 3ème, 17 Octobre 2019, n° 18-19611 et 18-20550)
- L’assignation en référé aux fins d’extension n’a pas d’effet erga omnes. L’effet interruptif de l’action en justice ne profite qu’à son auteur. Le maître d’ouvrage ne doit donc pas compter sur l’assignation en extension d’expertise délivrée par l’assureur DO contre les constructeurs et leurs assureurs pour interrompre ses propres délais (en ce sens : C.Cass, Civ. 3ème, 21 mars 2019, pourvoi n°17-28021) ou encore par le constructeur contre son sous-traitant (Cass., Civ. 3ème, 29 Octobre 2015, pourvoi n° 14-24771). De même, l’assignation en référé aux fins d’extension des opérations d’expertise à une nouvelle partie n’a pas d’effet erga omnes et ne bénéficie donc pas au demandeur initial (C.Cass., Civ. 3ème, 25 mai 2022, n° 19-20563).
De même, la 3ème Chambre de la Cour de cassation a déjà indiqué à de multiples reprises que l’effet interruptif de l’assignation ne vaut que pour les seuls désordres qui y sont visés (C.Cass., Civ. 3ème, 19 septembre 2019, n°18-17138 ; C.Cass., Civ. 3ème, 7 Avril 2015, n°14-15228 ; C.Cass., Civ. 3ème, 24 mai 2017, n°15-19982), ce qu’elle confirme avec son arrêt du 8 Février 2023 (C.Cass., Civ. 3ème, 8 Février 2023, n°21-14708). Les enjeux concrets sont importants.
Sur le plan factuel, il faut retenir que
- [S] a confié à M. [R] [N] certains lots de la construction d’une maison d’habitation.
- Se plaignant de désordres et retards, M. [S] a assigné M. [R] [N] en référé aux fins d’expertise. Par acte du 1er avril 1998, il a également assigné M. [X], qui avait réalisé les travaux. Une expertise a été ordonnée par le juge des référés le 19 mai 1998.
- [S] a porté plainte contre M. [X] et contre son épouse, Mme [W] [A] [F], pour escroquerie, faux et usage de faux, considérant que l’entreprise de M. [R] [N] était fictive et masquait l’activité des époux [X].
- Par arrêt du 23 mars 2011, M. [X] a été reconnu coupable de faux et usage de faux et condamné à verser à M. [S] des dommages-intérêts.
- Le 2 mars 2000, M. [S] a notifié à M. [X] et Mme [W] [A] [F] une inscription d’hypothèque judiciaire conservatoire.
- Par acte du 19 janvier 2001, M. [S] a assigné M. [X] et Mme [W] [A] [F] aux fins d’intervention forcée dans une instance introduite au fond par M. [R] [N] en paiement du solde du marché.
Par un arrêt en date du 11 Février 2021, la Cour d’appel d’AIX EN PROVENCE a déclaré recevable les demandes présentées par le maître d’ouvrage, M. [S] contre M. [X], en retenant que le délai de prescription a été interrompu par l’assignation en référé du 1er avril 1998 jusqu’à la décision du 13 mai 1998, puis de nouveau par la dénonciation, le 2 mars 2000, d’une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire et, enfin, par l’assignation en intervention forcée délivrée au fond le 19 janvier 2001, qui constituait une demande en justice dirigée contre la personne qu’on voulait empêcher de prescrire.
- [X] a formé un pourvoi, reprochant notamment à la Cour d’appel de ne pas avoir rechercher, ni constater, ainsi qu’elle était invitée à le faire si l’assignation en cause comportait non seulement une demande au fond, mais également une désignation précise des désordres permettant d’interrompre la prescription.
L’arrêt d’appel est censuré par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation, sous le visa des articles 2244 et 2270 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, rappelant que
- Aux termes du premier de ces textes, une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir.
- Aux termes du second, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du code civil est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai visé à cet article.
Puis énonçant que :
- Une assignation en justice ne peut interrompre la prescription qu’en ce qui concerne le droit que son auteur entend exercer.
- Elle ne peut, dès lors, interrompre la prescription de l’action en réparation de désordres qui n’y sont pas mentionnés.
Elle reproche ensuite à la Cour d’appel d’avoir déclaré les demandes recevables
- sans rechercher, comme il le lui était demandé, si, dans son assignation du 19 janvier 2001, M. [S] demandait l’indemnisation des préjudices qui faisaient l’objet du litige
- sans constater, à défaut, que les demandes avaient été formées moins de dix ans après la notification de la mesure conservatoire.
L’arrêt d’appel est donc censuré pour défaut de base légale.
Cette question sera donc débattue devant la Cour de renvoi.
L’arrêt souligne donc l’importance d’identifier avec précisions les désordres objet du litige puis de surveiller les différents délais applicables.